Rimbaud, le poète / Accueil > Florilège des sources >  La Coccinelle
 

La critique rimbaldienne souligne volontiers la correspondance entre les poèmes libertins du Recueil de Douai et certains textes de Hugo (Elle était déchaussée... et Première soirée; La Coccinelle et Rêvé pour l'hiver, par exemple). Parlant de ce dernier texte, Jacques Plessen écrit : "Ce poème est un peu rose bonbon, mais n'oublions pas qu'il a été écrit par un garçon de seize ans, nourri de Musset et se souvenant des espiègleries hugoliennes comme La Coccinelle et Vieille Chanson du jeune temps (Promenade et poésie, Mouthon, 1967, p.193). Steve Murphy ne partage pas ce jugement condescendant et voit dans le poème de Rimbaud "une subversion de son modèle hugolien" (Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, Presses universitaires de Lyon, 1991, p.128). Au lieu du "sentimentalisme mièvre" d'un "adulte qui se penche sur son passé", Rimbaud propose une rêverie sensuelle d'adolescent : "Son narrateur n'est pas pourvu de la voix de l'expérience, ni éloigné de l'époque de sa puberté, mais sent dans son corps la montée des pulsions somatiques les plus irrésistibles". 

   La Coccinelle

Elle me dit: "Quelque chose
Me tourmente." Et j'aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.

J'aurais dû mais, sage ou fou,
À seize ans, on est farouche,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.

On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là:
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s'envola.

"Fils, apprends comme on me nomme",
Dit l'insecte du ciel bleu,
"Les bêtes sont au bon Dieu;
Mais la bêtise est à l'homme."

Paris, mai 1830. 

   (Les Contemplations, I, 15, 1856)