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 JEUNESSE I. "DIMANCHE"

Panorama critique

 

 

 



Les citations sont classées dans l'ordre chronologique. Une note bibliographique en recense les sources. Les éditions courantes (Suzanne Bernard, Jean-Luc Steinmetz, par exemple) n'y sont pas mentionnées. On trouvera leur référence ici. Quand un auteur est cité pour plusieurs ouvrages (un article et une édition, par exemple), je précise la date : "Brunel (1999)" renvoie au Rimbaud de La Pochothèque. Quelques citations d'ouvrages extérieurs à ces deux bibliographies font l'objet d'une référence entre parenthèses.
 

Structure
 et sens
 du poème

 

BERNARD : "Ce premier texte nous montre le poète au travail, plus exactement décrit une halte dans le travail, halte consacrée à la visite des souvenirs et à la séance des rythmes. Les visions évoquées ici sont-elles d'ordre hallucinatoire, sont-elles des transpositions de souvenirs ?" (p.524).

PY : "dans Dimanche, Rimbaud semble interrompre un travail de caractère scientifique (les calculs mis de côté) pour se livrer à l'invasion d'une rêverie présentée en termes qui la dévalorisent : inévitable, la séance" (Albert PY, Illuminations, Droz-Minard, 1969, p.189-196).

GUYAUX (1985) : "La fin et le début du texte encadrent les visions parallèles qu'échafaude le paragraphe central" (p.107).

STEINMETZ : "Le deuxième paragraphe représente de façon plus ou moins réaliste [...] le monde d'ennui du dimanche. Un tel ensemble mériterait d'être rapproché du poème Mémoire dont il semble une « version »" (p.171).

HENRY : "On peut donc admettre, au départ, au moins à titre d'hypothèse de travail, que le verset 2 [comme montré précédemment à propos de paragraphes encadrés par des tirets dans Fairy, Angoisse et Honte] s'oppose, d'une façon qui serait alors à préciser, aux deux autres [...] le verset 2 évoque des spectacles du monde extérieur, ou des visions projetées dans ce monde, tandis que les versets 1 et 3 sont orientés vers le monde de l'esprit [...]. La rupture de conscience et l'hétérogénéité des états successifs sont soulignées par l'isolement de ce second verset" (p.182).

BRUNEL (2004) : "le deuxième alinéa a pour charge de décrire l'occupation de « la demeure, la tête et le monde de l'esprit » par des images. [...] Cet alinéa entre tirets a la même fonction que le deuxième alinéa d'Angoisse qui, lui, est mis entre parenthèses. Il est occupé lui aussi, non par des aspirations intimes et des forces internes, mais par une giclée d'images, tributaires peut-être de souvenirs et de rythmes, en particulier de rythmes ternaires. Et ces images sont plus déceptives que jamais, comme a pu être une voyance en laquelle Rimbaud un moment a cru [...]" (p.576).

 

Notes   §1

♦  Les calculs de côté

BERNARD : "l'étude" ; "le travail créateur actif et conscient". "Comprenons : les calculs étant mis de côté (pour céder la place aux visions)" (p.524).

GUYAUX (1985) : "la douleur physique" (p.106).

STEINMETZ : "la vie commerciale cesse" (p.170).

HENRY : "On a déjà relevé que calculs du premier verset, et étude du troisième verset, se répondent, occupant d'ailleurs des positions importantes et symétriques [...] Dans Solde (verset 8), le terme calcul, d'ailleurs en groupe binaire avec applications, a le même sens et la même valeur que dans Jeunesse ; le verset entier [...] couvre toute l'activité de création : le travail de recherche et les changements opiniâtrement calculés dans la première phrase — les dons « immédiats » de la grâce poétique dans la seconde." "Le terme étude [...] me paraît, dans Jeunesse I, avoir la même acception (peut-être plus extensive) et la même valeur que dans Alchimie du verbe : « Ce fut d'abord une étude [...] »"(p.183-184).

BRUNEL (2004) : "Ce dimanche sera un temps de repos (« Les calculs de côté »), de répit pour les ambitions ordinaires." (p.576).

MURAT : "Le dimanche, chômé par obligation religieuse (« Les calculs de côté »), fait une parenthèse dans le travail temps vide que meuble « l'inévitable descente du ciel » et que hantent des images de déréliction. Lorsque la parenthèse se ferme (« reprenons l'étude ») une corrélation se dessine entre le premier et le dernier paragraphe." (p.307).
 

♦  l'inévitable descente du ciel

BERNARD : "la passivité du visionnaire" (ibid.).

GUYAUX (1985) : "la pluie ou le crépuscule" (ibid.).

LAWLER : "Descente du ciel" is the traditional image of the seer who goes down from his height, the dreamer from his vision, the poet from his empyrean" (James Lawler, The Poet as Self-Critic : Rimbaud's "Jeunesse", The French Review, octobre 1988, p. 11-24).

STEINMETZ : "on célèbre la messe" (ibid.).

BRUNEL (1999) : "cf. la fin de Mystique ou le deuxième alinéa de Métropolitain" (p.493).

BRUNEL (2004) : "Dieu qui descend parmi les fidèles le dimanche" (p.574). "Ce pourrait être un dimanche comme les autres, un dimanche de l'enfance, occupé, sous la surveillance de la mère dévote, par la « descente du ciel »." (p.576).

MURPHY : "Le mouvement des bords coupés [du manuscrit de Génie] coïncide approximativement [avec le manuscrit de Jeunesse I], ainsi que les traits de séparation en haut et à gauche du manuscrit de Jeunesse, en bas et à droite pour Génie. Ce fait est intéressant dans le cadre de la paranarrativité du recueil. Il suffit en effet de noter la ndifférence, en fin de recueil, entre ces deux agencements de formulations figurant dans ces deux poèmes :

Ordre 1 Ordre 2
l'inévitable descente du ciel (Jeunesse I) Il ne descendra pas d'un ciel (Génie)
Il ne descendra pas d'un ciel (Génie) l'inévitable descente du ciel (Jeunesse I)

On sait que, pour Les Illuminations comme pour Une saison en enfer, la critique s'est efforcée d'évaluer la victoire ou l'échec, la force ou la faiblesse du poète, projet qui suppose souvent que l'on interprète des formules en fonction de leur emplacement relatif. Ici, le premier ordre, celui fourni par la plupart des éditions, est décidément optimiste, Génie niant le fatalisme de l'énoncé de Jeunesse I, tandis que le second contrecarre et répudie l'utopisme de Génie ... Or, c'est le second ordre, pessimiste, qui figurait dans le manuscrit, avant qu'il ne soit coupé en deux morceaux." (Steve Murphy, "Trois manuscrits autographes de Rimbaud", Histoires littéraires, n° 17, janvier-février-mars 2004, p.50-51).


♦  la séance des rythmes

GUYAUX (1985) : "les obsessions" ("La douleur physique, la pluie ou le crépuscule, la mémoire, les obsessions, compensent, bon gré mal gré, un désœuvrement digne d'une fin de semaine." p.106).

STEINMETZ : "le narrateur songe [...] peut-être au poème" (ibid.)

BISHOP : "De quoi s'agit-il au juste ce dimanche-là ? «Its sense is veiled », affirme James Lawler, qui comprend qu'il y a là une allusion à « la mécanique érotique » de H et qui soutient la thèse que tout tourne autour d'une « customary habit which contrasts with artistic construction » [...]. Si l'on accepte l'idée d'une opposition psychologique et conceptuelle entre la dernière phrase de Dimanche — « Reprenons l'étude [...] » — et tout ce qui précède, cette « séance des rythmes » peut être comprise comme faisant partie des activités et stratagèmes existentiels et poétiques, ou vieillis, ou banalisés par l'habitude, stratagèmes qui stabilisent au lieu de dynamiser, « occupent », préoccupent, obsèdent malgré la conscience, toujours intervallique mais aujourd'hui intensifiée, quasi « extatique » (je reprends le terme d'Edward Ahhearn), de certaines façons de « calculer », d'étudier en cédant à des « impatiences » poético-ontologiques enfin assumées. La notion de « séances » semble ainsi privilégier une délibération, un effort structuré mais trop alourdissant, débat et travail qui pèse, replié ici sur la logique d'une métrique, d'une « musique », celle de la poésie ou des sphères [...]'. (p.27).

BRUNEL (2004) : "Ce dimanche [...] sera occupé par une visitation qui n'a plus rien de religieux : celle des souvenirs, celle, moins banale, des rythmes. L'âme est laissée de côté au profit de l'esprit". (p.576)

 

§2

♦ Un cheval détale

GUYAUX (1985) : "c'est un événement qui peut être plus immédiat, plus proche du présent actuel et du réel que les événements qui, dans la suite, ont la saveur du phantasme et du mélodrame" (p.106).
 

♦  le turf suburbain

UNDERWOOD : "Pour Littré en 1873, le turf est un genre de sport mais le turf suburbain de Rimbaud a le sens primitif de gazon" (V.P. Underwood, Rimbaud et l'Angleterre, p.294).
 

♦  boisements

STEINMETZ : "Échafaudages" (ibid.)

HENRY : "plantation de bois" (p.185).
 

♦ percé par la peste carbonique

BERNARD : "Il est possible que l'expression peste carbonique fasse allusion à cette « fumée de charbon » dont Rimbaud parle dans Ville" (p.524).

HENRY : "[...] probable que peste carbonique a été appelé par peste bubonique, ce qui expliquerait percé [...] ce cheval anglais décampe sous l'effet d'œdèmes purulents causés ... par le charbon anglais" (p.185).
 

♦ une misérable femme de drame

BERNARD : "pourrait être Mathilde Verlaine" (p.324).
 

 ♦  après ("après des abandons improbables", "après l'orage, l'ivresse et les blesssures")

STEINMETZ : "Le sens de ces deux expressions est le même. La femme souhaite une rencontre. Les desperadoes attendent que des événements dissipent leur ennui" (ibid.)

HENRY : "on remarquera, notamment, les expressions en réitération, soupirer après et  languir après, avec cet après de convoitise très rimbaldien" (p.184).

GUYAUX (2009) : "Emploi régional de la préposition après (comme dans « languir après », « courir après »)." (p.984).
 

♦ desperadoes

UNDERWOOD : "mot anglais, venu du vieil espagnol, employé surtout par les journalistes et les auteurs de romans policiers" (p.294-295).

BERNARD : "Il s'agit de têtes brûlées, d'hommes prêts à tout" (p.324).
 

♦  étouffent des malédictions

HENRY : "formulation métonymique de languir après [...] l'ennui dominical est travaillé en profondeur par la révolte contenue" (p.185).

 

§3

♦ l'étude

BRUNEL (2004) : "Cette étude-là vise une composition (« l'œuvre [...] qui se rassemble », donc qui se constitue [...], une hauteur, une sublimité peut-être (c'est ce que pourrait suggérer « remonte dans les masses », le contraire en tout cas de « vulgaire »). Cette dernière phrase [...] réaffirme et consolide avec une énergie renouvelée après un temps de latence le projet qui est sans nul doute le projet des Illuminations." (p.577).
 

♦ au bruit

HENRY : "bruit doit être rattaché au champ verbal si important chez Rimbaud, actualisé par rythme, musique, harmonie... ; bruit évoque ici, en particulier, le fourmillement plus ou moins harmonique du travail" (p.185-186). Cf. "Départ dans l'affection et le bruit neufs".
 

♦ œuvre dévorante

HENRY : "exprime bien le but exigeant, exclusif et suprême" (p.185).


♦ qui se rassemble et remonte

HENRY : "dispersée et comme recouverte par les intrusions accumulées dans le verset 2, l'œuvre en devenir joint ses membres épars et, reprise par l'attention très « calculante », elle remonte à la surface, comme une bulle d'Archimède irrésistiblement ascendante, à travers les masses"." (p.186).

MURPHY : "évocation topique du rassemblement des foules, de la remontée insurrectionnelle du déluge populaire [...], bref d'une entreprise de démolition qui met en parallèle l'étude du sujet locuteur (cf. « l'optimisme studieux ») et l'œuvre des « masses ». Les eaux et les tristesses commencent-elles à monter et à relever les Déluges ? C'est en tout cas sur un ton passablement gnomique que le locuteur livre les fruits messianiques de son « étude » aux « masses » invoquées." (p.500).


♦ les masses

HENRY : "les foules dominicales" ou, mieux, "ce lourd fardeau d'éléments extérieurs ou projetés [évoqués dans le §2] qui auraient pu étouffer l'œuvre impatiente" (p.186).



 

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