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À propos de l’album de Patti Smith
Une saison en enfer 1873 et
autres poèmes.
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[1] Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873, et autres poèmes. Photographies, écrits, dessins : Patti Smith, Gallimard, 2023.
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Paru chez Gallimard [1] en septembre 2023, 176 grandes pages 25 x 32, exactement, le volume offre le texte intégral d’Une saison en enfer, vingt poèmes, neuf lettres de Rimbaud à sa famille, le tout accompagné d’une soixantaine de pages d’illustrations, et six textes spécialement rédigés par Patti Smith pour cette édition. Titre : Une saison en enfer 1873 et autres poèmes . Ce qui, par parenthèse, a l’air de présenter Une saison en enfer comme un poème ou un recueil de poèmes, alors que Rimbaud, dans une lettre de mai 1873, parle d’« histoires » (au pluriel) : de « petites histoires en prose » [2]. Mais Patti Smith n’est pas la seule, hélas, à parler à tort de poème(s) à propos de « la Saison » comme on l’appelle en raccourci. Ni génial, ni déshonorant, l’album de Patti Smith a été jusqu’ici et restera sans doute l’initiative éditoriale la plus remarquée de cet anniversaire des 150 ans d’Une saison en enfer. Parce que, bien sûr, c’est Patti Smith ! Mais au fond, c’est à juste titre, car ce « beau livre » est bien plus qu’une publication de circonstance. Patti Smith n’a pas attendu d’être ce qu’elle est aujourd’hui pour faire de Rimbaud, ce sont ses mots, son « arme » et son « amant » « secret[s] ». Elle raconte qu’au moment de partir pour la grande ville, en 1967, à 20 ans, elle n’a emporté qu’un seul livre : Une saison en enfer, qui a été en quelque sorte son viatique pour s’orienter dans l’underground new-yorkais de ces années-là. Depuis lors, plus d’un demi-siècle s’est écoulé, pendant lequel la chanteuse a accumulé, sous forme de dessins et de photos notamment, toutes sortes de témoignages de sa passion rimbaldienne qu’elle a souhaité rassembler ici. |
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[3] Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, préface de Yannick Haenel, postface de Grégoire Beurier, Paris, éditions Gallimard, coll. « Poésie », 2023, p. 5. |
« Black Book »
« Black
Book », le texte où Patti Smith évoque la genèse d’Une saison en
enfer, révèle une autrice informée. Elle ne dit pas sommairement, comme
Yannick Haenel, préfacier du volume Poésie/Gallimard [3], l'autre
parution phare de la maison pour cet anniversaire des 150 ans, qu’Une saison en
enfer a été rédigé « en cinq mois dans un grenier des
Ardennes » ou, abusivement, comme
plusieurs récentes chroniques littéraires, qu’elle a été rédigée par
Rimbaud dans ses Ardennes natales quelques semaines à peine après la
querelle avec Verlaine. Elle ne manque pas de rappeler que sa
composition a commencé avant le drame de Bruxelles. L’intuition
première de l’œuvre aurait même pu venir à Rimbaud à Londres,
antérieurement au printemps 1873 selon
elle, à la British Library, en lisant avec difficulté, dans le
texte, Swinburne, Edgar Poe et autres. Pour le reste, elle s’en
tient aux faits plus ou moins avérés : une rédaction commencée sans
doute en avril-mai 1873, à Roche, le village où la mère de Rimbaud
possédait une ferme et une exploitation agricole ; probablement
poursuivie à Londres à partir de la fin mai, jusqu’au retour de
Verlaine et Rimbaud sur le continent début juillet ; enfin,
achevée à Roche au mois d’août.
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En avant route ! En ce qui concerne son anthologie des poèmes de Rimbaud, Patti Smith signale qu’elle n’a pas respecté, sciemment, l’ordre chronologique. Elle a préféré classer les poèmes dans un ordre personnel et, par exemple, elle a placé en tête de l’anthologie le sonnet « Ma Bohême », parce que c’est autour du thème de la route que s’est constituée dans sa génération une sorte de « filiation spirituelle » en référence au Rimbaud voyageur, piéton mystique ou « vagabond céleste » comme on l’a appelé.
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Croix et cimetières
L’illustration de l’ouvrage compte de belles choses comme les deux
émouvants portraits de Rimbaud par Patti Smith, placés en regard de
« Tête de faune » (ci-dessous) et « Le cœur du pitre ».
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[4] op.cit. p. 10. |
Révolvers
Beaucoup de révolvers aussi !
Bien superfétatoires ! Sauf
un. |
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Je rappelle en outre qu’un verset de « Génie », le poème des Illuminations, célèbre l'« orgueil plus bienveillant que les charités perdues ». Si la charité est moins bienveillante que l'orgueil pour Rimbaud, elle peut difficilement représenter pour lui la clef de l'amour ! Alors … Smith ou Haenel ? « Sœur de la mort » ou « clef de l’amour » ? Mon choix est fait. |
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Ce qui reste à venir Le livre de Patti Smith s’achève précisément sur une référence à « Génie », le poème des Illuminations, qui résume pour l'autrice l’héritage spirituel de Rimbaud. C’est sa conclusion. Rimbaud « imagina dans “Génie” un messie séculier, prince de la polyvalence, “toutes choses pour tous”. Avec un langage quasi prophétique, le poète y exposait sa vision pour l’Humanité, main tendue vers le futur. Il offrait ce “Génie” comme une ouverture spirituelle englobant l’Histoire, son présent et ce qui reste à venir. »
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