Rimbaud, le poète / Accueil > Florilège des sources >  Sous bois

Rimbaud a sans doute pu lire en 1871, à Charleville grâce à Paul-Auguste Bretagne ou à Paris grâce à Verlaine, un recueil de vers érotiques bouffonnement intitulé : Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la Braguette, publié en 1866 par Albert Glatigny. En effet, Steve Murphy a révélé, dans son Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion (P.-U. Lyon, 1991) la ressemblance troublante entre un vers d'un texte de cet ouvrage, "Sous Bois" :

Et ton rire lubrique éclate sous les branches

et un vers de Rimbaud dans Tête de faune :
.

Sa lèvre éclate en rires sous les branches

     Il a tiré de cette filiation un argumentaire convaincant, visant à démontrer l'érotisme implicite du texte de Rimbaud.
     D'autres convergences sont perceptibles : la lèvre "brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux" chez Rimbaud, "barbouillé[e] de mûres" chez Glatigny, par exemple. Mais le thème du Faune, si rebattu des romantiques jusqu'aux parnassiens, Verlaine et Mallarmé, présente des stéréotypes si récurrents qu'il est difficile de fonder sur ce type de convergences des hypothèses d'influences directes ... sauf quand l'emprunt est aussi patent que dans les vers mentionnés ci-dessus.
     Steve Murphy a signalé en outre que le volume de Glatigny s'orne de plusieurs dessins de faunes, dont une tête de faune en page de garde, ce qui laisse entrevoir une possible "finalité intertextuelle" clandestine dans l'intitulé du poème de Rimbaud (Steve Murphy, "Tête de faune et le sous-bois des références" Parade sauvage n°20, déc.2004). 
     Dans ce même article de PS n°20, S.Murphy montre que plusieurs mots-rimes du poème de Rimbaud (fleurie/broderie/yeux) ont très certainement été empruntés à un autre poème intitulé "Sous bois", celui-là de Théodore de Banville, dans ses Cariatides (ci-contre, en annexe).

                     

Sous bois

O bon faune ! couché dans les fourrés épais,
Tu savoures, les yeux demi-fermés, la paix
Qui tombe du soleil sur la cime des chênes.
Les lianes, pendant comme de vertes chaînes
A tous les bas rameaux, emplissant la forêt
Où court un jour voilé, langoureux et discret.
Tu songes, barbouillé de mûres, et sommeilles
Sous le vol circulaire et pesant des abeilles.
Mais tout à coup, muet, courbé sous les taillis,
Tu laisses échapper tous les beaux fruits cueillis,
Tu frémis, et tes yeux, dans ta face cornue
S'allument... C'est qu'au fond de la verte avenue,
Naïs aux yeux charmants, chère à Diane encor,
Svelte et laissant flotter ses vives tresses d'or,
Paraît, de son pied nu caressant les pervenches...
Et ton rire lubrique éclate sous les branches.

Albert Glatigny,                                    
                                    
Joyeusetés galantes et autres du vidame 
Bonaventure de la Braguette, 1866.

 

ANNEXE

Sous bois

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d'yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d'or et leurs peaux de loups.

Pierrot s'est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d'un air triste et doux
Viennent en rêvant le Poëte et l'Ane.

 26 janvier 1842.                                

   Théodore de Banville,                 
Les Cariatides, 1839-1842.