Rimbaud, le poète (accueil)  > Bibliographie > Notes de lecture > Troisième Pléiade Rimbaud (André Guyaux)

 



 




   À lire aussi
 

André Guyaux, conférence de présentation des Œuvres complètes de Rimbaud dans la Collection de La Pléiade, 12 février 2009

"Le cas Rimbaud : géométrie variable", article non signé inclus dans La Lettre de la Pléiade n°35

Jean Ristat, "Rimbaud toujours", L'Humanité, 7 mars 2009 

Romain Jalabert, "Rimbaud au plus près de ses œuvres", Acta Fabula 31 mars 2010.

Jean-Jacques Lefrère, "Une pléiade sans étoiles", La Quinzaine littéraire, mars 2009

Graham Robb, "Rimbaud in the Pléiade", Times Litterary Supplement, April 15 2009

André Guyaux, "Les Étoiles sans Pléiade de M.Lefrère", Fabula, 14 septembre 2009 : 
http://www.fabula.org/atelier.php?
Les_%26eacute%3Btoiles_sans_Pl%26
eacute%3Biade_de_M._Lefr%26egrave%3Bre

Laurent Margantin, "De la terreur en Rimbaldie", La Revue des Ressources, 2 septembre 2009.

Jean- Luc Steinmetz, "Rimbaud. L'innocence du texte", Critique n° 751, janvier 2010.

 

Autre lien sur cette page :
Sur le compte rendu de Jean-Jacques Lefrère dans La Quinzaine littéraire (16 mars 2009)

 

 

 

 

 

 

Rimbaud, Œuvres complètes. Texte établi, présenté et annoté par André Guyaux. Éditions Gallimard, bibliothèque de la Pléiade. 1152 p.

 

Troisième Pléiade Rimbaud. Premières impressions.


     Bénéficiant de toute une série de découvertes ou redécouvertes récentes ("Famille maudite", "Le Rêve de Bismarck", les manuscrits de 1870 du British Museum, ceux des collections Hugues, Guérin, Bérès ...), bénéficiant aussi des travaux philologiques que ces révélations ont suscités (notamment ceux de Steve Murphy),
la Pléiade Rimbaud d'André Guyaux sera pour quelque temps, certainement, l’ouvrage de référence le plus correct sur le plan de l'établissement des textes, le plus complet et le plus commode. Je n'ai cet ouvrage en mains que depuis quelques jours et, bien sûr, je n'ai pas pu l'explorer dans ses moindres recoins, mais quelques coups de sonde portés aux endroits névralgiques suffisent à se convaincre de la qualité du travail effectué par l'auteur sur ce plan. Pour le reste  organisation du volume, bibliographies, notices et notes  le bilan semble devoir être, malheureusement, plus mitigé.

     

L'organisation du volume

     Compte non tenu de l'appareil critique (préface, bibliographie, notes et notices...) Guyaux opte pour une présentation en cinq grandes parties : Œuvres (1868-1873) – Une saison en enfer – Illuminations – Lettres (1870-1875) – Vie et documents (1854-1891).

     L'innovation la plus surprenante du dispositif proposé réside dans l’abandon de toute subdivision au sein de la première partie de l’œuvre. André Guyaux estime que les titres habituels comme « Dossier (ou Recueil) Demeny », « Dossier (ou Recueil) Verlaine », « Derniers vers et chansons » sont fondés sur des suppositions non prouvées et qu’il vaut mieux les supprimer. Il doute qu'il y ait eu chez Rimbaud des intentions de recueils, comme ont essayé de le prouver Pierre Brunel, Steve Murphy et autres chercheurs, moins connus (cf. Préface, p.XX). Il récuse pour biographisme la division par années ou périodes créatrices utilisée par Pierre Brunel dans son édition de La Pochothèque ("Du temps qu'il était écolier", "Les Grandes vacances" "L'année de la Commune", "Les poèmes du printemps et de l'été 1872"). Il ne veut opérer qu'un pur classement chronologique des textes, sans regroupements intermédiaires.

     Pourtant, cette présentation de la production rimbaldienne des années 1870-1872 par dossiers et périodes créatrices, méthode issue du maître-livre de Pierre Brunel Rimbaud, Projets et réalisations (1983), faisait à peu près consensus parmi les éditeurs récents (Brunel, Forestier, Murphy). Elle avait une évidente fonction philologique (et pédagogique pour le lecteur). Sous prétexte d'imposer une méthode plus objective ou scientifique, Guyaux
prive celui-ci de certains repères commodes (éventuellement trompeurs, je l’admets, mais on explique, on nuance ...). D'ailleurs, lorsque les poèmes ne sont pas datés, Guyaux lui-même dit qu’il les classe « à la fin de l’année ou de la période supposée » (p. XLV), ce qui montre bien qu'il continue à raisonner par étapes successives de création, références dont il a pourtant privé le lecteur en supprimant toute segmentation fondée sur ces fameux « dossiers » (Demeny, Verlaine, Forain…) dont les dates de constitution sont identifiables et grâce auxquels on peut répartir les poèmes non-datés.

     Autre fait notable, pour les Illuminations : Guyaux publie les textes dans l'ordre de l'édition La Vogue de 1886 et de l'édition Vanier pour les cinq poèmes qui ne figuraient pas dans La Vogue (ce n'est plus "Génie" mais "Solde" qui clôt le recueil). Il retrouve ainsi l'ordre de la première Pléiade et abandonne totalement celui de son édition critique de 1985, qui avait été très controversé (de la part de Zissmann et Murphy, notamment). Cette pratique éditoriale est celle que Steve Murphy préconise (cf. son article "Les Illuminations manuscrites"
ou son édition en quatre volumes, en cours chez Champion, tome IV, p.620). Il faut cependant noter que Guyaux ne se range pas pour autant à la thèse de Murphy selon laquelle la numérotation observée sur les 24 premiers feuillets du manuscrit des Illuminations, numérotation suivie par l'édition préoriginale de la revue La Vogue, serait de la main de Rimbaud. Il se contente de justifier son choix éditorial par la présence sur le manuscrit de traces d'une "volonté d'organisation" (p.943), de "quelques signes d'une volonté organisatrice" (p.944). Selon lui, apparemment, il n'est pas possible d'aller plus loin et d'apprendre au lecteur si cette "volonté organisatrice" émane de Rimbaud, ou de Félix Fénéon, ou de quelque autre préparateur de cette première édition. C'est encore sur la notion de recueil que se noue le désaccord. Guyaux veut bien reconnaître que « la série de poèmes d’ « Après le Déluge » à « Barbare » […] apparaît comme un recueil constitué » mais il n'est pas certain qu'on puisse attribuer son organisation à Rimbaud lui-même.

     Guyaux donne les différentes versions des textes et il place en tête celle qu’il considère comme la version de référence, généralement la dernière en date. Pourquoi pas ? Mais le classement étant, dans son ensemble, chronologique, cela n’aurait-il pas été plus clair de présenter les différentes versions dans cet ordre aussi ?
     Il utilise des caractères d’imprimerie plus petits pour permettre au lecteur de distinguer des autres textes ceux pour lesquels nous n’avons pas de manuscrits autographes et qui, par conséquent, doivent être édités à partir d’une source imprimée ou d’une copie par Verlaine ou Nouveau !

     Par exemple, pour "Éternité" (p.214-215), il place en tête la seconde version connue, celle dont le titre ne comporte pas l'article défini. En effet, cette version représente un stade intermédiaire entre "L'Éternité", texte daté de mai 1872 (appelé parfois "version Richepin") et la troisième variante du poème (celle que Rimbaud a insérée dans "Alchimie du verbe", chapitre d'Une saison en enfer). Il la place donc en tête mais typographiée en caractères réduits, parce que le manuscrit n'en est pas consultable (un autographe existe, d'après l'édition Hartmann,
Club du meilleur livre, 1957, mais sa localisation est inconnue et on est obligé d'éditer le texte à partir de l'édition imprimée de La Vogue). Quant à la version plus ancienne, "L'Éternité" avec article, elle est placée en seconde position et imprimée en caractères normaux parce que nous avons un fac-similé de l'autographe (éd. Messein, 1919).
     Le résultat est parfois assez bizarre. Pourquoi imprimer « Le Bateau ivre », par exemple, en tous petits caractères ? Et la justification est fragile : les copies de Verlaine sont-elles si douteuses ? Ne suffirait-il pas, quand la source d'un poème apparaît quelque peu incertaine, d'en exposer brièvement la raison dans les notes ?


Les notices et notes

     Bien entendu, je ne peux donner qu’une première impression après lecture d’une trentaine de notices (préface, introductions aux œuvres, notices par poèmes ou notes).

     Guyaux a fait le choix de notices poème par poème assez développées, ce qui lui permet de limiter les appels de notes destinées à éclairer les difficultés du texte. J'ai trouvé ces notices bonnes dans l’ensemble, bien que l’auteur y manifeste une certaine propension à ménager la chèvre et le chou. Il reste souvent évasif, laisse ouvert le choix entre plusieurs types de lecture. Noter, par exemple le vague des formules employées, à plusieurs reprises, lorsqu'il s'agit de savoir si "Le Dormeur du val" est un poème pacifiste ou patriotique : préface, p. XXXII et notice p.845. Le lecteur novice restera peut-être sur sa faim bien des fois. Mais beaucoup de poèmes de Rimbaud offrent de véritables difficultés d'interprétation et on peut comprendre la prudence de l’auteur.

     Ceci dit, ses options personnelles sont parfois plus tranchées : pas un mot d'une possible allégorie communarde, par exemple, dans sa notice sur le "Bateau ivre", alors que cette hypothèse paraît s'imposer. Par contre, Guyaux cite (sans l’approuver explicitement) l’interprétation communarde de « L’étoile a pleuré rose ... » alors qu’elle est beaucoup moins évidente. Sans doute parce que cette lecture a été proposée par Reboul, qui est cité de façon fréquente et élogieuse dans le volume.

     Il arrive aussi que ces notices soient franchement insuffisantes, comme celle que l’auteur consacre à « Mouvement ». Négligeant d’informer le lecteur sur le sens ferroviaire de l’expression « mouvement de lacet », qui a été établi par Michael Riffaterre et Bruno Claisse, Guyaux file la métaphore sur la disposition en « lacets » de ce poème en vers libres comme si tel était le sens caché et la clé du texte…

     Concernant les notes de détail sur les difficultés des textes, Guyaux opte parfois un peu trop pour le service minimum : trois notes seulement, par exemple, pour « Le Bateau ivre » : une sur "Vacheries" = étables à vaches (je ne crois pas que ce sens soit celui du texte !) ; une autre sur « cheveux des anses » = métaphore pour algues (oui, en gros, mais pourquoi une note là-dessus et pas sur vingt ou trente autres métaphores tout aussi problématiques qui mériteraient éclaircissement ?) ; une troisième note, enfin sur « flâche ». Et c’est tout.

 

Les bibliographies

     Guyaux a opté pour des bibliographies très abondantes, œuvre  par œuvre, poème par poème. Disons qu'il a fait le choix de l’ouvrage de référence, de l’outil de travail et que c'est fort utile pour ceux qui veulent approfondir l’étude de tel ou tel texte. Mais cela rend d’autant plus manifeste la partialité incroyable de ses choix bibliographiques.
 
     Comment Guyaux peut-il omettre l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel dans sa bibliographie des pages 926-927 ?

    Pour "Qu'est-ce pour nous mon cœur ...", Guyaux ne mentionne pas pas la seule étude détaillée qui ait été publiée, celle de Benoît de Cornulier, mais il cite l'article d'Éric Marty, "Rimbaud et l'Adieu au politique" qui ne commente le texte qu'en passant et de façon fort évasive.
 
     Le nom de Bruno Claisse n’apparaît que pour son travail sur les œuvres scolaires (édition Murphy, Champion, tome II), jamais pour sa riche contribution à l'étude des Illuminations : ni son livre Le Dégagement rêvé, ni ses articles de Parade sauvage.

     Je n'ai trouvé le nom d'Antoine Fongaro que dans la notice de "Plates-bandes d'amarantes" (p.907). Ce critique (désigné par Murphy comme "l'un des plus astucieux, logiques et érudits commentateurs des Illuminations", Parade sauvage, n°20) n’est cité ni dans la bibliographie des Illuminations (p.945-947), ni dans la bibliographie générale en fin de volume.

     La jeune génération de chercheurs, pas davantage, sauf David Ducoffre, qui fournit plusieurs "scoops" à l'édition (sur "L'Homme Juste", le dizain de l'album Régamey, les "Hypotyposes saturniennes", "L'humanité chaussait..." et "Vieux de la vieille").

     Brunel et Murphy sont manifestement nommés le moins souvent possible, même lorsqu'on fait référence implicitement à leurs travaux. Ni l'un, ni l'autre ne sont mentionnés page XLVIII dans la longue liste de ceux qui, sans avoir été directement sollicités par l'auteur pour le conseiller ou le relire, "par leurs livres et leurs articles, [l']ont aidé à mieux comprendre l'œuvre de Rimbaud". On le regretterait si l’auteur avait fait le choix d’orientations bibliographiques très sélectives. Mais, vu sa propension à multiplier les références, et à citer des multitudes d’études à l’intérêt fort inégal, cette exclusion de critiques importants des dernières décennies est plus que regrettable, elle est choquante. Elle ne paraît pouvoir s’expliquer que par des raisons d’inimitiés personnelles… et c’est bien déplaisant.

22 février 2009

 

 

Sur le compte rendu de Lefrère dans “La Quinzaine littéraire"
 

     La Quinzaine du 16 mars publie un article de Jean-Jacques Lefrère qui risque de faire date dans les annales du rimbaldisme par sa violence polémique. Sur trois pages et après un gros titre à la une qui annonce la couleur (« Une pléiade sans étoiles »), Lefrère étrille la nouvelle édition Rimbaud d’André Guyaux. Il la caractérisée comme un « monument de sectarisme et d’ingratitude envers ceux auxquels il doit une grande partie de son ‘apport’ », une édition « bien décevante par ce qu’elle révèle de rancoeurs, d’inimitiés personnelles et de censure », « un travail assez pathétique de voltige » pour éviter d’avoir à citer les noms des auteurs et les titres des revues auxquels Guyaux est redevable de ses informations.

     Soyons clairs, André Guyaux méritait cette correction. C’est d’ailleurs lui qui a lancé les hostilités en 2005 par le ton très polémique sur lequel il prenait à partie l’ensemble de la critique rimbaldienne dans son prière d’insérer des Cahiers de Littérature française :
 

Le même propos rebondit d’un compte rendu à un article, d’un article à un livre. Les séminaires s’épuisent en reconduisant les mêmes sujets. De volumineux volumes paraissent, qui rassemblent tout ce qu’on sait. La compilation relaie l’inspiration. Les deux revues dévolues à Rimbaud et à son œuvre, Rimbaud vivant et Parade sauvage, ne parviennent pas à se renouveler. Le ronron s’y est installé, entrecoupé de quelques invectives ciblées.
Or quelques signes apparaissent d’un autre comportement critique, qui s’éloigne du biographisme et du positivisme ambiant, et des lieux communs post-berrichonniens.


C’est sur la toile à cette adresse :

http://www.sestanteedizioni.com/new/index.php?pagename=product_info&products_id=69&osCsid=1b92056adaa57df1f6447a1575bc5f33
 

     Il aggrave maintenant son cas avec cette pléiade où Lefrère a raison de dire que « l’on constate, page après page, cette sorte de règlement de compte oblique, sous forme de reprises non indiquées et de purs escamotages » que l’auteur attribue essentiellement au ressentiment de Guyaux à l’égard de Steve Murphy pour les critiques que celui-ci fit, en son temps, à la Poétique du fragment (titre de la thèse d’André Guyaux sur les Illuminations).

      Est-ce que cela justifiait la volée d’adjectifs injurieux dont Lefrère assaisonne le coupable (absurde, délirant, grotesque …) ? Pas seulement lui d’ailleurs ! Au passage, Lefrère qualifie de « carrément risible » l’édition dite « du centenaire » d’Alain Borer, égratigne la « très hâtive biographie de Rimbaud commise jadis par M. Steinmetz », traite d’ « imbécile » (je ne vois vraiment pas pourquoi) l’hypothèse selon laquelle la « Chasse spirituelle » pourrait n’avoir jamais existé et avoir été inventée par Verlaine pour en reprocher la destruction à sa femme et trouve même « ringard » le portrait de Rimbaud par Fernand Léger choisi pour illustrer le coffret de l’édition (celui qui figure aussi sur la couverture de « Rimbaud vivant » que je trouve, pour ma part, tout à fait réussie). Bref, c’est « Règlements de comptes à OK Corral » et il n’est pas sûr que la juste colère de Lefrère gagne à s’être exprimée dans des termes aussi passionnés. Au moment même où il reproche à Guyaux de se laisser guider par ses animosités personnelles au détriment de l’honnêteté intellectuelle, de céder à l’esprit de clique qui règne un peu trop souvent dans les disputes universitaires, il prend le risque de donner l’impression d’une attitude symétrique et de rendre les échanges plus difficiles que jamais au sein d'une communauté de chercheurs que tout devrait pousser à dialoguer et à coopérer.

     Sur le fond, Lefrère émet une série critiques qui recoupent celles que je faisais moi-même ici il y a quelques jours et en ajoute de nombreuses autres, tout aussi justifiées. « L’introduction, écrit-il, présente peu d’intérêt, tant elle est mal structurée et surtout marquée par ce ton formaté que l’on connaît trop bien […] ». J’ai trouvé personnellement de bons développements dans cette introduction mais il est vrai que Guyaux donne l’impression de n’avoir pas pris la peine d’élaborer une présentation globale de l’œuvre, une approche véritablement synthétique et argumentée. Il s’est autorisé cette facilité consistant peu ou prou à suivre la chronologie de l’œuvre en la commentant mais comme il y a, parmi les notes, en fin de volume, des notices copieuses sur la Saison et Les Illuminations, il semble s’arrêter brusquement après l’évocation de la première partie de l’œuvre afin d’éviter de se répéter. Comme le remarque d’ailleurs fort bien Lefrère, « curieusement, sur l’œuvre en vers de Rimbaud, on ne trouve pas de véritable notice dans cette édition ». C’est, en fait, la Préface qui en tient lieu.

     Lefrère regrette ensuite les nouveautés introduites par Guyaux dans la présentation de l’œuvre (absence de subdivision par dossiers et/ou périodes créatives, impression en petits caractères des textes qui ne sont pas connus par des manuscrits de la main de Rimbaud). Il attribue ces innovations malheureuses à une volonté de « se démarquer, à toute force et dans le seul but de singulariser cette nouvelle édition, de prédecesseurs ayant publié l’œuvre poétique de Rimbaud de manière logique et honnête ».

     Il reproche aussi à Guyaux d'avoir placé les vers scolaires en tête d’édition. Je ne suis pas loin de partager le scepticisme de Lefrère sur l’intérêt de cette partie de l’œuvre. Mais pourquoi la déplacer dans des annexes comme il semble le préconiser ? Cette période d’apprentissage scolaire, pour aussi pauvre qu’elle puisse paraître, n’en est-elle pas moins une de ces « périodes créatives » auxquelles Lefrère préconise de se référer dans toute édition du corpus rimbaldien ?

     Il note que Guyaux refuse à tort aux Illuminations le statut de "projet de recueil" préparé et organisé par Rimbaud, au point de se demander sérieusement quelque part : « Les Illuminations étaient-elles destinées à paraître, dans son esprit ? ». Comme on dit : il faut oser ! Lefrère a raison de rappeler à ce propos que Verlaine, dans une lettre du 1er mai 1875, « atteste que Rimbaud lui avait confié ces poèmes en prose ‘pour être imprimés’ ».

      Le biographe et éditeur de la correspondance qu’est Lefrère a beau jeu de dénicher en outre quelques erreurs factuelles, quelques comportements éditoriaux répréhensibles. Quelques-unes de ces gaffes sont amusantes :

  • Guyaux aurait corrigé le « t » de « Victor Hugot » dans la fameuse lettre adressée à Izambard par Vitalie Rimbaud pour lui reprocher d’avoir fait lire de la littérature subversive à son rejeton ;
     

  • il affirmerait que « 'La Bête nouvelle' n’a jamais été retrouvée » comme s’il croyait qu’il s’agit d’une œuvre perdue alors que c’est une désignation facétieuse d’Un cœur sous une soutane dans une lettre de Verlaine (la nouvelle pleine de bêtises, la peu sérieuse nouvelle) ;
     

  • Guyaux « prétend que Rimbaud tient ‘sa manie de changer d’endroit’ de la ‘passion du déménagement’ de sa maman».

     Il faut l'avouer, si sa fougue polémique inquiète un peu, la verve satirique de Lefrère ne laisse d'amuser. Par ailleurs, si l'on considère la pauvreté et le conformisme des comptes rendus qu'il nous a été donné de lire ces temps derniers, émanant de journalistes prétendument spécialisés qui n'ont pas même sur l'auteur des Illuminations le savoir minimum de l'honnête homme (j'excepte l'intéressante chronique de Jean Ristat dans L'Humanité), qui n'ont manifestement pas pris la peine de feuilleter ce dont ils parlent et qui ressortent les mêmes vieilleries de toujours parce qu'on leur a demandé de faire de la copie (Rimbaud et Pléiade obligent), on ne peut que se féliciter qu'il existe en France une Quinzaine littéraire et, en son sein, un Jean-Jacques Lefrère.

21 mars 2009