Rimbaud, le poète (accueil) > Bibliographie > Notes de lecture > Reboul/Murphy : "Bonne pensée du matin"
Yves Reboul, "Rimbaud devant Paris : deux poèmes subversifs", Littératures n°54, Rimbaud dans le texte, PUM, 2006, p.95-132 (115-132 pour "Bonne pensée du matin"). Steve Murphy, "Mauvaise pensée du matin", Rimbaud vivant n°45, septembre 2006, p.39-81. Les
récents articles d’Yves Reboul et Steve Murphy sur « Bonne pensée
du matin », respectivement publiés dans « Littératures n°54, 2006
» et « Rimbaud vivant » n°45, septembre 2006 sont convergents.
Ils répondent l’un comme l’autre à la volonté de montrer que la
poésie de Rimbaud « dès l’origine (…) modelée par
l’exemple hugolien, fut avant tout une poésie de combat et
d’intervention : et elle l’était décidément toujours en 1872,
comme elle allait le demeurer dans la majeure partie des Illuminations
» (c’est de Reboul, p.131-132, mais je suppose que Murphy adhèrerait
à la formule). Leur démonstration est dans l’ensemble convaincante et je
dois dire que j’ai relu avec une certaine honte ce que j’avais écrit
sur le poème il y a quelques années. Leur critique à l’égard
d’une lecture exclusivement ou principalement lyrique du poème fait
mouche, indiscutablement. Pour faire vite, je dirai que cette critique
s’articule essentiellement autour de deux points : la clarification de
la topographie symbolique du texte, la mise en évidence d’une secrète
ironie à l’égard des ouvriers évoqués par le poème. Steve Murphy ne tente pas d'interpréter aussi précisément la direction topographique indiquée par la référence aux Hespérides. Il y voit surtout, me semble-t-il, une représentation mythologique et quelque peu ironique de la libération sociale. Quant aux travaux de construction auxquels les ouvriers s'attellent au lendemain de la Commune, ce sont plutôt pour Murphy ceux de la reconstruction de la Ville, largement endommagée par les bombardements et les incendies. Les exégèses sont donc sur ce point tout à fait différentes mais elles convergent pour accorder au poème une signification socio-politique datée.
Après ces exégèses, bien des endroits restent encore obscurs, pour moi, dans cet étrange poème. Mais ces deux articles paraissent à même d’établir définitivement la dimension satirique du texte, ses arrière-plans politiques (communards) et érotiques. L'allusion biblique ou mythologique joue ici le rôle d'un code : Babylone pour Paris ; le jardin des Hespérides pour le petit Eden bourgeois de l'Ouest parisien, tel que le façonnent les grands travaux du Baron Haussmann commencés sous le Second Empire, poursuivis par la République, après l'échec de la Commune. Décrits comme les "charmants sujets d'un roi de Babylone", les ouvriers sont en réalité la cible d'une secrète ironie. "Charmants", ces ouvriers le sont essentiellement du point de vue bourgeois et par opposition avec les "barbares" qui ont mis la capitale à feu et à sang pendant la Commune, parce qu'ils travaillent bien docilement à construire (ou à reconstruire) le Paris des riches (cf. les allusions récurrentes à leur tranquillité, v.9, et à leur attitude pacifique, v. 20). Faisant mine de s'aligner sur cette démission généralisée devant le rétablissement de l'Ordre après la Commune, le poète supplie Vénus, devenue tenancière de bistrot, de fournir aux travailleurs l'eau-de-vie "pour que leurs forces soient en paix", c'est à dire pour qu'ils se tiennent tranquilles, "en attendant le bain dans la mer, à midi", c'est à dire, métaphoriquement : le Paradis, quel qu'il soit, qu'on leur a promis. Mais ce paradis, on ne le leur offrira, bien sûr, que sous la forme d'un "paradis artificiel", celui des pauvres : l'assommoir. La
part de l'auto-ironie ("les Amants"). Steve Murphy le suggère, sans aller tout à fait aussi loin, en écrivant :
Oui,
assurément, si ce locuteur est Rimbaud (et comment non ?), car Rimbaud
en particulier et la bohème artiste de Paris en général, sans être
nécessairement des "riches", font partie de ces privilégiés
qui se lèvent tard, lorsqu'ils émergent du "sommeil
d'amour" et des fatigues du "soir fêté". Tel est probablement le fondement de cette
étrange catégorie sociologique inventée par le poème : "les
Amants".
Février 2007.
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