Arthur
Rimbaud, le poète
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Anthologie commentée >
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JEUNESSE II. « SONNET » Panorama critique
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Structure
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BERNARD : « Le début au moins de ce texte semble faire allusion à la liaison entre Rimbaud et Verlaine : passé récent, et désormais défunt. Underwood a noté en effet une similitude assez frappante entre cette première phrase et le premier vers d'un sonnet de Verlaine envoyé à Lepelletier le 16 mai 1873, et qui prendra place, sous le titre Luxures, dans Jadis et Naguère : "Chair ! ô seul fruit mordu des jardins d'ici-bas." On conçoit alors que Rimbaud ait pu se demander si aimer était le péril ou la force de Psyché — "Psyché, mon âme", comme dit Poe dans Ulalume. Ces amours anormales, qu'il avait voulues à titre, peut-être, d'expérience, mettaient dorénavant son âme et son esprit en péril. Mais à présent nous montre qu'il s'agit là d'une époque révolue et que Rimbaud est redevenu, comme il le souligne, un Homme de constitution "ordinaire" » (p.524-525). PY : « La première phrase, si belle, suggère un âge où le plaisir charnel avait l'attrait du fruit défendu, où la vie du corps fascinait et inquiétait, où la vigueur était ressentie comme une richesse et un péril ; la seconde est une série d'allusions à des rencontres [...], à une hérédité poussant l'adolescent et un compagnon, probablement Verlaine, sur la pente de la souffrance et du crime [...]. Mais, second volet du dyptique, cet âge est révolu. Des spéculations et des ambitions des deux hommes (toi, toi), il ne reste qu'une danse et une voix (l'essence de leur poétique) [...]» (p.124). BRUNEL : « Le sens du premier
"quatrain" n'est pas
douteux : pour un homme qui a été doté d'une constitution ordinaire
d'homme, son corps est une découverte au moment de l'adolescence (de
ce qui est, pour la désigner, appelé "journées enfantes"). Il
s'aperçoit que ce corps, avec ses désirs, est comme "un trésor à
prodiguer". Mais cette abondance, cette force des désirs, a son
revers, un péril qui va se révéler au moment du passage de
l'adolescence à la jeunesse. » (p.584).
GANTERT : « [Dans le premier "quatrain"]
La vie amoureuse
subjective est conçue comme un échange ou le sujet est tantôt
bénéficiaire, tantôt donateur. Le poète évoque un univers de
plénitude, de l'échange réussi, de l'accord des vouloirs, mais ce
monde appartient à un passé mythique, à un âge d'or perdu. |
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Notes |
♦ « Sonnet » (le titre) GUYAUX (1985) : « En fait, le titre trouve sa raison d'être dans un fait précis. Comme dans beaucoup d'autres cas, il a été ajouté après la copie du texte. La différence entre la graphie du texte et celle du titre le montre, malgré la présence sur le manuscrit d'un trait de séparation qui, placé au-dessus du texte, semble maintenant souligner le titre. Le simple compte arithmétique des lignes manuscrites est le prétexte et l'occasion du titre. Le simple compte arithmétique des lignes manuscrites est le prétexte et l'occasion du titre. Les quatorze lignes, qui se terminent toutes, même la dernière, au bord droit du feuillet, sont censées imiter, mais probablement a posteriori, les quatorze vers d'un sonnet, deux fois quatre et deux fois trois. Les quatre premières ont, d'ailleurs, fortuitement aussi sans doute, des semblants de rimes embrassantes (chair et terre) et embrassées (verger ; — o et prodiguer — o), comme dans un quatrain. » (p.110-111). RAYBAUD : « Or ce titre est peut-être à interroger par un détour :
un sonnet, précisément, auquel ce texte fait écho et peut-être
réponse — Luxures, de Verlaine (dans sa version de 1873 dont
le titre est Invocation) avec un point de départ très parent
[...] on peut présumer que le traitement en partie double ouvre sur
des divergences [...]. Faire anti contre la forme et la
thématique de l'autre [...]. Ainsi un jeu contre la forme serait
aussi une tentative contre l'esprit de la forme tel qu'il se dégage
du poème de Verlaine (dès sa première version et encore aggravé dans
l'édition de Jadis et Naguère, en 1885) : chez Verlaine, l'éloge et
la nostalgie du simple — l'unique (sensible dans la récurrence de
"seul", quatre fois dans les cinq premiers vers de la version
finale ; trois fois mais renforcé d'un "unique", en 1873) ou le
multiple non contradictoire (quatrains : transformations figuratives
"chair / amour" ; "amour / chair" ; premier tercet : "tous les
appétits, toute la délirance et toute l'innocence"), et, à rebours,
le désarroi jusqu'à l'effroi et au bouleversement, devant les
tensions du contradictoire ( "je pleure / Et je ris de connaître, en
ignorant qu'épeure / Le doute, votre énigme effroyable, Amour,
Chair" » (p.179-180). |
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MURPHY : « Ce poème semble en effet comporter un versant
intersubjectif qui n'était pas forcément destiné à apparaître au
lecteur ordinaire [...]. Nous serions porté à supposer à la fois que
le titre se réfère à Invocation et que la mise en page a été
un fait volontaire et non accidentel :
GUYAUX (2009) : « [...] d'où l'hypothèse faisant de ce "Sonnet" une réponse à l'invocation que Verlaine adresse à la Chair dans le premier quatrain, à l'Amour dans le second, réunis dans les tercets. » (p.984-985).
GUYAUX (1985) : « L'homme de constitution ordinaire est, d'une certaine manière, un autre. Constellé de pronoms personnels, le texte refoule entièrement le mot je. » (p.107).
BRUNEL (1999) : « Rappel du mythe de l'Éden — dans les premiers temps de l'humanité, ses "journées enfantes" — et de la Chute. » (p.494). GANTERT ; « Les deux sous-unités de la première partie sont liées par un parallélisme que soulignent les énoncés liminaires de chaque "strophe" : les deux débuts, "La chair n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger" et "la terre avait des versants fertiles en princes et en artistes" mettent en scène la même isotopie de la végétation vitale en rapport avec le sujet humain. Il s'agit d'abord d'une identification postulée à travers une question rhétorique, ensuite d'un rapport de présupposition, de cause à effet (les "princes" et "artistes" sont présentés comme une production de la terre) » (p.126).
BRUNEL (1999) : « L'âme (avec un rappel implicite du mythe d'Éros et de Psyché) » (ibid.). GANTERT : « La figure de Psyché les réunit [le péril et la force]
dans son histoire, puisqu'elle expérimente tant l'amour excessif qui
constitue un péril (pour voir celui qu'elle aime, elle risque de
perdre cet amour) que la force de l'amour qui aide à surmonter cette
épreuve (elle fléchit la sévère Vénus par la constance de son
amour). » (p.127). ♦ À présent BRUNEL (2004) : « Les points fixes, ou du moins de plus grande stabilité, sont assurés par les reprises. Tout d'abord, l'attention obstinée sur "à présent", en ouverture et en fermeture : la répétition prouve que c'est bien là qu'il faut en venir, à cette jeunesse à la fois attendue et redoutée qui est le sujet de la série tout entière. Ensuite, la double émergence du couple de mots capital « votre danse et votre voix ». [...] quand le sonnet s'achève sur ces derniers mots : "la danse et la voix à présent seulement appréciées". Faut-il comprendre : enfin appréciées ? ou comprendre qu'elles sont les seules à être appréciées ? Le texte n'est pas assez nettement écrit pour qu'on puisse se prononcer avec certitude. [...] La danse, la voix, ne sont parvenues ni au point d'équilibre ni à l'état de force qui étaient souhaités, même si le résultat du labeur n'a pas été nul ("un double événement d'invention et de succès") » (p.587).
GUYAUX (1985) : « Le labeur analysé en calculs et en impatiences, est en même temps ablatif absolu et sujet du verbe sont. » (p.109). BRUNEL (1999) : « Première rédaction : "le labeur". Le démonstratif annonce ce qui suit (les "calculs", les "impatiences" du travailleur »). » (ibid.)
BERNARD : « Les deux mots toi ...toi ..., repris ensuite par votre dans "votre danse et votre voix", font-ils allusion aux deux amis ? On le croirait volontiers » (p.525). BRUNEL (1999) : « Modalités différentes du
"labeur" : pour l'un,
les "calculs" ; pour l'autre, les "impatiences". Rimbaud
s'adresse à l'un, puis à l'autre, mais pour aboutir à une " humanité
fraternelle " où ces disparités n'existent plus. Ainsi s'explique le
passage du "tu" au "vous". » (p.404). MURPHY : « Comme l'a bien vu Pierre Brunel, il s'agit d'un discours fait à un public dont le locuteur distingue des catégories ou, tout aussi bien, des individus représentant ces catégories [...] avant de revenir au public dans son ensemble, avec la deuxième personne du pluriel. Or le point décisif est celui-ci : cette distinction entre les calculateurs et les impatients va être transcendée par l'émergence d'une communion d'intérêts et de désirs réellement collective. Ce nouveau mouvement de l'humanité s'oppose à l'ancien comme le mouvement libre au mouvement déterminé : le verbe pouss[er] qui résumait le déterminisme aliénant du passé trouve comme antonymes "votre danse et votre voix, non fixées et point forcées", expressions à situer dans une isotopie de la danse et des énergies chorales qui se maintiendra dans Jeunesse III et qui se trouve dans d'autres illuminations. La danse et le chant comme activités collectives librement consenties symbolisent une nouvelle harmonie (on peut penser notamment aux métaphores bien connues des fouriéristes). » (p.488). GUYAUX (2009) : « Le poète s'adresse à lui-même. Voir Jeunesse IV et Albert Henry, Contributions..., p.183. » (p.985).
STEINMETZ : « Il est possible qu'il y ait inversion du sujet : "il n'y a plus que votre danse et votre voix" » (p.172).
MURPHY : « Dans la seconde partie du poème, le locuteur imagine l'avènement de la fraternité, qui associe l'invention (l'idée du projet) et le succès (l'efficacité de la réalisation), permettant de concilier parfaitement la force et le droit d'une part, la danse et la voix de l'autre. La force et la danse évoquent la révolution, sous l'angle de l'énergie physique : dynamisme et violence, mouvement consenti des masses ; la voix et le droit évoquent la légitimité des revendications populaires [...] » (p.487) MURAT : « L'interprétation que je propose de ce passage est la
suivante. Le début, jusqu'à "point forcées", ne fait pas
difficulté. Le groupe suivant se rapporte, comme un second attribut
détaché, au sujet "tes calculs, tes impatiences" : ceux-ci une
fois changés en "votre danse et votre voix", constituent "une
raison" unique, quoique cette raison procède d'un "double
événement d'invention et de succès" » (p.321). ♦ double événement BRUNEL (1999) : « Reprise : le double événement, c'est la double façon d'arriver, donc les deux modalités précédemment évoquées — les "calculs", les "impatiences" — pour l' "invention" et le "succès" de la "danse" et de la "voix" » (ibid.)
BRUNEL (2004) : « Est-ce celle d'À une raison ? A. Raybaud
a bien vu (p.185) l'exercice et, par lui, la mise au jour d'une
autre raison (qui fascine Rimbaud comme la possibilité ou comme
l'aube d'une nouvelle raison ?) » (p.582). ♦ par l'univers sans images MURPHY : « [...] à la fin du "v" 12, la virgule que les deux éditions [Suzanne Bernard et S.Bernard-A.Guyaux] introduisent de leur propre chef ("l'univers, sans images"), et sans prévenir le lecteur, n'existe pas, elle, dans le manuscrit » (p.496).
MURPHY : « [...] deux concepts non seulement très investis dans tout discours de légitimation ou de critique sociale, mais susceptibles de s'associer comme compléments ou comme antonymes. La force peut être celle qui fait régner le droit, — la police qui assure le respect des lois — ou celle qui s'attaque au droit, criminalité individuelle ou révolte collective, mais tout aussi bien non-respect de ses propres lois par un roi ou un État [...] ce sont des termes habituellement associés par Eugène Vermersch dans ses écrits [...]. Mais on les trouvera aussi bien , évidemment, chez Rousseau et tant d'autres philosophes intéressés par l'inégalité humaine et ses origines comme par les diverses formes concevables d'organisation politique » (p.484). MURAT : « C'est encore une formulation des espoirs fondés sur l'entreprise du poète que cette "raison" supérieure, par l'effet de laquelle les principes régissant la cité se confondent avec sa "danse" et avec sa "voix". Les mêmes mots ou presque figuraient dans la lettre à Demeny, et le thème est varié sur plusieurs tons dans le recueil, de la ferveur (À une raison) à la mélancolie (Angoisse) ou au sarcasme (Solde). Entre toutes ces versions, celle-ci n'est pas la plus convaincante. » (ibid.).
On pourra trouver ci-après un Bilan de lecture
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