Rimbaud, le poète (accueil)
>
Sur les Illuminations >
Les Illuminations manuscrites
sur internet > Observation des 5 poèmes de l'édition Vanier (1895)
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[1] Tous ces textes (à l'exception de Génie) figurant au départ sur un papier de même format 15 x 20, j'ai utilisé pour les miniatures de cette page la même règle que celle utilisée pour la page précédente : même largeur de 300 pixels pour chacune d'entre elles.
|
Les papiers. Les
sectionnements de feuillets ou Rimbaud bricolo. Jeunesse II-III-IV, Solde, Fairy et Guerre sont copiés, selon les catalogues, sur des feuilles de 20 x 15 cm. Le papier utilisé est ce papier non vergé "blanc-beige" dont nous avons parlé dans les pages antérieures parce qu'il a aussi servi au feuillet 18 (Veillées I, II) de NAF14123, à Promontoire, Soir historique et Scènes. Son format, on s'en souvient, est sensiblement plus large que le papier vergé de NAF14123, qui mesure en largeur 13 cm seulement [1]. Mais ce qui frappe surtout, quand on regarde les six miniatures reproduites ci-dessus, c'est la disparité des formats et le rôle important du bricolage dans la physionomie des manuscrits. Deux sur six seulement ont gardé les proportions d'origine des feuilles sur lesquelles ils ont été copiés : Jeunesse II-III-IV et Solde. Les autres ont subi des opérations de découpage et/ou de collage qui leur confèrent des dimensions atypiques.
Cet ensemble de textes est donc celui où l'on observe la plus grande disparité des manuscrits en matière de format. C'est sans doute la preuve d'un auteur hésitant, qui n'en est pas encore au point de pouvoir classer ses textes dans un ordre déterminé et de les enchaîner thématiquement sur un même feuillet. Je ne sais pas si Rimbaud aurait cru possible de remettre ses écrits sous forme de "paperolles" à un éventuel imprimeur, comme le fit plus tard Marcel Proust. Il est probable que, s'il en avait eu le temps ou l'énergie, il aurait recopié tous ces textes aux feuillets tronqués sur du papier à lettre de 20 par 13 ou par 15, selon son habitude, avant de les remettre à Verlaine "pour être imprimés". Une nouvelle fois, le travail de composition des Illuminations nous apparaît inachevé. Ces documents sont-ils pour autant antérieurs ou postérieurs au moment de la mise au net des deux premiers tiers du recueil ? Impossible à dire. Sauf peut-être à aller observer de plus près leur(s) style(s) d'écriture.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L'écriture
Ce ne sont pas des copies impeccables.
Plusieurs manuscrits comportent deux ou trois ratures et surcharges,
dont certaines difficiles à déchiffrer. Dans
Génie, par
exemple, le syntagme "les anciennes invasions" est si difficile à
lire qu'une main a réécrit le mot "invasions" au crayon à côté de la
surcharge. Mais rien à voir avec des brouillons. Une fois de plus,
nous avons affaire à des transcriptions quasi définitives. La moitié
des textes est calligraphiée dans une écriture assimilable au style
dextrogyre (Solde,
Guerre,
Jeunesse III et IV, et, me semble-t-il,
Génie). L'autre
moitié s'apparente plus ou moins à l'écriture ronde appelée
sinistrogyre (Fairy,
Jeunesse I,
Jeunesse II). Il est cependant étrange que
Jeunesse I, initialement copié sous le titre "Dimanche" à la
suite de
Génie paraisse
relever d'un style d'écriture considéré par André Guyaux comme
antérieur à celui que je relève dans
Génie. Ou bien
je me trompe sur la caractérisation de l'écriture de
Génie, ou bien
il faut admettre que ce critère différenciant chronologiquement
écriture ronde et écriture penchée est sujet à exceptions, doit être
appliqué avec prudence et relativisé. Malgré tout, le nombre
important de textes en écriture ronde, s'ajoutant à l'utilisation de
papier non vergé pour
Jeunesse II-III-IV,
Solde,
Fairy
et
Guerre, incline à penser qu'on a là des copies antérieures,
pour la plupart d'entre elles, à celles que nous trouvons archivées
dans
NAF14123
(datables, avec une forte probabilité, du printemps 1874). |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
Les numérotations Ce troisième ensemble de manuscrits est, comme le précédent et plus encore peut-être, bourré de chiffres. Steve Murphy les a relevés avec soin et analysés de façon très éclairante dans son article "Trois manuscrits autographes de Rimbaud", H.-L. 2004, p.53-56. Dans l'esprit du tableau synoptique procuré par Steve Murphy dans cet article, je reproduis ci-dessous la partie haute des six feuillets concernés, où les principaux chiffres se concentrent. J'indique, sous l'image, les chiffres qui me paraissent aisément discernables :
Je tente de résumer les conclusions de Steve Murphy : 1) Les chiffres du coin supérieur gauche :
Les chiffres du "coin
supérieur gauche" proviendraient, selon Steve Murphy, de l'équipe ayant préparé
l'édition Vanier de 1895 (on ne sait pas qui, nommément, a effectué
ce travail de préparation). Il s'agirait d'une numérotation en
chiffres arabes des six feuillets manuscrits devant être imprimés.
Elle suivrait étroitement la numérotation imprimée en chiffres
romains, à la seule différence près que, les manuscrits étant au
nombre de six pour cinq poèmes, le feuillet du poème V,
Solde, porte le n°6. Ils pourraient avoir été
inscrits par un intermédiaire dans le cadre de la transmission entre
Albert Messein et Lucien Graux (le libraire Ronald Davis peut-être,
d'après Murphy). Je n'entre pas dans le détail de la démonstration,
trop complexe. Ils coïncident avec l'agencement des poèmes dans l'édition Vanier. I, II et III sont tracés à l'encre, IV et V au crayon. Une hypothèse plausible serait que les chiffres à l'encre aient été inscrits par Rimbaud, ceux au crayon par la Maison Vanier. Mais Steve Murphy pense qu'une numérotation due intégralement à Rimbaud est plus probable, ce qui ferait des cinq poèmes de l'édition Vanier un groupe autonome, une sorte de super-série "chargée d'organiser en quelque sorte la fin de partie des Illuminations, le poème Solde étant destiné à donner au recueil une sorte de pointe ambigüe" (ibid. p.56). C'est là une hypothèse séduisante mais je dois avouer que la démonstration de Murphy m'a paru assez fragile. Si ces cinq poèmes, conjecture Steve Murphy, ont servi de butin à Léo d'Orfer, ce pourrait n'être pas seulement en vertu de leur caractère inédit mais parce qu'ils paraissaient former un ensemble constitué, validé par la numérotation auctoriale et susceptible d'être édité comme une œuvre à part, sans même devoir faire allusion aux Illuminations. Dans le cadre d'une telle hypothèse, l'inscription au crayon qui préconise de déplacer au dessus du titre le chiffre romain à l'encre erronément placé en dessous, dans les manuscrits de Fairy et de Génie, pourrait émaner soit du préparateur de l'édition, à destination des typographes, soit de Rimbaud lui-même, à destination de ses futurs éditeurs.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[2] J'emprunte plusieurs passages, dans les lignes ci-dessous, à mon travail intitulé La FAQ des Illuminations, question 6 : Les Illuminations ont-elles une "idée principale" ? |
Une séquence finale pour les Illuminations ? [2]
Dans les deux premiers
tiers des Illuminations, c'est essentiellement dans les
phénomènes de transcription par enchaînement, par chevauchement,
dans la constitution de séries numérotées, que nous avons détecté
les indices d'une volonté d'organisation du recueil.
Ici, rien de tout ça, sauf Jeunesse. Comme on l'a vu,
Jeunesse I a d'abord été
copié à la suite de Génie, du temps qu'il s'appelait
seulement Dimanche. Rimbaud a ensuite détruit cet effet de suite,
probablement pour créer la série Jeunesse. En tout cas, si ce n'était
dans ce but, le résultat a été le même : destruction d'une "série de
fait" d'un côté, constitution d'une série numérotée, d'une série
véritable de quatre textes, donc, d'un autre. L'opération a renforcé l'effet
d'organisation. 1) Jeunesse. Le pouvoir d'un titre. André Guyaux a révélé, dans Poétique du fragment (p.82), que "le mot Jeunesse, en haut du feuillet bleu où se trouve le premier des poèmes réunis sous ce titre, est écrit de la même plume que la copie d'Enfance et de Vies, cette plume qui imprègne le papier d'une manière caractéristique." L'écriture de ce mot rappelle aussi celle d'Enfance par son caractère nettement dextrogyre alors que les deux premiers poèmes de Jeunesse au moins appartiennent à la catégorie sinistrogyre. Le titre Jeunesse a donc été inscrit à ce moment bien identifié dont NAF14123 illustre les caractéristiques, moment où Rimbaud entreprend la confection calligraphiée d'un manuscrit pré-typographique. C'est aussi de ce moment, probablement, qu'on peut dater la réunion des quatre poèmes entrant dans la composition de Jeunesse, dans l'esprit qui préside aux séries numérotées du début du recueil. Ces différentes sections de Jeunesse ont en effet d'abord été, selon toute apparence, des poèmes indépendants. Les trois premiers d'entre eux possèdent leur propre titre. C'est unique dans les séries des Illuminations. Leur regroupement a surement été tardif. 2) La cohérence du groupement Dimanche - Sonnet -Vingt ans - "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..." Dans ce quatuor mélancolique intitulé Jeunesse, l'unité de sens l'emporte sur les facteurs de disparité issus des manuscrits (de par leurs papiers différents, leurs écritures d'époques différentes). Les quatre textes de Jeunesse sont en effet disparates et l'observation des manuscrits suggère que leur regroupement sous un même titre a été tardif. Mais leurs thèmes les rapprochent fortement. Tous se réfèrent au moment présent comme à une pause ("adagio", Jeunesse III), pause réflexive, méditation sur l'expérience vécue, travail de "mémoire" (Jeunesse IV) ou abandon rêveur à "la visite des souvenirs" (Jeunesse I). Chacun des poèmes fait contraster un temps passé (voir l'abondance des verbes à l'imparfait) et un présent ou un futur immédiat désignant le moment de l'écriture. Chacun, en effet, fait allusion à "l'œuvre" (Jeunesse I), au "labeur" (Jeunesse II), au "travail" littéraire (Jeunesse IV), en appelle à l'"impulsion créatrice" et à "toutes les possibilités harmoniques et architecturales" qu'elle est susceptible de mobiliser (Jeunesse IV), convoque "un chœur, pour calmer l'impuissance et l'absence !" (Jeunesse III). C'est du projet poétique en cours de réalisation, des Illuminations elles-mêmes, dans leur ensemble, qu'il s'agit. 3) La portée
symbolique du trio Génie
- Jeunesse -
Solde
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||