Rimbaud, le poète (accueil) > Bibliographie > Notes de lecture > Gérard Pirlot, "La Colère de Rimbaud"
Gérard Pirlot, « C’est le diable au milieu des docteurs : La colère de Rimbaud, de la poésie au cancer » in : L’adolescence entre les pages. Psychanalystes sous influence littéraire (Éditions in press, 2005).
Voici une
contribution rimbaldienne atypique qui aura pu vous échapper et que j’ai
lue un peu par hasard. Il s’agit d’un compte-rendu de
plusieurs colloques psychanalytiques consacrés au thème de
l’adolescence chez différents auteurs littéraires (Baudelaire,
Camus, Carson McCullers, Colette, etc.). Le bouquin s’intitule : L’adolescence
entre les pages. Psychanalystes sous influence littéraire (Éditions
in press, 2005). Cinquante pages (p.151 à 201) sont consacrées à
Rimbaud, en deux communications de Jean Gillibert (« Arthur
Rimbaud : fallait-il un adolescent… ») et Gérard Pirlot (« C’est
le diable au milieu des docteurs : La colère de Rimbaud, de la
poésie au cancer »). Je passe sur la première à laquelle je
n’ai pas compris grand chose. Je tente de vous résumer la seconde,
qui m’a paru plus accessible (mais c’est tout relatif).
La caractéristique
dominante de la personnalité de Rimbaud peut être identifiée, selon Gérard
Pirlot, dans sa colère contre les autres (sa mère, les « inconscients »
de la lettre à Demeny, c’est à dire tous les poètes qui l’ont précédé,
les « nègres » dans ses lettres d’Afrique …). « Rimbaud
n’en décolèrera jamais ! « j’en appelle, lui écrivait
Verlaine de Londres, à ton dégoût de tout et de tous, à ta perpétuelle
colère contre chaque chose » (p.187). Désert affectif qui
accompagne toute sa vie, dont le Harar peut apparaître comme la
« métaphore réelle ». À la racine de cette « colère »,
l’absence du père et sa conséquence : une quête d’affection
entièrement reportée sur une mère « surmoïque »
incapable d’y répondre.
L’auteur commente
ensuite la fonction de la poétique rimbaldienne, telle qu’elle
s’exprime dans le « sensationnisme » de ses premiers poèmes,
dans le mot d’ordre de « poésie objective » et le
« je est un autre » de la lettre à Demeny. Il y décèle un
enjeu existentiel majeur « indispensable pour sauver son
psychisme du manque du père face à la toute-puissance maternelle ».
La poésie devra servir au poète à percevoir sa véritable identité,
à rendre intelligible son univers personnel de sensations, de
sentiments, et à faire sauter ce faux-moi déterminé par l’influence
maternelle, les refoulements prescrits par la morale, faux-moi dont le
subjectivisme poétique est le véhicule traditionnel. Mais la poésie
n’est pas seulement chargée de mettre à découvert le sentiment de
manque constitutif du vrai-moi rimbaldien, elle est sommée de le
combler. Dans la poésie, le pouvoir des mots ne se réduit pas à leur
fonction de représentation de l’idée : «les sens du Pubère
demandent à la représentation de mot, à la pensée, beaucoup plus que
ce que jusque là ils offraient : les sens demandent à réifier la
chose pensée, que ce soit le père absent, la détresse maternelle ou
le fantasme sexuel » (p.191). C’est dans ce sens qu’elle peut
se dire « objective ». Chez Rimbaud, « la représentation
est censée régresser jusqu’à l’excitation-sensation, et s’y décharger »
(p.191).
Dans une partie
compliquée (pour moi) où il semble faire appel à la théorie
freudienne du « complexe d’Oedipe », l’auteur commente
ensuite la thématique homosexuelle chez Rimbaud. Dans un poème comme
« Le cœur du pitre », il est tenté de déceler non la représentation
d’un traumatisme homosexuel vécu mais la mise en scène littéraire
de ces « fantasmes homosexuels qui drainent cet amour pour le père
absent ». Il y note la coexistence paradoxale du « goût et
du dégoût homosexuel pour le père ». Il voit dans « Les
remembrances d’un vieillard idiot » « un poème qui
atteste d’une précoce compréhension psychanalytique de la séduction
père-fils ». Il diagnostique dans la relation avec Verlaine les
moments successifs d’une « objectivisation » du fantasme,
puis du meurtre symbolique du père dans la décision de quitter
Verlaine à Bruxelles. De façon générale, il considère que, dans
nombre de ses poèmes, « Rimbaud se révèle à la fois culpabilisé
de la partie « animale » et sexuée en lui en même temps
que, démiurge, il ré-invente la réalité sexuelle d’un Monde
charnel bafoué par l’hypocrisie d’une morale religieuse et
bourgeoise anti-sexuelle… et donc anti-génitale. » (p.196). Enfin, l’auteur de l’article interprète à la lumière de son « analyse » la décision de Rimbaud d’abandonner la poésie : « une fois la métaphore paternelle reconstituée par le Verbe poétique, y rester – comme poète consacré – aurait signifié s’en éloigner puisque l’imago de ce père était aussi celle d’un homme d’aventure et de voyage ». Il fallait donc aller retrouver ce père mythique au Harar. Mais, comme le montre la correspondance de Rimbaud, cette nouvelle quête du père ne rencontra finalement que l’ennui, la solitude, le désert, une incurable mélancolie … et le cancer que l’auteur est fortement tenté de considérer comme une pathologie somatique : « Quand le chagrin ne trouve plus d’issue dans les larmes, ce sont les organes qui pleurent » (p.201). Juin 2005.
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