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Rimbaud, le poète
> Sur les Illuminations >
Participes insolites |
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PARTICIPES INSOLITES DES ILLUMINATIONS
Sur la piste d'une exégèse pour le 4e
alinéa de Scènes
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[1] « L'ancienne
comédie ne cesse de suivre les pas des promeneurs », Bruno Claisse,
Les Illuminations et l'accession au réel, Classiques Garnier,
2012, p.179.
[2] Antoine Fongaro, De la lettre à l'esprit. Pour lire
Illuminations, Honoré Champion, 2004, p. 344.
[3] « Salle plongée dans l'obscurité où
l'on ne suit les pas des promeneurs (le public) que grâce à des
lanternes », Rimbaud,
Œuvres complètes, éd. Pierre Brunel, La Pochothèque, 1999,
p. 499. |
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Cela commence par une majuscule et cela finit par un point. Le seul
verbe de la phrase est un participe présent. C'est l'une des scènes
de Scènes :
Dans des corridors de gaze
noire, suivant le pas des promeneurs aux lanternes et aux
feuilles.
La
plupart des commentateurs évitent de commenter et ceux
qui s'y risquent se contredisent. Je n'ai trouvé de tentatives de
traduction en langue courante que
chez Bruno Claisse [1], Pierre Brunel
[2] et Antoine Fongaro
[3]. Mais je résiste à la solution Claisse, consistant a donner pour
sujet à « suivant » : « L'ancienne comédie », deux alinéas plus
haut, et à celle de Fongaro faisant de « suivant » une préposition,
qui rattacherait la phrase à « divise ses Idylles ».
Spontanément, je me rangerais plutôt derrière la prudente hypothèse
de Brunel : un implicite sujet « on ». Par ailleurs, est-ce dans les couloirs d'un théâtre ou
dans les rues d'une ville gagnée par la nuit que les choses se
passent ? Tout cela est bien
mystérieux ! Mais le plus mystérieux de tout, c'est cette phrase
bâtie autour d'un unique participe présent. Et ce n'est là qu'un
échantillon des insolites et fascinants participes des
Illuminations. |
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Petite révision
grammaticale. On distingue le rôle tenu par
le participe dans la proposition participiale, où il est un
verbe, des
autres emplois qui sont les siens dans l'usage courant de la langue.
Bottom, par exemple, commence par une proposition subordonnée
participiale :
La réalité étant trop épineuse pour mon grand
caractère, — je me trouvai néanmoins chez ma dame [...]
En effet, le participe présent « étant » possède
un sujet propre : « la réalité ». La proposition est subordonnée parce
qu'elle n'aurait aucun sens, détachée de la principale qui la
suit,
par rapport à laquelle elle assume une fonction, dans ce cas,
concessive (elle équivaut à : « Bien que la réalité soit trop
épineuse pour mon grand caractère [...]). Mais, le plus souvent, ces
participiales équivalent à des
subordonnées de cause ou de temps. Ainsi, lorsque Rimbaud écrit dans
Matinée d'ivresse :
[...] la fanfare tournant, nous serons rendu à
l'ancienne inharmonie.
il faut comprendre : « [quand] la fanfare tourn[era],
nous serons rendu à l'ancienne inharmonie » et, lorsqu'il écrit dans
Being Beauteous :
[...] la saveur forcenée de ces effets se
chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques
que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de
beauté, – elle recule, elle se dresse.
il faut comprendre : « [pendant que] ou
[parce que] la saveur forcenée de ces effets se charg [ent] avec
les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin
derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle
recule, elle se dresse ».
Par ailleurs, il existe de multiples usages non verbaux du participe
présent. Ainsi, quand Rimbaud écrit, dans Nocturne vulgaire :
[...] m'étant appuyé du pied à une gargouille,
— je suis descendu dans ce carrosse [...]
le participe passé composé du premier membre de
phrase n'a pas de sujet propre, il complète le verbe de la
proposition qui suit, à droite du tiret, à la manière d'un
circonstanciel de temps et/ou de manière. De même, quand on lit dans
Les Ponts :
Un bizarre dessin de
ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou
obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se
renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, [...]
les participes présents
rencontrés apparaissent simplement apposés à un groupe pronominal
(« d'autres », mis pour « ponts ») ou nominal (« ces figures »). Ils
équivalent à une proposition relative : « d'autres [qui descendent]
ou [qui obliquent] ».
Mais on sent bien, quand on pratique de telles substitutions, que l'on
perd quelque chose de la forme initiale. C'est particulièrement
sensible dans le syntagme « et ces figures se renouvelant dans les autres
circuits éclairés du canal », où le participe évoque plus que
les précédents une action en train de se faire. Ce quelque chose
perdu, c'est la valeur
aspectuelle du participe présent : l'expression de l'inaccompli, le
procès verbal présenté sous l'angle de la durée.
Michel Murat, qui s'est intéressé à la question des participes rimbaldiens,
commente ainsi leur usage dans Les Ponts :
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LES PONTS |
[4] Michel
Murat, L'Art de Rimbaud, José Corti, 2013, p.305-306. |
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Les constructions avec participe sont
nombreuses dans les Illuminations. Cela tient d'abord à
ce que dans certains poèmes où il y a peu de verbes conjugués,
les appositions fournissent l'armature du texte. Ainsi, dans
Les Ponts, une cascade de participes présents détaille le
« bizarre dessin » : « [...] d'autres descendant ou obliquant en
angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les
autres circuits éclairés du canal ». Rimbaud se sert de la
terminaison -ant comme d'un noyau rimique, qu'il reprend
par des mots d'autres catégories (« en angles », « dans »). Le
participe a d'autre part un effet propre : comme il ne peut
marquer que l'opposition entre procès en cours et procès
accompli, il fait prévaloir l'aspect sur le temps. Son usage
s'inscrit dans un processus global de nominalisation ; il permet
l'intégration directe de structures complexes dans des séquences
dominées par le nom [4].
C'est si juste qu'il arrive à Rimbaud de détacher
un groupe comme « et ces figures se renouvelant dans les autres
circuits du canal » pour en faire une sorte de phrase nominale,
autonome, au sein de laquelle la valeur aspectuelle du participe
présent (mimésis d'un procès en cours d'accomplissement) est
puissamment mise en valeur. Tel est le cas de l'incise : « — oh les
pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — », dans
Après le Déluge, qu'Adrien Cavallaro commente en détail dans
sa notice sur Les Illuminations du Dictionnaire Rimbaud : |
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APRÈS LE DÉLUGE ET BEING BEAUTEOUS. |
[5]
Dictionnaire Rimbaud Sous la direction
d’Adrien Cavallaro, Yann Frémy et
Alain
Vaillant, Classiques Garnier, 2021, p. 384.
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Entre le troisième et le dernier paragraphe d’Après le
Déluge, la matérialisation participiale du processus de
transformation affecte « fleurs » et « pierres précieuses »
(«[…] les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs
ouvertes »), le présent cristallisant et étalant en quelque
sorte l’enfouissement dans une durée indéfinie, le passé,
adjectif verbal, insistant au contraire sur l’état nouveau issu
de la transformation. La fin de Being Beauteous
reconduit cette tension aspectuelle (« Et les frissons s’élèvent
et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant
avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le
monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté,
– elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d’un
nouveau corps amoureux ») : la proposition participiale est comme
autonomisée dans l’expression de la métamorphose, et entre
directement en tension avec un accomplissement merveilleux de la
transformation, assumé par le passif final ; de l’un à l’autre,
il y a solution de continuité
[5].
Dans le second de ces exemples (celui de
Being Beauteous) Adrien Cavallaro mentionne pertinemment une
impression d'autonomisation du segment de phrase étudié, dont la
source, selon moi, réside moins dans la forme verbale proprement
dite que dans la façon dont Rimbaud l'isole de son contexte
syntaxique. Nous avons vu que le
segment concerné d'Après le Déluge est une phrase en incise
et, comme telle, syntaxiquement autonome. Or, de façon plus insolite,
s'agissant d'une proposition subordonnée, la proposition
participiale de Being Beauteous est séparée de sa principale
par un tiret redoublant une virgule, de telle sorte qu'on la ressent quasiment, à la
lecture, comme une indépendante. Impression erronée mais d'autant
plus excusable chez le lecteur que le membre de phrase qui
précède immédiatement et auquel notre participiale est coordonnée,
constitue, lui, une authentique indépendante :
-
P1 (phrase indépendante) - « Et les frissons s’élèvent et
grondent »
-
Coordonnant - « et »
-
P2 (phrase complexe) - « la saveur forcenée de ces effets se
chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques
que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de
beauté, – elle recule, elle se dresse ».
À l'effet disruptif de ce tiret s'ajoute le
caractère énigmatique du sujet de la principale. De quel nom le
pronom personnel « Elle » est-il la reprise ? Une seule réponse est
possible : il renvoie à « mêre de beauté ». Mais, dans ce cas, on
s'attendrait plutôt à un « celle-ci », évitant au
lecteur de rechercher spontanément l'antécédent indispensable du
côté du sujet de la participiale (« la saveur »). Bref, la
syntaxe de la phrase est calculée de manière à déjouer les
automatismes
de lecture en autonomisant par plusieurs moyens convergents la
subordonnée participiale, ce qui n'est probablement pas sans rapport
avec le sens érotique du passage.
Il convient en effet de comprendre que c'est par réaction aux
sifflements produits par « le corps adoré » situé devant elle
(cf. « devant une neige »), et par réaction aux sifflets de
désapprobation émis dans sa direction par « le monde, loin derrière
nous », que « notre mère de beauté » « recule », « se dresse », et
passe à l'ouvrage « sur le chantier ». L'auteur, par
l'ambiguïté de la construction choisie, freine-t-il
l'intelligibilité du texte ou la favorise-t-il ? On peut se le
demander. On aurait voulu dire au lecteur : « Attention ! Soyez
vigilants ! » qu'on ne s'y serait pas pris autrement.
Ce rôle de la syntaxe dans l'autonomisation du participe et la mise
en évidence de sa valeur aspectuelle n'est pas inhabituel, chez
Rimbaud. Ses constructions participiales sont souvent
accompagnées de quelque bizarrerie syntaxique.
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MATINÉE D'IVRESSE
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On trouve par exemple, dans Matinée d'ivresse, l'étrange
construction suivante : « cela finit, — ne pouvant nous saisir
sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de
parfums ». Le membre de phrase entre tirets n'a pas de sujet propre,
le « nous » de « nous saisir » n'est qu'un pronom réfléchi
appartenant au verbe pronominal « se saisir ». Nous ne devrions donc
pas parler, dans ce cas d'une proposition participiale mais
d'un simple participe apposé. Mais apposé à quoi ? À l'évidence, il
ne saurait renvoyer au noyau phrastique suivante : « cela finit » (on
attendrait un verbe introduit par un « nous »). Ce dernier membre de phrase n'est donc pas
plus une proposition principale que le précédent n'est une
subordonnée de cause, et pourtant, le rapport logique est bien
celui-là. Ce sont en quelque sorte deux propositions indépendantes :
et d'autant plus autonomes l'une de l'autre qu'elles sont séparées
par un tiret. Une fois de plus Rimbaud semble avoir cherché (et
trouvé) le moyen d'autonomiser au maximum un groupe participial.
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BOTTOM
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La réalité étant
trop épineuse pour mon grand caractère, — je me trouvai néanmoins
chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s'essorant vers les moulures
du plafond et traînant l'aile dans les ombres de la soirée.
Cette première phrase au sens
énigmatique de Bottom n'a rien à se reprocher sur le plan
syntaxique : elle commence par une proposition participiale à valeur
causale parfaitement académique (le participe a son sujet propre),
et se poursuit avec une proposition principale dotée d'un sujet
différent, comme il est normal. Mais on remarque deux bizarreries :
1) Pourquoi ces deux propositions sont-elles séparées
par un tiret ?
2) Pourquoi la valeur concessive de la subordonnée, impliquée
par la présence de l'adverbe « trop », est-elle réitérée dans la
principale, de façon redondante, par un « néanmoins » ? ... si ce
n'est que Rimbaud a ressenti ou a voulu nous faire ressentir ces
propositions, normalement dépendantes l'une de l'autre et liées
entre elles, comme des
membres de phrases autonomes.
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NOCTURNE VULGAIRE |
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Le long de la vigne, m'étant appuyé du pied à une
gargouille, — je suis descendu dans ce carrosse dont l'époque est
assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les
sophas contournés —
L'exemple, tout en concernant un
participe passé composé (et non un participe présent) montre une
certaine similitude avec le précédent. Ici aussi nous avons affaire
à une construction qui pourrait passer pour « normale » : un
ensemble formé d'un groupe participial à valeur
circonstancielle
(« m'étant appuyé du pied sur une gargouille ») complétant le
verbe principal de la phrase (« je suis descendu »). Mais
on remarque deux bizarreries :
1) Pourquoi le circonstanciel de lieu « Le long de la vigne »,
qu'on aurait attendu postposé au verbe qu'il complète (« je suis descendu
le long de la vigne ») est-il ainsi détaché en tête de phrase ?
2) Pourquoi un tiret sépare-t-il le groupe participe du noyau
phrastique
qu'il complète, de telle sorte qu'à la lecture il semble modifier le
groupe précédent(comme si Rimbaud avait écrit : « m'étant appuyé
appuyé du pied à une gargouille le long de la vigne »), plutôt
que le groupe suivant dont il est réellement complément ?
Une fois de plus, il semble que Rimbaud se soit ingénié à
disjoindre les composants de la phrase et à les déplacer par rapport
à l'ordre attendu de manière à proposer une sorte de puzzle ludique
au lecteur complice, quitte à décourager
le lecteur trop pressé. Michel Murat décrit bien l'impression
ressentie dans un passage de L'Art de Rimbaud :
La tendance forte des Illuminations à autonomiser les
constituants de la phrase ne se prête pas bien à une analyse en
termes d'ordre des mots. Elle correspond davantage à des
processus cognitifs de thématisation et de construction du point
de vue. Elle tend à décentrer la phrase et à l'organiser par
« intersection » de plans, comme un réseau de cloisons
mobiles — à l'instar du dispositif de Scènes. Dans bien
des poèmes, Rimbaud fait de la phrase une scène à
transformations. Il se sert de la syntaxe comme d'un appareil de
leviers et de poulies, qui commande la succession des décors
(309).
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SCÈNES |
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Pour
finir, revenons à Scènes. Il est bon de replacer l'alinéa
qui nous intéresse dans son co-texte de phrases
nominales : je reproduis tout ce début de poème.
L'ancienne
Comédie poursuit ses accords et divise ses Idylles : Des boulevards de tréteaux. Un long pier en bois d'un bout à l'autre d'un champ
rocailleux où la foule barbare évolue sous les arbres
dépouillés.
Dans des corridors de gaze noire, suivant le pas des promeneurs aux
lanternes et aux feuilles. [...]
Le reste du
poème est constitué de phrases verbales.
Pierre Brunel, en 1999, voit dans le mot « corridors » la
description d'« une salle plongée
dans l'obscurité (“noire”) où l'on ne suit les pas des “promeneurs”
(le public) que grâce aux « lanternes » (cf. les lampes de nos
modernes ouvreuses) ». Autrement dit, comme beaucoup
de commentateurs, il situe les « boulevards de tréteaux » du
poème sur la scène et dans les coulisses d'un théâtre. Il interprète
le mot « suivant » comme un participe présent, de la même manière
que Bruno Claisse, mais, plutôt qu'aux « Idylles », il affecte
l'action de suivre à un implicite et mystérieux sujet « on »
(un regard sans identité clairement définie braqué sur cette
« scène », celui d'un spectateur ou celui du poète).
Bruno Claisse et Antoine Fongaro, selon des scénarios sémantiques
et syntaxiques à peine différents, rattachent le
quatrième alinéa au premier. Ils supposent tous deux que Rimbaud emploie le mot « corridors »
métaphoriquement pour désigner les rues de la ville. Mais l'un
rattache « suivant » à « divise », l'autre à « poursuit ».
C'est l'explication de Claisse qui est la plus précise :
Aux deux propositions du
premier paragraphe (« L'ancienne Comédie poursuit ses accords et
divise ses Idylles »), le quatrième paragraphe adjoint un
complément circonstanciel de lieu (« Dans les corridors de gaze
noire », de même qu'un participe (« suivant ») grammaticalement
rattaché à « L'ancienne Comédie », ainsi créditée d'une action
en cours d'accomplissement : « L'ancienne Comédie » ne cesse de
suivre « le pas des promeneurs » ; elle ne le quitte
jamais, l'accompagnant toujours. Le Grand Dictionnaire
universel de Pierre Larousse insiste particulièrement sur
l'emploi du verbe suivre avec un objet inanimé. Il note
les exemples suivants : « Ce bâton m'a suivi dans tous mes
voyages. Ce paquet doit me suivre partout. “Les mœurs anglaises
suivent partout les Anglais” (Chateaubriand). “La vanité suit
l'homme jusqu'à sa dernière demeure”. “Dans le fond des
forêts,votre image me suit” (Racine) ».
On l'a compris, c'est le thème de
l'universalité de la Comédie humaine : comme sa vanité suit l'homme
jusqu'à sa dernière heure, sa comédie le suit partout, sur ces
boulevards de tréteaux qui sont le théâtre de son existence.
L'explication est astucieuse et a le mérite de restituer à la phrase
une cohérence syntaxique compromise. Mais il y a tout de même bien
loin entre le premier et le quatrième alinéas du texte pour qu'on
puisse les lier l'un à l'autre au sein d'une même phrase.
On pourrait imaginer que Rimbaud a d'abord conçu un tel
enchaînement logique, puis a décidé de truffer son début de texte
avec ces phrases nominales des alinéas deux et trois qui en rompent
la continuité. Dans ce cas, il n'aurait pas spontanément posé cette
phrase baroque, ni nominale ni verbale. Il ne l'aurait pas posée,
mais il l'aurait osée, en décidant a posteriori de l'abandonner
telle quelle à notre étonnement. Ce ne serait pas tellement étonnant
vu le goût de Rimbaud pour les constructions participiales
flottantes, autonomisées afin d'en faire ressortir la valeur modale.
En tout état de cause, si ce lien syntaxique du §4 avec le premier
alinéa a jamais existé, Rimbaud l'a brisé et on peut être certain
que c’est en pleine connaissance de cause. Nous n’avons en réalité
pas d’autre choix que de prendre acte de sa décision et de
considérer les divers alinéas de Scènes comme autant de
fragments autonomes. Le scénario échafaudé ci-dessus sur la base des
solutions proposées par Claisse et Fongaro n’est pertinent tout au
plus qu’à titre d'hypothèse archéologique ou génétique. Quant au
lien sémantique avec la vérité générale énoncée dans la phrase
initiale (« L'ancienne Comédie poursuit ses accords et divise ses
Idylles »), il tombe sous le sens, mais pas plus et même plutôt
moins que celui qu'entretiennent avec elle tous les autres alinéas
du poème.
Il faut donc décidément se contenter de cette participiale sans
sujet — ou avec un sujet à la discrétion du lecteur — et tenter de
construire un sens acceptable avec les trois ou quatre éléments
sémantiques qu'elle met à notre disposition. Plusieurs (mauvaises)
solutions sont
envisageables :
-
« Dans des corridors de gaze
noire » : dans des avenues obscures comme des corridors tendus
de gaze noire (on circule mais on ne « se promène » pas dans les
couloirs d'un théâtre, il me semble, sauf dans la ville comme
théâtre), ou : dans la gaze noire des avenues envahies par
la brume et la nuit.
-
« suivant le pas des
promeneurs » : on suit du regard le pas des promeneurs, ou : on
s'enfonce, suivant le pas des promeneurs, ....
-
« aux lanternes et aux
feuilles » : on suit le pas des promeneurs grâce à la lueur des lanternes et au bruit des
feuilles (cc de moyen), ou : on suit du regard le pas des
promeneurs à la lueur des lanternes et sous
les feuilles (cc de moyen et de lieu)
-
ou ... ou ... ou ...
-
va, donc — en suivant le fil
géo-biographique suggéré par le mot « pier » et l'expression «
foule barbare » (« barbare » étant compris au double sens de
béotien et d'étranger) — pour un mélancolique :
On s'enfonce,
suivant le pas des promeneurs, à la lueur des lanternes et sous
les feuilles, dans la gaze noire des avenues envahies par la
brume et la nuit.
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