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Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
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ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche

POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

PARODIE : Imitation caricaturale d'une oeuvre connue. Le parodiste amuse ses lecteurs en se moquant des tics stylistiques, des faiblesses de l'œuvre célèbre prise pour cible. On peut parodier un genre, un style ou une oeuvre précise; on peut parodier l'œuvre entière ou une page connue, une simple phrase, un simple vers, un simple titre.
     À la différence de la parodie, le pastiche tente d'imiter une oeuvre en s'en rapprochant le plus possible, au point de tromper parfois sur l'origine ou de semer le trouble sur l'intention de l'auteur (jeu, canular, plagiat, imitation sérieuse et créatrice...?).  

 

"UN POÈTE DE LA PARODIE"

     Le registre parodique a suscité, ces dernières décennies, un débat littéraire.

      Gérard Genette (op. cit.), dans Palimpsestes. La littérature au second degré, Seuil, 1982, a tenté de replacer la parodie dans le contexte d'un phénomène plus large qu'il appelle l'hypertextualité. Certains textes (hypertextes) dérivent de textes antérieurs (hypotextes) que leur auteur a ouvertement imités ou transformés. Il propose un classement, dont il reconnaît le caractère purement théorique et simplificateur, mais qui ne laisse d'être utile pour décrire les phénomènes de réécriture. Nous le résumons sous forme de tableau, en tentant de l'illustrer par des exemples rimbaldiens.

     Steve Murphy (op. cit.) conteste cette tentative de révolution terminologique en faisant valoir qu'elle tourne le dos au sens courant du mot. À quoi bon vouloir dégager la "parodie proprement dite" du satirique alors que la parodie, est, dans sa définition la plus courante, synonyme de dérision (imitation + irrespect du modèle) ? Il note que si l'on suivait les indications de Genette, pratiquement aucun texte de Rimbaud ne relèverait de la parodie. Tout en reconnaissant le bien fondé de ces réserves nous employons ici les catégories de Genette qui offrent l'avantage de fournir une nomenclature commode et relativement précise.

 

 

HYPERTEXTUALITÉ

PAR IMITATION

PAR TRANSFORMATION

L
U
D
I
Q
U
E
Pastiche

 

Charles d'Orléans à Louis XI

Un exercice d'imitation à usage scolaire.

 

Parodie proprement dite

?

"consiste, selon Genette, à prendre un texte 
« noble », à en conserver le style noble et à lui adapter un sujet bas. Ainsi, vers 1664, Boileau, Racine et quelques autres rédigent une pochade, Chapelain décoiffé, qui reprend quatre scènes du Cid en les adaptant à un sujet de leur invention : Chapelain, poète officiel détesté de Boileau, se voit octroyer une pension que lui conteste son rival, La Serre, qui l’insulte et l’humilie publiquement en lui arrachant sa perruque !" Guy Belzane

S
A
T
I
R
I
Q
U
E
Charge
(Pastiche satirique)
(parodie, au sens courant du terme)

 

Poèmes de l'Album zutique

Rimbaud caricature dans un but de dérision
 les tics de style ou la thématique 
habituelle d'auteurs contemporains.

Travestissement
(parodie, au sens courant du terme)

Proses évangéliques
Les Mains de Jeanne-Marie
Mes petites amoureuses
Chant de guerre parisien
Vénus anadyomène
L'étoile a pleuré rose...
Fêtes de la faim
Michel et Christine
Barbare
Dévotion

Rimbaud fait référence à des textes connus, dont il conserve le sujet dans sa généralité et/ou des éléments de forme. Il leur ajoute un contenu nouveau, en rupture avec celui des originaux, et qui en constitue la critique idéologique. Dans la majorité des cas, ce "travestissement' s'accompagne d'une 
dégradation du style ou du contenu :
   - noble > familier, 
   - poétique > prosaïque, voire obscène,
   - idéalisme > réalisme, 
   - sentimentalisme > cynisme.

S
É
R
I
E
U
S
E
Forgerie

Soleil et Chair
Le Forgeron

Rimbaud pratique dans ces poèmes ce qu'on 
pourrait appeler l'imitation créatrice : il emprunte des tournures de style, un vocabulaire, des thèmes, à des auteurs qu'il aime (Hugo, Banville) dans le but de créer des oeuvres personnelles, sans aucun esprit de moquerie ou de jeu.

On pourrait mentionner aussi dans cette rubrique ce que j'ai appelé ci-dessus le pastiche de genre dans Les Illuminations :


Conte
Génie 
Démocratie
Ouvriers

Le poète glisse un contenu insolite dans le moule conventionnel d'un genre ou d'un style, moins pour s'en moquer que pour en tirer certains effets de sens, en capter le prestige ou les charmes.
La dimension ludique n'est pas absente mais elle ne paraît pas essentielle.

Transposition


Après le Déluge

Rimbaud fait référence à un texte célèbre, le récit du Déluge, dans la Genèse. Il en conserve quelques éléments mais il en donne une version extrêmement différente, dotée d'un symbolisme nouveau, sans intention satirique à l'égard du texte d'origine.

     
      

     Il est arrivé à André Guyaux de définir Rimbaud comme "un poète de la parodie" (avant-propos de l'édition Suzanne Bernard des Classiques Garnier corrigée par André Guyaux). Il n'est pas rare en effet que l'on puisse identifier un autre texte à la source d'un texte de Rimbaud. Un texte ou un style de textes, avec lequel il joue plus ou moins ouvertement, soit pour s'en moquer (c'est le cas le plus fréquent, car Rimbaud est aussi un poète de la satire), soit pour s'en inspirer, de loin (dans ses premiers poèmes, surtout).

     L'Album zutique, recueil collectif rédigé par le cercle des amis de Verlaine (les "Vilains Bonshommes") et auquel Rimbaud a largement contribué est le type même du "pastiche satirique". Les textes parodiés sont facilement identifiables et parfois suivis de très prés. Chaque poème est faussement signé de l'auteur que l'on imite. Un des auteurs les plus fréquemment visés était le poète François Coppée, dont les "Vilains Bonshommes" méprisaient le réalisme familier, un peu trop prosaïque et moralisateur. Ils se parodiaient aussi les uns les autres, n'hésitant pas à emprunter parfois le titre, la composition ou le jeu des rimes du poème imité, et parsemant leurs "charges" de calembours et d'obscénités. 

     Rimbaud semble avoir envisagé un moment de réécrire à sa manière l'Évangile. Nous n'en avons conservé que trois épisodes, que les éditeurs baptisent généralement Proses évangéliques. Le texte rimbaldien suit de si près le modèle que l'on peut parler d'une tentative de travestissement parodique. Il est parfois même difficile de déceler l'intention satirique. L'idée semble avoir été de réécrire l'Évangile dans le sens d'une "vie de Jésus" rationaliste, débarrassée de toute référence aux miracles et au caractère divin du personnage.

     Le premier Rimbaud, celui de 1870, est souvent un imitateur habile des poètes qu'il a aimés : il s'essaie au style de Hugo dans Le Forgeron (le Hugo polémiste et épique de la Légende des Siècles ou des Châtiments) ou dans Les Étrennes des Orphelins (le Hugo social et passablement mélodramatique des Pauvres Gens); il adopte  le style et les thèmes des Parnassiens dans Soleil et Chair, Ophélie, Bal des Pendus,... Mais il s'agit toujours d'œuvres originales, fondées sur une imitation créatrice, où les véritables emprunts sont extrêmement limités. Tout cela le plus sérieusement du monde, bien sûr. Nous ne sommes donc pas dans la "parodie" au sens strict. Mais il y a bien sans doute une part de jeu dans ces exercices romantiques et parnassiens, ces morceaux de bravoure d'un poète de quinze ans qui s'est juré d'égaler ses aînés et qui rivalise assez ouvertement avec eux.

    Évidemment, un même poème peut pratiquer simultanément des formes différentes d'imitation. Par exemple, Vénus anadyomène doit beaucoup à un poème de Glatigny intitulé Les Antres malsains, qui est la description d'une maison close. Nous sommes dans le domaine de l'imitation créatrice. Mais Rimbaud a eu l'idée d'appeler son poème "Vénus anadyomène", et de décrire sa prostituée émergeant d'une vieille baignoire comme Vénus de sa conque marine dans le tableau de Botticelli. Sous cet angle, le poème relève de la parodie. Il propose la satire d'une tradition picturale et mythologique.

    À partir de 1871, l'année de la Commune et de la radicalisation politique du poète, les textes de Rimbaud ont très souvent pour objectif de railler ce qu'il appelle dans la première "lettre du voyant" la "poésie subjective", autrement dit le lyrisme personnel, jugé "égoïste" et "fadasse". Cela suppose nécessairement une part d'imitation, servant de base à une entreprise de subversion. Certains titres paraissent sentimentaux ou méditatifs (Le Cœur supplicié, Mes petites amoureuses, Oraison du soir) mais c'est pour être violemment démentis par le contenu sarcastique et même obscène des poèmes. 

     Plusieurs poèmes de l'année 1871 empruntent ouvertement le titre, et/ou la forme et/ou la thématique de textes d'auteurs connus. Chant de guerre parisien est la reprise du Chant de guerre circassien de François Coppée, sauf qu'il s'agit surtout de chanter les louanges du printemps révolutionnaire de la Commune (18 mars-28 mai 1871) en se moquant de l'exotisme léger du poème de Coppée, des printemps conventionnels de la poésie bucolique et sentimentale, ainsi que de la propagande du gouvernement de Versailles (cf. Wetzel, op. cit.). Les Mains de Jeanne-Marie est une sorte de réplique au poème de Théophile Gautier Étude des mains. Mais, là où celui-ci évoquait les mains de la courtisane Imperia et de l'assassin Lacenaire, mains à la pâleur aristocratique, Rimbaud décide de chanter les mains de Jeanne-Marie qui "ont pâli, merveilleuses, / Au grand soleil d'amour chargé, / Sur le bronze des mitrailleuses / À travers Paris insurgé!". Le quatrain L'étoile a pleuré rose... blasonne à la manière de La Naissance de Vénus de Sully Prudhomme, mais le dernier vers du poème indique un sens en rupture avec les trois vers précédents. Dans de tels cas, la comparaison entre l'hypertexte rimbaldien et l'hypotexte convoqué est amusante pour le lecteur, par le décalage qu'elle permet de repérer sur le plan psychologique ou idéologique. On peut peut-être parler de transformation satirique, implicitement satirique. L'appui sur un texte antérieur connu est ici surtout un prétexte, l'occasion pour Rimbaud d'ouvrir un dialogue et de montrer sa différence.

     En 1872, le même jeu de transformation satirique se poursuivra, avec pour cibles privilégiées les poèmes de Verlaine : Chevaux de bois ("commenté" par Fêtes de la Faim); Malines ("commenté" par Michel et Christine), etc.

     Dans Les Illuminations, Rimbaud s'en prend rarement à des textes précis. Par contre, il lui arrive fréquemment de glisser un contenu insolite dans le moule conventionnel d'un genre ou d'un style. On peut trouver une forme (il est vrai très libre) de réécriture impertinente du texte biblique dans Après le Déluge. Mais ce poème "réécrit" davantage les caricatures politiques et les discours d'époque sur la Commune que le récit de la Genèse. On peut mentionner comme une forme de "pastiche de genre" le jeu d'imitation-subversion du genre merveilleux auquel nous sommes conviés dans Conte, l'histoire d'un prince qui vécut malheureux et qui n'eut pas beaucoup d'enfants (ayant tué toutes ses femmes). De même, Génie pastiche l'éloquence sacrée et le genre de l'hymne, moins pour s'en moquer, semble-t-il, que pour détourner l'intensité émotionnelle de la religiosité chrétienne au profit d'une conception matérialiste du monde, pour exprimer un sentiment de connivence éblouie entre l'homme et la terre. Démocratie dissimule un discours anti-colonial sous les apparences d'une prosopopée héroïque. Ouvriers imite le roman naturaliste, moins pour le parodier que pour mettre sa rhétorique compassionnelle au service d'un thème autobiographique ... Dans ces exemples, la dimension ludique (caractéristique du pastiche selon Gérard Genette) n'est pas absente mais elle ne paraît pas essentielle.

     Certains textes des Illuminations semblent bien se donner pour but d'ironiser une forme dite "noble" par l'insinuation de doubles-sens obscènes. Dévotion développe des allusions érotiques dans un cadre stylistique qui rappelle les litanies religieuses, les prières chrétiennes. Barbare imite le style solennel du discours apocalyptique tout en suggérant une lecture érotique de la vision développée par le poème. Il y a bien là une forme spécifique de "parodie".

     Rimbaud est donc sans conteste, selon la formule d'André Guyaux un "poète de la parodie", mais on aura senti que le terme n'est pas d'un usage facile. Si son emploi ne pose aucun problème lorsque Rimbaud tente de ridiculiser un auteur (François Coppée) ou un registre littéraire (le lyrisme sentimental), il est d'un usage plus contestable lorsque l'imitation relève davantage du "pastiche d'apprentissage" (corpus de 1870) ou d'une transposition sans véritable esprit de dérision (Après le Déluge). Enfin, ne confondons pas parodie et emprunt : pour qu'il y ait "parodie" il faut qu'il y ait (implicitement ou explicitement) discours impertinent sur un autre texte (ou un autre type de texte). Quand Rimbaud emprunte un mouvement rhétorique à Promenades d'Hiver de Glatigny (pour À la musique) on peut à la rigueur parler de plagiat (ce qui serait cocasse vu la supériorité du texte de Rimbaud par rapport à son modèle) mais peut-on parler de parodie ?

    

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Bibliographie 

Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Seuil, 1982.
Hermann H. Wetzel,
La parodie chez Rimbaud, dans Minute d'éveil, SEDES 1984.

Pierre Brunel, Rimbaud, Livre de Poche Références, 2002.
Pierre Brunel, "De Coppée à Rimbaud", dans Écriture de la personne, Presse de l'Université de Clermont-Ferrand, 2004.

Pierre Brunel, "Rimbaud parodiste : Albert Glatigny et Sully Prudhomme",
dans Parade sauvage, Colloque N°4, 13-15 septembre 2002, pages 65-76, 2004.
Steve Murphy,
"Détours et détournements : Rimbaud et le parodique", dans Parade sauvage, Colloque N°4, 13-15 septembre 2002, pages 77-126, 2004.