Ce texte ne nous est connu que par sa version imprimée. Il a
été publié dans La Renaissance littéraire et artistique du 14
septembre 1872. La Renaissance
littéraire et artistique, revue nouvellement créée par Émile
Blémont qui était de la connaissance de Verlaine (et de
Rimbaud depuis
Le Coin
de table), avait publié son premier numéro le 27 avril 1872.
Dans Les Poètes maudits, Verlaine recommande ce texte
d'une formule de louange assez sibylline : "Les
curieux pourront se régaler de cette chose patriotique, mais
patriotique bien, et que nous
goûtons fort quant à nous".
Il faut voir surtout là, dit Steve Murphy, une façon d'alerter le
lecteur sur le genre spécial de patriotisme qu'il pourra déceler dans le
texte, s'il est ingénieux.
La date de rédaction du texte est fort incertaine et des hypothèses
multiples ont été formulées. Pierre Brunel suppose ces vers
contemporains de La rivière de Cassis (mai 1872) à cause du thème
des corbeaux. Louis Forestier (p.482) pense à une date très antérieure
("leur métrique, leur sujet rend vraisemblable de rattacher ces vers à
la période 1870-1871"). Dans une minutieuse étude consacrée à ce texte
("Le goût de la charogne : Les Corbeaux", Rimbaud et la
Commune, Classiques Garnier, 2009, p.771-841),
Steve Murphy
estime plausible la thèse
jadis formulée par Berrichon selon laquelle Les Corbeaux
auraient été conçus "pour complaire" à une revue qui ne se signalait ni
par ses audaces poétiques, ni par son radicalisme politique. Il aurait
donc été probablement écrit en 1872, à une date proche de sa
publication, le 14 septembre 1872, dans la dite revue. Ce contexte
expliquerait à la fois la relative sagesse de la versification
(surprenante, à cette date, chez Rimbaud) et l'ambiguïté voulue du
message politique. Les Corbeaux pourraient être considérés, au
moins à titre
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d'hypothèse, comme "une réécriture conventionnelle de La
Rivière de Cassis" (ibid. p.781), poème très proche par son
inspiration mais sensiblement plus avant-gardiste dans sa forme, dont le
manuscrit est daté de mai 1872.
Il reste également possible, cependant, comme le pense David
Ducoffre, que le poème ait été composé au tout début de l'année 1872, à
une époque où Rimbaud était encore susceptible d'écrire des poèmes en
vers réguliers, et qu'il ait été remis à Blémont par Rimbaud en
février ou début mars 1872, avant que
La Renaissance n'ait lancé son premier numéro, "mais, tout de même,
à l'époque où avance la composition du "Coin de table", à une époque où
il faut rassembler de la matière pour la future revue"
(David Ducoffre,
"Quand le poème Les Corbeaux a-t-il été composé ?", blog
Rimbaud ivre, 27 mai 2011 et blog
Painted plates, novembre 2017).
Une autre source de perplexité réside dans la phrase alambiquée
utilisée par Verlaine dans Les Poètes maudits pour évoquer les
circonstances de la publication du poème : "Une seule pièce, d'ailleurs
sinon reniée ou désavouée par lui, a été insérée à son insu, et
ce fut bien fait, dans la seconde année de la Renaissance, vers
1873 [Verlaine fait erreur sur la date]. Cela s'appelait Les Corbeaux."
On croit comprendre que, contrairement à Verlaine, Rimbaud jugea qu'on
n'avait pas "bien fait" d'insérer Les Corbeaux dans La
Renaissance. Mais si Blémont avait le texte, c'est qu'on le lui
avait confié pour publication. Comment, dès lors, lui reprocher de le
publier "à l'insu" de l'auteur ? À moins que, comme le pense Claude
Jeancolas, Les Corbeaux aient été publiés "à l'instigation de
Verlaine" (CJ-12 p.566). Le mécontentement de Rimbaud, avoué à demi-mot
par Verlaine, viendrait alors du fait qu'on aurait communiqué son texte
sans lui en parler. Peut-être, dans ce cas, pendant les mois où il était
absent de Paris, exilé à Charleville sur l'ordre de Verlaine (mars-avril
1872).
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