Arthur
Rimbaud le poète >
Anthologie
commentée > Vies I-II-III |
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Vies (Les Illuminations 1873-1875)
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Ah ! Si ... ! J’allais oublier ! Rimbaud dépasse encore son
modèle par un second trait, qui n’est pas dénué d’importance : lui, à vingt ans
révolus, il est « réellement » d’outre-tombe. |
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*** Mais ni l'ironie, ni la parodie, ne sont contradictoires avec la poésie. La série des Vies contient quelques-unes des plus belles « trouvailles » rimbaldiennes : je veux dire ces phrases magiques dont on se souvient. Celle, par exemple, où il dit avoir « rencontré à quelque fête de nuit dans une cité du Nord [...] toutes les femmes des anciens peintres », frappe par l'efficace d'une image qui a simplement consisté à remplacer le verbe « reconnaître », qui aurait été réaliste mais banal, par le beaucoup plus romanesque « rencontrer ». Toute l'évocation du « pays saint » (Vies I) est splendide. Mais j'avoue une fascination particulière pour la phrase entre tirets : — Un envol de pigeons écarlates tonne autour de ma pensée — Je ne sais si c’est parce que cette
phrase contient pour moi une de ces « données généralisables [dont parle
Segalen] auxquelles nos propres souvenirs peuvent s'analogier,
s'accrocher ». Toujours est-il que j’en ressens vivement la puissance
expressive. Qui a une fois rêvé dans une cour de ferme, et sursauté au
claquement que produit le coup d’ailes d’une bande de pigeons prenant son essor,
comprend instantanément à quoi Rimbaud fait allusion. Mais le
télescopage abstrait / concret pratiqué par le poète à cette occasion
produit l’effet d’une déflagration intérieure, d’un coup de sang. L'efficace de l'image, selon moi, ne vient ni de
l’usage du
déverbal « envol » (à la place du verbe « s'envoler ») qui a frappé
Todorov, ni même de la métaphore de « tonne » et des connotations
d’émotion intense suscitées par le rouge vif d’« écarlate », mais de
l’objectivation du concept abstrait de « pensée » obtenue en reliant ce
mot à tout ce qui précède par une locution prépositive de lieu :
« autour de ». *** Enfin, souvenons-nous du conseil de lecture jadis lancé au professeur Izambard : « Ça ne veut pas rien dire ». Il y a un dessin dans le tapis. Il y a une lettre, froissée et maquillée, dans le bureau du voleur. La parodie n'est qu'un protocole d'écriture et d'invention littéraire. L'ironie, un voile que la pudeur jette sur le message caché. L'image déprimante du moment présent véhiculée par chacun des trois poèmes est trop insistante dans Les Illuminations pour qu'on puisse mettre en doute sa véracité. Dans Vies III, le poète semble bien tirer un trait sur ses ambitions littéraires : « Il ne faut même plus songer à ça ». Dans Vies I et II, il se décrit comme un « exilé » et comme un inventeur dont le talent et la « sagesse » sont dédaignés, ce qui tend à confirmer la conclusion désabusée de Vies III. On ne retrouvera quelque chose de comparable que dans Jeunesse III. Vingt ans :
Dans Vies II, certainement le moins affabulateur des trois bilans, Rimbaud dresse de lui un autoportrait lucide où il ne se ménage pas : il évoque sa « forte tête » qui l'empêche de s'épanouir dans la vie sociale, son « enfance mendiante » au cours de laquelle, comme il n'en fait pas mystère dans certains de ses textes, c'est surtout l'amour qui lui a manqué. Du coup, on se demande quelle peut bien être cette « clef de l'amour » qu'il affirme avoir trouvée. Et on en déduit qu'il n'y a là qu'une belle fantasmagorie poétique, comme toutes celles grâce à quoi Rimbaud, dans chacune de ses trois « vies », travaille à se confectionner un romanesque et mythique passé. Mais simultanément, « on » est en mesure d'enregistrer qu'il est dévoué à « un trouble nouveau » et que la quête de « l'affection » (c'est le terme qu'il utilise dans Départ, dans Génie), pour lui, n'est pas terminée, et ne le sera jamais. C'est ce qu'il explicite dans Phrases : « je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenêtre » et c'est, bien possiblement, le sens profond de Dévotion :
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