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Indiquée  par Jacques Gengoux (La Pensée poétique de Rimbaud, Nizet, 1950), la source Coppée du Chant de guerre parisien (1871) a été analysée entre autres par Herman H. Wetzel dans son article La Parodie chez Rimbaud (Minute d'éveil, SEDES, 1984) : "Malgré l'existence de parallèles de forme (le nombre et la forme des strophes, peut-être aussi l'idée du jeu homonymique...), titre et thème général du printemps mis à part, rien ne rappelle verbalement Coppée [...]." (p.81)

Rimbaud emprunte donc avant tout un moule, et surtout il indique par le détournement explicite du titre l'intention polémique qui est la sienne : donner aux Parnassiens une leçon de "poésie objective" (selon la formule qu'il emploie dans la lettre à Demeny, dite "lettre du voyant", où le poème était inclus) en substituant à l'exotisme superficiel du poème de Coppée un discours d'actualité, satirique et engagé, contre le gouvernement de Versailles. "En partant de l'idée de Coppée, écrit Wetzel, (la coïncidence du printemps avec la reprise des hostilités en temps de guerre) Rimbaud utilise cette idée pour prendre parti, pour s'engager du côté des communards" (p.83). Ce faisant, il critique à travers Coppée la poésie exclusivement artiste prônée par les Parnassiens, de la même façon qu'il s'en prend à la poésie sentimentale ou "subjective" dans Mes Petites amoureuses ou Le Cœur supplicié.

 









Chant de guerre circassien        

Du Volga, sur leurs bidets grêles,
Les durs Baskirs vont arriver.
Avril est la saison des grêles,
Et les balles vont le prouver. 

Les neiges ont fini leurs fontes,
Les champs sont verts d'épis nouveaux ;
Mettons les pistolets aux fontes
Et les harnais d'or aux chevaux.

Que le plus vieux chef du Caucase
Bourre en présence des aînés,
Avec le vélin d'un ukase
Les longs fusils damasquinés ! 

Qu'on ait le cheval qui se cabre
Sous les fourrures d'Astracan,
Et qu'on ceigne son plus grand sabre,
Son sabre de caïmacan !

Laissons les granges et les forges.
Que les fusils de nos aïeux
Frappent l'écho des vieilles gorges
De leur pétillement joyeux ! 

Et vous, prouvez, fières épouses,
Que celles-là que nous aimons

Aussi bien que nous sont jalouses
De la neige vierge des monts.

Adieu, femmes qui serez veuves ;
Venez nous tendre l'étrier ;
Et puis, si les cartouches neuves
Nous manquent, au lieu de prier, 

Au lieu de filer et de coudre,
Pâles, le blanc linceul des morts,

Au marchand turc, pour de la poudre,
Vendez votre âme et votre corps.

(Le Reliquaire - Poèmes divers, 1866)