Rimbaud, le poète (accueil) > Sur les Illuminations > Les Illuminations manuscrites sur internet > Observation des 5 poèmes de l'édition Vanier (1895)

 

IV - Observation des cinq poèmes absents des éditions de 1886
qui ne furent publiés qu'en 1895 chez Vanier
          
 

 L'édition Vanier de 1895
Il existe un fac-similé chez Gallica


 

   Les six manuscrits (pour cinq poèmes)
   dans l'ordre suivi par l'édition Vanier.

   Des chiffres correspondant à cet ordre
   auraient figuré jadis dans le coin supérieur
   gauche des manuscrits mais on ne
   discerne plus vraiment (à la loupe) que
   le 3 de Génie et le 6 de
Solde.

   

 
 
  Bien que ce troisième ensemble de manuscrits ne présente pas la même difficulté d'accès que le précédent, j'ai réutilisé ci-dessus le système des miniatures. Chacune d'entre elles peut servir de lien hypertexte vers une reproduction plus grande et permettre éventuellement, malgré la visibilité réduite, une première observation des documents.
   Sur ces six feuillets, quatre sont archivés à la BNF sous la cote NAF 14124. Il s'agit de Fairy, Guerre, Solde et Jeunesse I sous-titré Dimanche. Quand on tourne les pages du volume relié en maroquin rouge de la BNF, on a accès au verso de chaque feuillet, comme c'était le cas pour NAF14123, où l'on peut lire la signature : Albert Messein, successeur de Léon Vanier, probablement destinée à authentifier les documents. Ces textes, ainsi que ceux de Génie et de Jeunesse II, II, IV, ont en effet été du lot emporté par Léo d'Orfer lors de son départ de La Vogue. Prêtés par ce dernier à son ami indélicat Charles Grolleau qui les vendit à Léon Vanier, ils furent achetés à Messein par Lucien Graux et finalement acquis par la BNF.
   C'est à l'écrivain autrichien Stefan Zweig, par ailleurs grand collectionneur, que Messein céda  Jeunesse II-III-IV (en fait, désirant obtenir de Stefan Zweig qui en était propriétaire, le droit de reproduire le manuscrit des Fêtes Galantes de Verlaine, il lui aurait offert en échange l'autographe de Jeunesse II-III-IV). Aujourd'hui hébergé à la Fondation Bodmer de Cologny, il a été mis en ligne depuis peu dans une excellente reproduction.
   Génie, enfin, aurait suivi la même filière de transmission jusqu'à Messein qui l'aurait vendu au libraire Henri Matarasso pour le compte de Pierre Berès. Il a fait l'objet d'excellentes photographies et figure dans le catalogue en ligne de la vente Pierre Berès du 20 juin 2006, page 103 de la septième partie.
   Au total, donc, nous avons aujourd'hui pour ces textes majeurs d'excellentes reproductions sur la toile. Nous avons bien de la chance.

 

 

 

[1] Tous ces textes (à l'exception de Génie) figurant au départ sur un papier de même format 15 x 20, j'ai utilisé pour les miniatures de cette page la même règle que celle utilisée pour la page précédente : même largeur de 300 pixels pour chacune d'entre elles.

 

  Les papiers. Les sectionnements de feuillets ou Rimbaud bricolo.

   Jeunesse II-III-IV, Solde, Fairy et Guerre sont copiés, selon les catalogues, sur des feuilles de 20 x 15 cm. Le papier utilisé est ce papier non vergé "blanc-beige" dont nous avons parlé dans les pages antérieures parce qu'il a aussi servi au feuillet 18 (Veillées I, II) de NAF14123, à Promontoire, Soir historique et Scènes. Son format, on s'en souvient, est sensiblement plus large que le papier vergé de NAF14123, qui mesure en largeur 13 cm seulement [1]. Mais ce qui frappe surtout, quand on regarde les six miniatures reproduites ci-dessus, c'est la disparité des formats et le rôle important du bricolage dans la physionomie des manuscrits. Deux sur six seulement ont gardé les proportions d'origine des feuilles sur lesquelles ils ont été copiés : Jeunesse II-III-IV et Solde. Les autres ont subi des opérations de découpage et/ou de collage qui leur confèrent des dimensions atypiques.

  • La feuille ayant servi à Fairy a été sectionnée pour accueillir Veillées I-II (feuillet 18), comme le montre ce montage :

                                 Feuillets découpés de Fairy et Veillées I-II
     

  • Celle ayant servi à Guerre a été prélevée par découpe dans le manuscrit de Promontoire. Rimbaud a en effet réduit Promontoire à la dimension d'un carré de 15 x 15 et utilisé le rectangle restant de 5 x 20 cm pour copier Guerre, comme le montre cet autre montage :

                                 Feuillets découpés de Guerre et Promontoire
     
  • Génie a été copié sur deux feuillets de papier bleu d'approximativement 13 x 20,5. Mais il restait sur le second de ces feuillets, après la copie de Génie, un espace libre de 9,5 cm de hauteur dans lequel Rimbaud a copié Jeunesse I. Dimanche. C'est pour cette raison que nous trouvons les deux poèmes sur un même papier bleu. Ce n'est qu'après la copie de Dimanche, qui ne s'appelait pas encore Jeunesse I, que le poète a décidé de rassembler ce texte avec les trois poèmes groupés dans Jeunesse II-III-IV. On le comprend à voir l'exigüité de l'espace où le chiffre "— I —" (entre deux tirets) a pu trouver place, sous le titre général "Jeunesse", tracé en petites lettres penchées.

    Enfin, ayant peut-être douté, un moment, de l'opportunité de cet enchaînement, notre bricolo a jugé bon de sectionner la partie de manuscrit occupée par Jeunesse I. Dimanche, non sans devoir arrondir son coup de ciseau pour pouvoir en conserver le titre, et a décidé de coller la seconde partie de Génie avec la première, produisant ainsi un document atypique de 31,7 cm de hauteur. Je place sous les yeux du lecteur, ici, un troisième montage permettant de représenter l'opération :

                                      Feuillets découpés de Fairy et Veillées I-II

   Cet ensemble de textes est donc celui où l'on observe la plus grande disparité des manuscrits en matière de format. C'est sans doute la preuve d'un auteur hésitant, qui n'en est pas encore au point de pouvoir classer ses textes dans un ordre déterminé et de les enchaîner thématiquement sur un même feuillet. Je ne sais pas si Rimbaud aurait cru possible de remettre ses écrits sous forme de "paperolles" à un éventuel imprimeur, comme le fit plus tard Marcel Proust. Il est probable que, s'il en avait eu le temps ou l'énergie, il aurait recopié tous ces textes aux feuillets tronqués sur du papier à lettre de 20 par 13 ou par 15, selon son habitude, avant de les remettre à Verlaine "pour être imprimés". Une nouvelle fois, le travail de composition des Illuminations nous apparaît inachevé. Ces documents sont-ils pour autant antérieurs ou postérieurs au moment de la mise au net des deux premiers tiers du recueil ? Impossible à dire. Sauf peut-être à aller observer de plus près leur(s) style(s) d'écriture.

 

    L'écriture

   Ce ne sont pas des copies impeccables. Plusieurs manuscrits comportent deux ou trois ratures et surcharges, dont certaines difficiles à déchiffrer. Dans Génie, par exemple, le syntagme "les anciennes invasions" est si difficile à lire qu'une main a réécrit le mot "invasions" au crayon à côté de la surcharge. Mais rien à voir avec des brouillons. Une fois de plus, nous avons affaire à des transcriptions quasi définitives. La moitié des textes est calligraphiée dans une écriture assimilable au style dextrogyre (Solde, Guerre, Jeunesse III et IV, et, me semble-t-il, Génie). L'autre moitié s'apparente plus ou moins à l'écriture ronde appelée sinistrogyre (Fairy, Jeunesse I, Jeunesse II). Il est cependant étrange que Jeunesse I, initialement copié sous le titre "Dimanche" à la suite de Génie paraisse relever d'un style d'écriture considéré par André Guyaux comme antérieur à celui que je relève dans Génie. Ou bien je me trompe sur la caractérisation de l'écriture de Génie, ou bien il faut admettre que ce critère différenciant chronologiquement écriture ronde et écriture penchée est sujet à exceptions, doit être appliqué avec prudence et relativisé. Malgré tout, le nombre important de textes en écriture ronde, s'ajoutant à l'utilisation de papier non vergé pour Jeunesse II-III-IV, Solde, Fairy et Guerre, incline à penser qu'on a là des copies antérieures, pour la plupart d'entre elles, à celles que nous trouvons archivées dans NAF14123 (datables, avec une forte probabilité, du printemps 1874).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Les numérotations

   Ce troisième ensemble de manuscrits est, comme le précédent et plus encore peut-être, bourré de chiffres. Steve Murphy les a relevés avec soin et analysés de façon très éclairante dans son article "Trois manuscrits autographes de Rimbaud", H.-L. 2004, p.53-56. Dans l'esprit du tableau synoptique procuré par Steve Murphy dans cet article, je reproduis ci-dessous la partie haute des six feuillets concernés, où les principaux chiffres se concentrent. J'indique, sous l'image, les chiffres qui me paraissent aisément discernables :

 

I
Fairy
I

2

 

II            Guerre

4

3

III
Génie
III

6

4 ?

IV   Jeunesse

Dimanche

3

5 ?

II
Sonnet

 

6

V
Solde

1

 

    Je tente de résumer les conclusions de Steve Murphy :

    1) Les chiffres du coin supérieur gauche :

    Dans ce volume des Poésies complètes, nos cinq "Illuminations" apparaissent numérotées en chiffres romains : I-Fairy, II-Guerre, III-Génie, IV-Jeunesse, V-Solde, ainsi qu'on le voit dans l'image ci-dessous, issue du fac-similé Gallica des épreuves de cette édition.
 

 

   Les chiffres du "coin supérieur gauche" proviendraient, selon Steve Murphy, de l'équipe ayant préparé l'édition Vanier de 1895 (on ne sait pas qui, nommément, a effectué ce travail de préparation). Il s'agirait d'une numérotation en chiffres arabes des six feuillets manuscrits devant être imprimés. Elle suivrait étroitement la numérotation imprimée en chiffres romains, à la seule différence près que, les manuscrits étant au nombre de six pour cinq poèmes, le feuillet du poème V, Solde, porte le n°6.
   Je dois dire que je ne vois pas le chiffre 1 "presque effacé" qui subsisterait dans le "coin supérieur gauche" de Fairy selon Murphy. La trace très effacée d'un chiffre 4 apparaît peut-être sur le manuscrit de
Jeunesse I. Un chiffre "5" bien mal formé apparaît peut-être sur le fac-similé de Jeunesse II-III-IV (manuscrit commençant par le titre du deuxième poème de la série : "II - Sonnet"). Mais seuls sont vraiment visibles, pour moi (sur les numérisations auxquelles j'ai accès), le "3" de Génie et le "6" de Solde. Le "3" de Génie coïncide en effet avec la place du poème dans l'édition Vanier. Quant au "6" de Solde, il pourrait s'expliquer par le fait que Jeunesse occupe deux feuillets. Il s'agirait alors d'un décompte des manuscrits, qui sont au nombre de six pour cinq poèmes.

   2) Les chiffres de droite :

   Ils pourraient avoir été inscrits par un intermédiaire dans le cadre de la transmission entre Albert Messein et Lucien Graux (le libraire Ronald Davis peut-être, d'après Murphy). Je n'entre pas dans le détail de la démonstration, trop complexe.

   3) Les chiffres romains centrés :

   Ils coïncident avec l'agencement des poèmes dans l'édition Vanier. I, II et III sont tracés à l'encre, IV et V au crayon. Une hypothèse plausible serait que les chiffres à l'encre aient été inscrits par Rimbaud, ceux au crayon par la Maison Vanier. Mais Steve Murphy pense qu'une numérotation due intégralement à Rimbaud est plus probable, ce qui ferait des cinq poèmes de l'édition Vanier un groupe autonome, une sorte de super-série "chargée d'organiser en quelque sorte la fin de partie des Illuminations, le poème Solde étant destiné à donner au recueil une sorte de pointe ambigüe" (ibid. p.56). C'est là une hypothèse séduisante mais je dois avouer que la démonstration de Murphy m'a paru assez fragile. Si ces cinq poèmes, conjecture Steve Murphy, ont servi de butin à Léo d'Orfer, ce pourrait n'être pas seulement en vertu de leur caractère inédit mais parce qu'ils paraissaient former un ensemble constitué, validé par la numérotation auctoriale et susceptible d'être édité comme une œuvre à part, sans même devoir faire allusion aux Illuminations. Dans le cadre d'une telle hypothèse, l'inscription au crayon qui préconise de déplacer au dessus du titre le chiffre romain à l'encre erronément placé en dessous, dans les manuscrits de Fairy et de Génie, pourrait émaner soit du préparateur de l'édition, à destination des typographes, soit de Rimbaud lui-même, à destination de ses futurs éditeurs.

 

[2] J'emprunte plusieurs passages, dans les lignes ci-dessous, à mon travail intitulé La FAQ des Illuminations, question 6 : Les Illuminations ont-elles une "idée principale" ?      Une séquence finale pour les Illuminations ? [2]

   Dans les deux premiers tiers des Illuminations, c'est essentiellement dans les phénomènes de transcription par enchaînement, par chevauchement, dans la constitution de séries numérotées, que nous avons détecté les indices d'une volonté d'organisation du recueil. Ici, rien de tout ça, sauf Jeunesse. Comme on l'a vu, Jeunesse I a d'abord été copié à la suite de Génie, du temps qu'il s'appelait seulement Dimanche. Rimbaud a ensuite détruit cet effet de suite, probablement pour créer la série Jeunesse. En tout cas, si ce n'était dans ce but, le résultat a été le même : destruction d'une "série de fait" d'un côté, constitution d'une série numérotée, d'une série véritable de quatre textes, donc, d'un autre. L'opération a renforcé l'effet d'organisation.
   

   1) Jeunesse. Le pouvoir d'un titre.

   André Guyaux a révélé, dans Poétique du fragment (p.82), que "le mot Jeunesse, en haut du feuillet bleu où se trouve le premier des poèmes réunis sous ce titre, est écrit de la même plume que la copie d'Enfance et de Vies, cette plume qui imprègne le papier d'une manière caractéristique." L'écriture de ce mot rappelle aussi celle d'Enfance par son caractère nettement dextrogyre alors que les deux premiers poèmes de Jeunesse au moins appartiennent à la catégorie sinistrogyre. Le titre Jeunesse a donc été inscrit à ce moment bien identifié dont NAF14123 illustre les caractéristiques, moment où Rimbaud entreprend la confection calligraphiée d'un manuscrit pré-typographique. C'est aussi de ce moment, probablement, qu'on peut dater la réunion des quatre poèmes entrant dans la composition de Jeunesse, dans l'esprit qui préside aux séries numérotées du début du recueil. Ces différentes sections de Jeunesse ont en effet d'abord été, selon toute apparence, des poèmes indépendants. Les trois premiers d'entre eux possèdent leur propre titre. C'est unique dans les séries des Illuminations. Leur regroupement a surement été tardif.

  
   L'opération Jeunesse a donc renforcé l'effet d'organisation de la fin du recueil mais elle a aussi consolidé la perception du recueil comme un tout cohérent. Bizarrement, André Guyaux qui signale dûment la passerelle autobiographique tendue par ce titre Jeunesse vers les titres d'Enfance et de Vies, au début du recueil, regrette que Rimbaud n'ait pas regroupé ces trois séries en un "vaste ensemble, de douze fragments sous trois titres [...]. Mais tout comme de nouveaux textes ont interrompu la suite Enfance - Vies, les textes de Jeunesse sont restés en dehors de la première liasse de textes publiés par Fénéon." (ibid. p. 82). C'est ne pas voir que le concept de "jeunesse", mis en relief comme il l'est à la fin du recueil, joue un rôle structurant bien plus important que si la série numérotée portant ce nom avait été regroupée avec Enfance et Vies. Il offre au lecteur une piste de lecture pour le recueil tout entier.
   Plusieurs pièces de la dernière partie des Illuminations évoquent la "jeunesse". Le mot "jeunesse" apparaît déjà dans Angoisse, poème qui n'est pas très éloigné des trois titres conclusifs Génie - Jeunesse -
Solde : "Jeunesse de cet être-ci ; moi !". Mais le thème est surtout développé dans les quatre poèmes coiffés par le titre Jeunesse : Dimanche, Sonnet, Vingt ans, "Tu en es encore à la tentation d'Antoine...". Par sa signification générale (englobant enfance, adolescence, accession au statut de "jeune femme" ou de "jeune homme"), le mot "jeunesse" annonce l'idée d'un bilan d'ensemble. Il suggère le regard rétrospectif posé sur tout un passé, des "journées enfantes" (Jeunesse II) jusqu'à l'âge de "Vingt ans" (titre de la troisième section de Jeunesse). Un regard posé par l'auteur sur toute une période de sa vie à partir du moment présent, point de bascule vers la vie adulte (Rimbaud a eu vingt ans le 20 octobre 1874). C'est le moment, pour le sujet, de dépasser la crise d'adolescence : "L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi" (Jeunesse IV). "Ah! l'égoïsme infini de l'adolescence" (Jeunesse III, "Vingt ans"). On se rappelle aussi la formule par laquelle Dévotion donne congé à l'adolescence ("À l'adolescent que je fus").

   2) La cohérence du groupement Dimanche - Sonnet -Vingt ans - "Tu en es encore à la tentation d'Antoine..."

   Dans ce quatuor mélancolique intitulé Jeunesse, l'unité de sens l'emporte sur les facteurs de disparité issus des manuscrits (de par leurs papiers différents, leurs écritures d'époques différentes). Les quatre textes de Jeunesse sont en effet disparates et l'observation des manuscrits suggère que leur regroupement sous un même titre a été tardif. Mais leurs thèmes les rapprochent fortement. Tous se réfèrent au moment présent comme à une pause ("adagio", Jeunesse III), pause réflexive, méditation sur l'expérience vécue, travail de "mémoire" (Jeunesse IV) ou abandon rêveur à "la visite des souvenirs" (Jeunesse I). Chacun des poèmes fait contraster un temps passé (voir l'abondance des verbes à l'imparfait) et un présent ou un futur immédiat désignant le moment de l'écriture. Chacun, en effet, fait allusion à "l'œuvre" (Jeunesse I), au "labeur" (Jeunesse II), au "travail" littéraire (Jeunesse IV), en appelle à l'"impulsion créatrice" et à "toutes les possibilités harmoniques et architecturales" qu'elle est susceptible de mobiliser (Jeunesse IV), convoque "un chœur, pour calmer l'impuissance et l'absence !" (Jeunesse III). C'est du projet poétique en cours de réalisation, des Illuminations elles-mêmes, dans leur ensemble, qu'il s'agit.

    3) La portée symbolique du trio Génie - Jeunesse - Solde

    Or, ce moment des Illuminations, dans la jeune vie de Rimbaud, c'est surtout le moment des choix décisifs. Choix que Génie et Solde semblent orienter dans des sens opposés. La place de Jeunesse (le texte), coincé entre ces deux poèmes, est homologue à la situation du poète lui-même, en devoir de choisir entre deux options d'allures contraires (à moins qu'elles ne soient finalement complémentaires) :
    - celle qu'illustre la saynète allégorique de Solde : le renoncement à cette chimère sans avenir qu'est le commerce de l'Idéal dans une société prosaïque et hostile,
   - celle qui ressort de Génie : la relance à l'infini d'une forme profane de quête messianique, ne fondant ses espérances que sur la "fécondité de l'esprit" et l'"immensité de l'univers". 
   D'où la pertinence du regroupement Génie - Jeunesse - Solde en tant que conclusion possible du recueil. Il n'est pas étonnant que tant d'éditeurs aient placé Génie et Solde, à tour de rôle, en position finale. Chacun de ces textes, à sa manière, peut passer pour un mémoire récapitulatif des thèmes et des idées esthétiques de Rimbaud (voir les dossiers consacrés à ces deux textes majeurs dans mon anthologie commentée). Mais c'est le cycle Jeunesse, regard rétrospectif posé sur toute une histoire à partir de son dénouement, qui est au centre de cette ultime séquence. Un dénouement dont Rimbaud nous donne même la date : celle de ses "vingt ans" (titre de la troisième partie de la série).