
La mention "op.cit."
renvoie à la bibliographie
fournie en fin de page
SOMMAIRE
Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE
ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE
CHANSON
CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs
ELLIPSE
Facule discursive
JEU DE MOTS
HYPALLAGE
HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE
Métaphore
MÉTONYMIE
OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE
Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION
RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset
ZEUGMA |
LE STYLE DE RIMBAUD
Y a-t-il un style de Rimbaud,
au sens où (dit Buffon) "le style est de l'homme
même" ? On constate, en tout cas, chez les commentateurs
(écrivains ou critiques), la fréquence de termes voisins
pour caractériser la manière personnelle de "l’énergique, intrépide et génial
Rimbaud" (Jean Richepin) : brièveté, vivacité,
intensité.
Pour
Verlaine, le Rimbaud des Illuminations possède "une prose
à lui, belle s'il en fut, claire celle-là, vivante et sursautante,
calme aussi quand il faut." (ibid. p.976).
Albert
Thibaudet
crédite Rimbaud d' « une langue ardente, nue, efficace » (op.cit.
p.483).
Jacques Rivière se dit fasciné par le rythme de la phrase
rimbaldienne :
"La phrase, si courte
soit-elle, est possédée par un rythme qui la tient et la commande
comme un démon secret […], une cadence nette et bien formée, quelque
chose d’extrêmement réveillé" (op.cit. p.206-207).
Saint-John Perse, dans une lettre au précédent, déclare : "Il
y a, dans la divine maigreur de sa langue cursive, tout le sens
insonore de l'abstrait".
Louis Aragon écrit dans son Traité du style :
"La poésie est par essence
orageuse, et chaque image doit produire un cataclysme. Il faut
que ça brûle ! [...] Dans le genre buisson ardent on n'a guère
fait plus réussi que le Sonnet des Voyelles" (op.cit.
2000, p.140).
Paul Valéry ressent en lisant Rimbaud "des effets de choc ou
explosifs" (op.cit. p.871). Selon lui, le travail de l'écriture viserait, chez Rimbaud, à atteindre une
"incohérence harmonique", c'est-à-dire une dissonance
sémantique que compensent "une bonne consonance musicale"
(ibid.) et une unité d'impression due à la capacité de ces
associations verbales de "produire à tout instant des effets de
sensation". Valéry décèle dans les poèmes en prose de
Rimbaud un art de déjouer l'attente du lecteur par des associations
de mots (substitutions insolites, juxtapositions elliptiques) qui
produisent sur celui-ci "des effets de choc ou explosifs" et possèdent un "remarquable pouvoir excitant". Cependant, il
confesse dans ses Cahiers
:
"Je ne vois pas de difficultés à écrire (par
exemple) la Saison en enfer. Ce ne sont qu’expressions
directes, jaculations, intensité. L’intensité des mots ne m’est
rien, ne porte pas sur moi" (ibid.).
Suzanne
Bernard reconnaît
dans
les Illuminations
le modèle du "poème en prose intense et rapide" (op.cit. p.210) et
Michel
Murat identifie ainsi ce qui fait « l’allure
la plus caractéristique du recueil : un style éruptif,
elliptique, intensément scandé » (op.cit. p.432).
Cette énergie qui, pour tous, semble
représenter la
marque de fabrique, la signature de Rimbaud, renvoie à
un tempérament (une vivacité d’intelligence ; un caractère impulsif,
impérieux), à
une posture socio-politique (une poésie du sarcasme, de la révolte, de
la transgression, profondément et durablement subversive), à un projet esthétique
d’époque enfin : crise du lyrisme, remise en cause croissante des anciens modèles de la poésie versifiée et
de la prose poétique.
UNE ENTREPRISE DE
SUBVERSIFICATION "Demandons aux
poètes du nouveau, idées et formes" déclare
Rimbaud dans la lettre du 15 mai 1871 à Demeny. Ou encore : "les
inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles". Tel est le
programme que le jeune poète a toujours suivi.
Dès 1870,
il montre simultanément sa parfaite connaissance de la langue des
vers (l'instrument poétique forgé par les Romantiques et les
Parnassiens) et les intentions avant-gardistes qui l'animent. Les
corrections que permettent d'observer les différentes versions de
ses premiers textes (quand nous les possédons) vont toujours dans le
même sens, celui d'une plus grande liberté, celui d'une
subversification, comme dit Philippe Rocher (op. cit.), par
affaiblissement de la césure, notamment, dans l'alexandrin. La démarche
se radicalise dans les textes de 1872 où l'on voit Rimbaud attaquer
(à des rythmes d'ailleurs différents) les normes admises concernant
la rime, le cadre métrique, les conventions typographiques.
Enfin,
avec Les Illuminations, il invente une forme nouvelle de
poème en prose, fortement scandée et d'une grande densité lyrique. Contrairement à Baudelaire
dans le Spleen de Paris, il y conserve, tout en les adaptant,
beaucoup des effets phonétiques et rythmiques de la poésie
versifiée. Il invente de nouveaux principes de disposition du poème
(en versets ou alinéas), de construction (ou
déconstruction) syntaxique. Il expérimente,
avec Mouvement et Marine, ce qu'on
appellera plus tard le vers libre. Autant de révolutions en
chantier, autant de pratiques et de notions nouvelles qu'il convient
de définir dès qu'on aborde l'œuvre de Rimbaud.
RHÉTORIQUE
Si l'on en croit le poète Pierre
Reverdy, le plus remarquable dans l'art de Rimbaud est son aptitude
à se faire oublier :
Ce que m'a apporté Rimbaud, ce qui,
dans l'œuvre de Rimbaud, m'a donné le choc décisif et ce qui
importe le plus, longtemps répété, c'est que, pour la première
et unique fois, d'ailleurs, je n'ai pas discerné dans son œuvre
les moyens littéraires, dont elle est si riche ; je suis allé
droit à ce qu'elle contenait de substance, ne l'atteignant
cependant que dans la plus éblouissante obscurité. Des mots
savoureux comme des galets dans le torrent, des nœuds de lianes
serrés comme des poings, des écharpes amplement dénouées dans le
vent comme des plages. La terre à fleur de peau, la joue creuse
du ciel et l'éclat de la chair pour l'œil et le désir dans une
déchirure (op.cit.).
Et pourtant, il y a
bien chez Rimbaud, poésie et prose confondus, une rhétorique, c'est-à-dire des procédés (figures de style
ou, dans un sens plus large :
manières d'écrire, moyens d'art)
qui reviennent avec insistance sous sa plume. Cédant à la tentation du
mimétisme, Paul
Verlaine fournit un amusant pastiche de cette rhétorique quand il célèbre :
[...] ce pur chef d'œuvre, flamme et cristal,
fleuves et fleurs et grandes voix de bronze d'or : les
Illuminations (op.cit.,
p.801).
Le lecteur de Rimbaud reconnaît là tout de suite une syntaxe
(énumération, polysyndète) et des figures de style familières :
l'antithèse ("Flamme et cristal") ; l'allitération,
l'assonance ("fleuves et fleurs") ; la synesthésie
("voix de bronze d'or"). Mais la liste est
loin d'être complète, naturellement. Le présent glossaire tente
de mettre en évidence ces ressorts cachés de l'art de Rimbaud.
Il ne manquera pas de lecteur, je suppose, pour s'étonner d'une si
fastidieuse besogne et me reprocher, comme jadis René Char à
Étiemble :
"Ce labeur de ramassage n'ajoute pas deux gouttes de pluie à l'ondée,
deux pelures d'orange de plus au rayon de soleil qui gouverne nos
lectures." (op.cit.)
À quoi je répondrai
en citant un autre poète, Michel Deguy :
"Si je m'y
attarde [aux figures de style], ce n'est pas tant pour les
porter au compte précis de la rhétorique qui attendrait
tranquillement l'heure de ses comptes et le bilan, mais parce
que l'interprétation de la lettre — littéralement et dans tous
les sens — doit passer par ce moment analytique si elle ne veut
pas se contenter d'un échauffement superstitieux, [...]
décomposer, voire 'déconstruire', les moyens de composition de
l'artefact. Et bien sûr on ne m'a pas attendu, mais j'en
réesquisse la liste" (op.cit. p.48).
UNE POÉTIQUE DE L'ÉNIGME Parmi les
caractéristiques de l'écriture rimbaldienne, plusieurs renvoient à ce qu'on pourrait
appeler une poétique de l'énigme : la composition du
poème en forme de devinette (l'art de la pointe et de la chute) ; le
discours crypté (termes employés à double sens et autres jeux de
mots) ; les mots rares au sens inconnu (dont certains résistent
encore aux investigations des savants) ; l'ellipse abrupte ; la
parataxe ;
les syntaxes bizarroïdes (quand ce n'est pas le solécisme
volontaire, la quête tout à fait délibérée de l'amphibologie
notamment) ; la juxtaposition d'éléments incompatibles (l'oxymore généralisée) ; la
métaphore insolite ; la description d'objets, de décors et de personnages à l'identité
mystérieuse (cf. notamment, les déictiques sans référents clairs des hypotyposes
rimbaldiennes) ; l'allusion parodique ; le goût de l'allégorie et du
symbole. Ajoutons à cela le déguisement de l'auteur sous les identités
les plus diverses : auto-allégorisations, figures mythiques ou idéalisées de soi-même.
Il est,
selon les poèmes, le Prince ou le vagabond, un poète ou un ouvrier,
quand il n'est pas un simple bateau (ivre) ; il est l'enfant ou le
jeune homme, l'Époux infernal ou le Maudit, etc. (voir sur ce point, dans ce même site, l'étude intitulée
La Parade
des masques).
Dans sa
Réponse à l’enquête de Jules Huret. Sur l'évolution
littéraire (L'Écho de Paris, 1891), Stéphane Mallarmé explique :
Nommer
un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du
poëme qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer,
voilà le rêve […]. Il doit toujours y avoir énigme en poésie, et
c’est le but de la littérature, − il n’y en a pas d’autres − d’évoquer
des objets.
Rimbaud, comme Mallarmé, s'applique à « évoquer
dans une ombre exprès, l'objet tu, par des mots allusifs » (Magie,
National Observer, 1893). Dès ses premiers poèmes (Le Dormeur du val,
par exemple) on lui voit cultiver une poétique de l'énigme qui ira
se complexifiant et culminera dans Les
Illuminations. Sa poésie exige un autre lecteur. Elle
lance un défi au consommateur routinier de la chose littéraire. Un
défi qui s’avoue comme tel, d’ailleurs, à la chute de certains de
ses textes (« J’ai seul la clé de cette parade sauvage » ;
« trouvez Hortense »).
Ce choix de l'obscurité, chez
les poètes de la fin du XIXe siècle, répond à des
motivations très diverses. Dans le cas de Rimbaud, il y a sans
doute, d'abord, l’impossibilité de tout dire, notamment dans le
domaine sexuel. Non que le
jeune poète fût particulièrement timoré ou pudique. Ses contributions à l’Album zutique
prouvent le contraire. Mais ceci n’était pas destiné à la
publication. Autre chose était d’exprimer les mêmes intimités
dans un livre ou une revue. Là, il fallait ruser et c’est en partie
à cette contrainte que nous devons les inventions les plus
mystérieuses de l’œuvre de Rimbaud. L’une de ses plus grandes
réussites, aussi : l’art d’enrober dans une forme belle et de
tresser à un développement allégorique, que l'on pourrait dire
philosophique ou moral, l'expression du trivial ou de
l’intime.
Cette élévation des choses du corps à la dignité d’objets
poétiques n'a d'ailleurs jamais cessé de choquer, comme le montre la
gêne persistante chez tant de
commentateurs à reconnaître le caractère érotique de certaines
pièces. Chez un auteur tout aussi
licencieux mais plus prosaïque, les mêmes accepteraient la
chose sans
embarras. Ce que, par contre, ils refusent inconsciemment
d'admettre, dirait-on, c'est que des pièces de haute tenue lyrique et
spirituelle, finement ouvrées, au charme envoûtant, comme les proses
des Illuminations ou les poésies de 1872, puissent dissimuler
(pour certaines d'entre elles) des évocations érotiques tout ce
qu'il y a de crues.
Mais le goût des poètes
post-romantiques et post-parnassiens pour un certain hermétisme s'explique par une autre
raison, plus fondamentale : leur volonté commune de
définir l’usage poétique de la langue par autre chose
que le vers (dont « le jeu moisit », comme dit Rimbaud dans sa
seconde
lettre du Voyant) en s'adonnant à des jeux plus
subtils (de sonorité, de syntaxe, de typographie, de sémantique) et
en forgeant ce nouvel instrument poétique aussi distinct que
possible de la langue de communication « par effroi de fournir au bavardage »
(Mallarmé, op. cit. 1896) et à
« l’universel reportage »
(Mallarmé, op.cit. 1886).
Mallarmé le proclame, on ne s’improvise pas lecteur de
cette poésie nouvelle :
Si
un être d’une intelligence moyenne, et d’une préparation
littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre ainsi fait et
prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses
à leur place (Sur l'évolution littéraire, 1891).
D'où, peut-être, l'intérêt d'identifier et commenter quelque peu ces procédés
de l'hermétisme, chez Rimbaud. Puisse l’utilisateur de ce
site, qui n’est certes pas arrivé jusqu’ici « par hasard » mais
animé de la légitime intention de mieux « jouir » des plaisirs du
texte, trouver dans ces pages, malgré l’intelligence très
« moyenne » de leur auteur, dont il s'excuse, de quoi parfaire leur « préparation
littéraire ».
GLOSSAIRE
À
mi-chemin entre le répertoire de définitions et le précis de
poétique rimbaldienne, ce "glossaire stylistique" se donne pour but
d'identifier et décrire, de façon très libre, les caractéristiques de
l'écriture du poète. Il s'intéresse à son usage des figures de
rhétorique comme à son travail sur le vers et les formes poétiques.
On y trouvera des notes ponctuelles sur des particularités de langue et
de style aussi bien que
des considérations beaucoup plus générales visant à définir ce qu'on
pourrait appeler l'art de Rimbaud.
Ce travail doit d'abord être reçu comme une
compilation de notes de lecture. La plus grande place possible y est
faite à la citation : tant qu'à exposer des idées déjà fort bien
trouvées et formulées
par d'autres, autant citer ! Cela n'exclut évidemment pas une
part de subjectivité, ne serait-ce que
dans le choix des références et dans leur présentation. Il m'arrive
souvent d'illustrer les notions exposées par des exemples que j'ai
prélevés moi-même dans les poèmes de Rimbaud. Il m'arrive même,
de temps en temps, de proposer des idées personnelles, de
risquer un développement original. Si bien que de nombreux thèmes et
interprétations issus de mes microlectures (dans l'Anthologie
commentée de ce site) finissent par se retrouver ici, abordées sous un
angle différent, observées par le petit bout de la lorgnette du
style. Ce "glossaire" répond donc assez bien à la
définition calembouresque proposée jadis par Michel Leiris : "Glossaire : j'y
serre mes gloses" (op.cit.).
___________________________
Bibliographie
-
Paul Verlaine, Œuvres en prose, La Pléiade, 1972.
-
Stéphane Mallarmé,
"Avant-dire" au Traité du verbe de René Ghil, 1886 ;
"Sur
l’évolution littéraire.
Réponse à l’enquête de Jules Huret", L’Écho de Paris,
1891 ;
"Le Mystère dans les Lettres",
La
Revue blanche, 1896.
-
Alexis Léger, lettre à Jacques
Rivière, juillet 1910. Cité par Roger Little, "Saint-John Perse
lecteur de Rimbaud", Circeto n°1, octobre 1983, p.33-39.
-
Paul Valéry, Cahiers, t. XXVI, CNRS, 1957-1962
(les références sont empruntées à
l'article de Nicole Celeyrette-Pietri, "Comment se défaire de Rimbaud
...!", Rimbaud vivant n°46, juin 2007, p.7-27).
-
Michel Leiris,
"Glossaire : j'y serre mes gloses",
La Révolution
surréaliste, n°3 et n°6, 1925-1926.
Repris dans Mots sans mémoire (Gallimard. L'Imaginaire).
-
Louis Aragon, Traité du style,
1928 (L'Imaginaire / Gallimard,
1980, 2000).
-
Jacques Rivière,
Rimbaud, Kra,
1930.
-
Albert Thibaudet,
Histoire de la littérature française
de 1789 à nos jours, Stock, 1936.
-
Pierre Reverdy, "Le premier
pas qui aide", Les Nouvelles littéraires, 21/10/1954.
-
René Char, Rimbaud. Texte
de 1956, d'abord paru dans les Cahiers G.L.M., qui servira
ensuite de préface aux Œuvres de Rimbaud, Club
français du livre, 1957, puis sera intégré à Recherche de la
base et du sommet, Pléiade Char p.727-734.
-
Suzanne
Bernard, Le Poème en prose de Baudelaire à nos jours,
Nizet, 1959.
-
Michel Deguy, "Dévotion", Le
millénaire Rimbaud, Belin, 1993.
-
Michel Murat, L’Art de Rimbaud,
Corti, 2002.
-
Philippe Rocher,
"Les possibilités harmoniques
et architecturales des détachements syntaxiques et de la frontalité
chez le premier Rimbaud", Parade sauvage - Colloque n°5, 16-19
septembre 2004, p.285.
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