Rimbaud, le poète / Accueil > Florilège des sources >  Promenades d'hiver

     C'est Jean Reymond, auteur d'un ouvrage sur Albert Glatigny (Droz, 1936) qui a le premier signalé l'emprunt de Rimbaud à l'auteur des Flèches d'or (il emploie même le mot de "plagiat") dans À la Musique. Steve Murphy, dans ses Stratégies de Rimbaud (2004) note cependant l'originalité de la réécriture : "L'hypertexte rimbaldien constitue une sorte d'expansion (mais déformante) de l'hypotexte de Glatigny, au sens purement quantitatif (36 vers au lieu de 16), mais aussi au sens rhétorique, partant d'une armature syntaxique analogue". L'auteur montre que Rimbaud fournit une description plus acerbe, accentuant les traits caricaturaux dans l'évocation des bourgeois, et faisant apparaître des tensions à l'intérieur de la collectivité.

       Promenades d'hiver

       À Albéric second.

Dimanche : le soleil, dont les pâles rayons
Nous font renaître encor lorsque nous les voyons,
Luit dans le brouillard froid et gris; les cheminées
Se dressent sur les toits, noires, chaperonnées
De tôle; sur la place, écoutant les accords
D'un orchestre guerrier, leurs beaux habits dehors,
Mille bourgeois joyeux flânent avec leurs femmes,
Dont les vastes chapeaux ont des couleurs infâmes,
Mais qui font cependant plaisir à voir. On sent
Passer je ne sais quoi de gai, de caressant,
Dans l'air vif de décembre ébranlé par les cloches :
Tout grouille, tout babille, et, les mains dans les poches,
Moi, je suis doucement les filles aux yeux doux,
A qui le rire met de jolis petits trous
Au visage, et qui vont, alertes et discrètes,
Cueillir furtivement la fleur des amourettes.

(Les Flèches d'or, 1864)