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Une saison en enfer, avril-août 1873.

Mauvais sang (section 5)

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     Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur - et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
     Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.
     Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
     Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant !
Comme Jeanne d'Arc ! « Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous trompez... »
     Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan.
Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
     Connais-je encore la nature ? me connais-je ?
Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
     Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

 

 

 

Résumé

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Mauvais sang (section 5)

 § 1      Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
§ 2      Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.
§ 3      Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
§ 4      Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant ! Comme Jeanne d'Arc ! « Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous trompez... »
§ 5      Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
§ 6      Connais-je encore la nature ? me connais-je ? Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
§ 7      Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

 

 

Lexique

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Interprétations

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La mention "op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin de page.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Commentaire

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§ 1 - Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable ...

§ 2 - Sur les routes, par des nuits d'hiver, ...

§ 3 - Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire ...

§ 4 - Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites...

§ 5 - Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre...

§ 6 - Connais-je encore la nature ? ...

§ 7 - Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

Bibliographie

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Le Mythe du nègre chez Rimbaud, par Michel Courtois, dans Littérature, n° 11, pages 85-101, octobre 1973.
Une saison en enfer, édition critique par Pierre Brunel, José Corti, 1987.
Pages 223-225 pour le passage étudié ici.
Nègres blancs, par Roger Little, Ascalf Bulletin, n°4, Winter 1992.
Mauvais sang, par Marie-Paule Berranger, dans 12 poèmes de Rimbaud analysés et commentés, Marabout, pages 178-197, 1993
Il s'agit d'un commentaire composé du même passage (section 5 de Mauvais sang).
Arthur Rimbaud, fin de la littérature, lecture d'Une saison en enfer, par Alain Coelho, pages 50-52, Joseph K., 1995.

Nous indiquons par un "smiley" ce qui nous paraît devoir être consulté en priorité pour l'étude 
d'un texte donné, toute idée de "palmarès" mise à part.