À
Monsieur Paul Demeny
Cher Artiste, cher ami,
Deux hommes ont
décidé de m'enlever à Douai. Les gendarmes, probablement à
la demande de ma mère, ont fait leur travail de me soutirer à
votre ville.
Je quittai donc Douai
Avec pour escorte, la maréchaussée
Mais le
cœur
léger.
En effet, vous avez trouvé dans votre courrier, vingt deux poèmes
soufflés par mon génie. Avouez que vous aussi, ils vous
séduisent, animent en vous un feu de bonheur et un sentiment de
bien-être!
Voyez cette
émotion inconnue qui monte en vous, nouvelle et réparatrice.
Je vous en conjure, faites partager cette sensation, folle et
inconsciente, à
tous. Afin que, quand la vie me quittera, lorsque la mort caressera mon
cœur, me donnera son froid baiser pour m'emporter avec elle, il
subsiste une partie de moi à travers ces poèmes.
Ces
descriptions, ces choses qui me sont apparues, lorsqu'en fermant
les yeux, la divine Muse, me toucha de son doigt, faisant
naître en moi mille et une joies, visions et libertés.
Permettez-moi cette audace de vous suggérer un titre pour ce recueil de vie, doux
mélange de tristesse, d'amour, d'allégresse et de désespoir.
Nous le nommerons, "Bal d'Ivresse".
Bal d'ivresse...
Ce titre me
remémorera, à moi, homme, génie, créateur, mes soirées,
seul, ivre de baisers, de tendres caresses et d'intimes songes.
Ce titre, "Bal d'Ivresse", réunit ces thèmes,
d'amour, de mort, de sensation et d'inconscience débridée.
Ô !
Douces
folies, étrennes d'espoir !
Quelle débauche,
merveilles ! Majestés ! Ne trouvez-vous pas ?
Ces poèmes doivent être connus de tous ! Tout cela est "abracadabrantesque".
N’êtes-vous pas de mon avis, Monsieur Demeny? Tous doivent découvrir ces
inspirations divines.
"Quand ce
trou chaud souffle la vie"
Les Effarés. N'est-ce
pas un titre ça ?
J'ai trop de fierté pour vous supplier et c'est pour cela que je vous
laisse décider du sort de ces poèmes. Avez-vous le droit d'en priver le public ? Certainement pas. Ces poèmes
doivent absolument être connus. Et vous, vous serez le messager
divin de ces révélations.
Le destin du
"Bal d’Ivresse " est entre vos mains.
A vous, pour l'éternité,
Arthur Rimbaud
P.S. Ne faites pas attention
à
la banalité de cette lettre, mais voyez dans cette
dernière les paroles d'un homme ivre de vie, d'amour et de
liberté.