UN PAYSAGE DE LIVRES
Faut-il dire sources comme Lanson,
hypotextes comme Genette (du grec "hypo", sous, au-dessous
de), ou encore intertextes comme le fait en général la
critique contemporaine pour ménager une possibilité d'hésitation entre
l'imitation et la simple imprégnation culturelle ?
Comme tous les écrivains, consciemment ou
inconsciemment, Rimbaud exploite dans son œuvre, des matériaux qu'il a
trouvés ailleurs. Sans doute même pratique-t-il plus souvent que
d'autres la "réécriture" de textes antérieurs : à cause de sa jeunesse
(il est encore tout imprégné d'une culture fraîchement acquise), et à
cause de son goût pour le détournement et la parodie. En tous cas, les
critiques sont friands de ces traces d'imitation créatrice qui leur
permettent parfois de mieux comprendre des textes difficiles, ou de
mieux s'expliquer le génie précoce de l'auteur. Ils ont multiplié les
hypothèses, pas toujours bien établies, pas toujours très convaincantes
mais intéressantes à connaître.
Je signale régulièrement ces sources présumées
dans mon anthologie commentée. Aussi ai-je jugé utile de placer
les textes concernés à la disposition du lecteur dans une rubrique
particulière du site. Je les accompagne (sous le portrait de leur
auteur) de brèves notices faisant référence aux commentateurs qui les
ont signalés.
La dette de Rimbaud à l'égard des auteurs qui
l'ont influencé se révèle très variable. Cela va de l'emprunt
caractérisé (À la musique / Promenades d'hiver) à la simple
filiation esthétique (Voyelles / Correspondances) en passant par
toutes sortes d'allusions, clins d'œil, pastiches d'apprentissage,
pastiches satiriques, transformations parodiques, "forgeries" (au sens
de Genette), etc. Pour une tentative d'éclaircissement de ces notions,
voir dans mon "glossaire stylistique" à la rubrique "Parodie".
On pourrait parler d'"hypotextes", dans un sens
très large. Les hypotextes rimbaldiens sont les textes d'autres auteurs
que l'on peut parfois trouver sous les textes de Rimbaud
(1). "Source" dit trop. Le mot suggère un degré de dépendance vis à
vis du modèle qui est rarement observable dans les "réécritures"
rimbaldiennes. "Hypotexte" dit seulement qu'il y a quelque chose dessous
: une culture, des lectures, parfois un emprunt mais généralement fort
limité. Le repérage de cette "hypo" ou "intertextualité" a surtout pour
intérêt de rendre manifeste le talent avec lequel le jeune poète
s'empare de son héritage littéraire pour généralement l'enrichir, le
détourner, et affirmer sa propre personnalité.
En empilant les références disparates, d'une
façon qui peut paraître à première vue arbitraire, ce petit florilège
dessine assez bien les contours d'un paysage, un paysage de livres. Il
donne une petite idée des nombreuses sources auxquelles s'est abreuvé un
"poète de sept ans" nommé Arthur Rimbaud. Finalement, "source" dit trop
mais est commode. Surtout pour un titre. Florilège des sources...
c'est joli !
Après tout : pourquoi pas ?
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(1) La plupart des critiques, à la suite
de Julia Kristeva, Michael Riffaterre, utilisent dans le même sens
le mot "intertexte", qui a pour eux le mérite de ne pas
impliquer l'imitation délibérée, mais englobe aussi
bien l'imprégnation inconsciente ou même un simple phénomène de
réception : "L’intertextualité est la perception par le lecteur de rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou suivie."
(Riffaterre). Gérard
Genette
distingue hypertextualité et intertextualité. L'auteur de Palimpsestes
limite la notion d'intertextualité à la présence effective d'un texte
à l'intérieur d'un autre texte sous forme de citation ou d'allusion
explicite : "Je définis [l’intertextualité] pour ma part, d’une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un
autre" (Genette). Sur ce débat d'experts, se reporter par exemple à
cette page de La Revue des ressources : http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=27
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