Rimbaud, le poète / Accueil > Florilège des sources > Lélia
 

Dominique Combe, auteur d'un Rimbaud dans la collection Foliothèque (2004), propose dans sa notice consacrée aux "intertextes" rimbaldiens plusieurs références possibles "autour du Dormeur du val". La Fontaine aux lianes de Leconte de Lisle, Dolorosa mater de Léon Dierx, et l'extrait ci-contre d'un roman de George Sand : Lélia. Voici comment il présente ce dernier texte: "Sténio, désespéré de la froideur de Lélia, devenue incapable d'aimer, se suicide; son cadavre est découvert par le moine Magnus, au bord d'un lac, à proximité du cimetière, dans un décor de roman "noir". Ce roman au lyrisme "frénétique", paru en 1833, a connu un succès de scandale d'autant plus vif qu'on a vu dans Lélia un double de l'auteur"  (op. cit. p.184).

Lélia (extrait)

     Sur un tapis de cresson d'un vert tendre et velouté, dormait pâle et paisible le jeune homme aux yeux bleus. Son regard était attaché au ciel, dont il reflétait encore l'azur dans son cristal immobile, comme l'eau dont la source est tarie, mais dont le bassin est encore plein et limpide. Les pieds de Sténio étaient enterrés dans le sable de la rive; sa tête reposait parmi les fleurs au froid calice qu'un faible vent courbait sur elle. Les longs insectes qui voltigent sur les roseaux étaient venus par centaines se poser autour de lui. Les uns s'abreuvaient d'un reste de parfum imprégné à ses cheveux mouillés ; d'autres agitaient leurs robes de gaze bleue sur son visage, comme pour en admirer curieusement la beauté, ou pour l'effleurer du vent frais de leurs ailes. C'était un si beau spectacle que cette nature tendre et coquette autour d'un cadavre, que Magnus, ne pouvant croire au témoignage de sa raison, appela Sténio d'une voix stridente, et saisit sa main glacée comme s'il eût espéré l'éveiller.

Lélia (1833), Romans 1830,
Presses de la Cité, Omnibus, 1991, p.569.