Dévotion
À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem : — Sa cornette bleue tournée à
la mer du Nord. — Pour les naufragés.
À ma sœur Léonie Aubois d'Ashby. Baou. — l'herbe d'été bourdonnante
et puante. — Pour la fièvre des mères et des enfants.
À Lulu, — démon
— qui a conservé un goût pour les oratoires du temps
des Amies et de son éducation incomplète. Pour les hommes ! À
madame***.
À l'adolescent que je fus. À ce saint vieillard, ermitage ou mission.
À l'esprit des pauvres. Et à un très haut clergé.
Aussi bien à tout culte en telle place de culte mémoriale
et parmi tels événements qu'il faille se rendre, suivant les aspirations
du moment ou bien notre propre vice sérieux,
Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et
enluminée comme les dix mois de la nuit rouge, —
(son cœur ambre et spunk), —
pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant
des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.
À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques.
— Mais plus alors.
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Dévotion cache sous l'apparence
d'une litanie votive ce que la critique rimbaldienne a coutume
d'appeler un "poème de bilan". Comme tant d'autres pièces des
Illuminations, et la
Saison elle-même dans l'une de ses dimensions, c'est un
"adieu à l'adolescence" (cf. la formule dédicatoire qui ouvre le
quatrième alinéa : "À l'adolescent que je fus"). Rimbaud y joint le goût
du sacrilège à l'art de l'allusion biographique cryptée. Il énumère divers personnages objets de sa
reconnaissance ou de sa vénération.
Il parcourt le chemin menant des
décevantes sœurs de charité (Louise, Léonie) à l'expérience non
moins décevante de l'homosexualité (Lulu et autres), puis à la solitude
actuelle et aux simulacres glacés de l'autoérotisme (Circeto), en reportant à
d'éventuels "voyages métaphysiques" la possibilité d'obtenir "plus"
que ce médiocre bilan affectif (d'obtenir une plus complète, ou plus essentielle
satisfaction) ... dans un futur indéterminé ("Mais plus alors").
Tout cela conté, bien entendu, avec un fin sourire aux lèvres !
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