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Une saison en enfer
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L'édition originale d'Une
Saison en enfer
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Il y a
cent cinquante ans, en septembre ou octobre 1873, Une saison en enfer,
le seul livre qu'ait pu faire imprimer Rimbaud, est sorti des
presses d’une coopérative ouvrière bruxelloise.
Il n’en
existait pas jusqu'ici de fac-similé convenable.
C’est chose
faite. Nous avons fait imprimer à 500 exemplaires une édition
semblable à l'originale.
Un exemplaire de
l’édition originale d’Une saison en enfer d’Arthur
Rimbaud, acquis à la fin du siècle dernier par Alain Oriol, a
servi à la présente édition fac-similaire. Grâce à ce
dernier, Isabelle Gaudon
a pupréciser certains points concernant le
façonnage de cette plaquette.
Le livre imprimé en 1873 a
fait l’objet d’une étude par Christophe Bataillé, très détaillée, « L’édition originale d’Une
saison en enfer »,
RHLF, PUF ; n°3, juillet-septembre 2008, p. 651-665. Le
lecteur pourra s’y reporter avec profit. Comme il pourra
lire sur ce point la notice d'Alain Bardel dans
Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable à paraître
en 2023 aux Presses Universitaires du Midi. |
Un tirage
abandonné |
Rimbaud a fait imprimer Une saison en enfer par
l’Alliance typographique située 37, rue aux Choux à Bruxelles.
Ce genre de coopérative était alors en vogue ans le milieu
ouvrier. Elle était proche de l’hôpital Saint-Jean où Rimbaud,
le 12 juillet 1873, fait soigner son poignet gauche blessé par
Verlaine d’un coup de revolver. C’est peut-être à ce moment-là
qu’il prend contact avec cette association pour faire imprimer
ce texte dont il disait en mai : « Mon sort dépend de ce
livre ». Mais on ignore totalement s’il a discuté
directement avec l’éditeur-imprimeur ou l’un de ses employés de
la présentation de la plaquette et des conditions financières de
l’édition, fin juillet-début août. Ou si, à la même période,
cela s’est réglé par correspondance, depuis, pour Rimbaud, la
ferme familiale de Roche où il était revenu. On ignore aussi
comment, une fois le tirage achevé il a obtenu quelques
exemplaires d’auteur. Il a pu les recevoir à Roche, ou bien en
prendre possession chez l’imprimeur car on sait qu’il est à
Bruxelles vers le 20 octobre et qu’une note de police signale qu’il
est « parti furtivement » de la capitale belge le 24
octobre. Le
tirage total restera dans le magasin de l’Alliance typographique
jusqu’en 1901 où un avocat et bibliophile le découvrira…
Christophe Bataillé, dans l’ouvrage cité, après avoir noté que
la « couverture bicolore » reprend « les couleurs infernales »,
se demande plaisamment : « Faut-il aller jusqu’à considérer
comme sataniques les “A” majuscules particuliers contenus dans
le nom de l’auteur sur la couverture qui sont d’ailleurs repris
dans les titres des proses ? ».
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Un petit volume,
souple et léger |
C’est une plaquette de
petites dimensions : 12,4 x 18,5 cm, l’épaisseur de son dos
carré n’excédant pas 3 mm. Le papier est un papier légèrement
ivoiré. Celui des pages intérieures est d’un faible grammage, 60
grammes, celui de la couverture est d’un grammage légèrement
plus fort, 80 ou 90 grammes. La police de caractères employée
pour l’ensemble est de type Bodoni, un caractère de la fin du
XVIIIe siècle vite devenu classique. Les « A » en
capitale, avec une barre en forme de V, ont un aspect quelque
peu gothique. La sorte de reliure adoptée est celle dite « dos
carré collé cousu ». Après la composition des textes et la mise
en page, l’impression en noir a été effectuée feuille à feuille.
Au façonnage, les quatre pages sont pliées pour former quatre
cahiers qui, chacun
ayant
été cousu, sont collés
à la couverture |
imprimée à part. Le poids du volume est
de 40 grammes.
Au premier plat, la couverture est imprimée en noir et
rouge, le titre, en capitales sur deux lignes, se
distinguant en rouge. Le reste de la titraille — initiale du
prénom et nom de l’auteur, prix (en francs français),
éditeur (M.-J. Poot) et son adresse à Bruxelles, date
d’édition —, est encadré de deux filets : un double filet
gras à l’extérieur, un filet simple fin à l’intérieur.
L’aspect de cette couverture n’est pas sans rappeler celui
des publications de la collection « Blanche » de la NRF,
sauf que, dans celles-ci, c’est le rectangle extérieur qui
est mince et noir, tandis que l’intérieur est constitué d’un
double filet rouge. Les trois autres plats de la couverture
et le dos carré sont vierges. |
Une foliotation discontinue |
Notre reproduction fidèle de
l’édition originale d’Une saison en enfer
permettra au lecteur de constater l’une de ses principales
particularités : la foliotation des pages. Le premier folio
rencontré, centré en haut de page entre deux tirets, est le 2,
preuve que la pagination de cette édition, phénomène peu
courant, commence dès la première page de texte. Le volume, en
effet, ne comporte aucune des habituelles pages liminaires :
pages de garde, pages de faux-titre et de titre. La pagination
reprend ensuite au folio 6. C’est que la cinquième page, début
de « Mauvais sang », tout à fait conventionnellement, n’est pas
foliotée et que, de façon beaucoup moins conventionnelle, deux
pages blanches, correspondant aux folios 3 et 4, ont été
ménagées entre la première et la seconde prose. Le phénomène se
reproduit ensuite, à l’identique, entre « Mauvais sang »
(p. 5-12) et « Nuit de l’enfer » (p. 15-17) : les pages 13 et 14
sont encore des pages vierges.
L’éditeur-imprimeur bruxellois d’Une saison en enfer
s’est visiblement fixé comme règle de laisser toujours deux
pages vierges entre deux chapitres successifs. On compte donc
dans le volume un nombre important de pages blanches, dépourvues
de folios imprimés mais comprises dans la foliotation :
dix-sept, presque le tiers du nombre total. L’imprimeur, avec ou
sans l'auteur, a peut-être souhaité épaissir un peu la plaquette
de manière à en faire un vrai livre. Conséquence étrange de ce
choix, entre « Nuit de l’enfer » et la prose suivante, « Vierge
folle », ce ne sont pas deux mais trois pages vierges que nous
rencontrons. Pourquoi ? Tout simplement, parce que « Nuit de
l’enfer » se termine en « belle page », c’est-à-dire sur une
page de droite. Dans ce cas, il est de convention de laisser le
verso vierge afin de pouvoir placer le titre suivant en belle
page. Ajoutez les deux pages blanches règlementaires… vous en
avez trois. Le phénomène se reproduit plus loin à l’identique
entre « L’Impossible » (p. 39-41) et « L’Éclair » (p. 45-46).
Signalons enfin, anomalie dans l’anomalie, la présence d’une
seule page vierge entre les deux dernières proses, « Matin » et
« Adieu ». C’est certainement dû, explique Christophe Bataillé,
qui a étudié la question en détail (Ibid. p.
660-661), |
au souci
d’éviter un trop grand isolement de « Matin », dont le texte
a été légèrement rehaussé sur une seule page, au milieu
d’une succession de pages blanches.

En comparant ce folio 49 aux folios 21 et 29
(ci-après) où figurent aussi des titres, on voit que
titre et texte de « Matin » ont été remontés en hauteur
de presque 2 cm, et que le large trait horizontal de fin
de prose est absent.
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Un façonnage complexe |
Le livre sorti des presses de l’Alliance typographique en 1873
est constitué de quatre cahiers, respectivement obtenus par
pliage de quatre feuilles initiales de dimensions inégales.
D’abord trois cahiers de douze pages, puis un cahier de seize
pages. Mais ces quatre cahiers ne formant réunis qu’un ensemble
de cinquante-deux pages se sont avérés insuffisants pour
contenir le texte de Rimbaud. L’imprimeur a donc dû coller un
feuillet supplémentaire après le dernier cahier, celui de seize
pages. Les folios 53 et 54 sont le recto et le verso de cette
feuille unique collée après le quatrième cahier. Les cahiers,
chacun cousu au centre, ont ensuite été collés, comme
le
feuillet rapporté, dans
la feuille de couverture au
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papier légèrement plus fort.
Certaines des pages de cette édition
originale montrent en tout petits caractères, dans le coin
inférieur droit, ce qu’on appelle dans le vocabulaire de
l’imprimerie des « signatures ». Elles sont les repères destinés
à faciliter l’assemblage correct lors de la phase ultime de
façonnage du livre. L’on distingue ainsi, placés indifféremment
sur les pages imprimées ou sur les pages vierges : p. 1, le
chiffre « 1 » ; p. 5, « 1* » ; p. 13, « 2 » ; p. 17, « 2* » ;
p. 25, « 3 » ; p. 29, 3* ; p. 37, « 4 » ; p. 41, « 4* » ; p. 43,
« 4** » ; p. 53, « 5 ». Un chiffre suivi d’un astérisque signale
le verso de la feuille concernée. |
Une mise en page variable |
La mise en page montre la présence de traits de séparation
horizontaux nombreux, de deux tailles différentes. Une
première catégorie de traits mesure deux centimètres,
l’autre environ la moitié. Le plus larges traits visent
aussi bien à segmenter le texte qu'à détacher les titres et
à les hiérarchiser lorsqu’ils sont composés. La variante
courte sert essentiellement à détacher les titres de
chapitres du corps de texte.
Mais cette règle n’est pas toujours appliquée de façon
systématique. Le trait long est utilisé pour marquer la fin
des chapitres, mais on n’en trouve
ni après « Nuit de
l'enfer », ni
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à la fin de
« Matin » ! Rimbaud, car c’est probablement lui plutôt que
l’imprimeur, emploie aussi ce trait long pour séparer huit
sections dans « Mauvais sang » et deux parties dans
« Adieu ».
Dans « Alchimie du verbe », où les poèmes se présentent
souvent par groupes de deux, le trait long sépare les pièces
jumelées l’une de l’autre, et, à deux reprises (après « À
quatre heures du matin… » et « Elle est retrouvée… »),
il sert aussi de démarcation avec la continuation en prose.
Enfin, Rimbaud l’utilise pour détacher et mettre en relief
les deux phrases lapidaires constituant la pointe du
chapitre.
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La mise en page des titres
composés des deux « Délires » révèle un souci de
hiérarchisation. Les majuscules de grande
taille, identiques à celles de tous les autres
titres du livre, sont réservées aux formules
« Vierge folle » et « Alchimie du verbe » qui
apparaissent de ce fait comme les titres à
proprement parler de leurs chapitres respectifs.
« Délires I » et « Délires II » sont imprimés
dans des caractères de taille inférieure. Ce ne
sont que des surtitres, séparés du titre
principal par un trait long. Quant au sous-titre
« L’Époux infernal », détaché par un trait court
du titre principal « Vierge folle », il est
imprimé en lettres plus petites encore que
celles de « Délires I », mais en caractères
gras. On peut penser qu’il indique l’autre
protagoniste de cette confession.
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Un texte parfois fautif |
Le texte imprimé de l’édition originale d’Une saison en enfer
montre de nombreuses erreurs. Les plus repérables ne sont que
des « coquilles » et les éditeurs s’autorisent
légitimement à les corriger. En 2009, dans son volume des
Œuvres complètes de la Pléiade, André Guyaux signale qu’il a
rétabli « mène trop loin » dans « la domesticité même trop
loin » (« Mauvais sang »), « arrangées » dans « les
chansons populaires arrangés » (« Mauvais sang » aussi), « j’aurais
pu » dans « des femmes
[…] dont j’aurai pu faire de bonnes camarades » (« Vierge
folle ») et « puiser » dans « où puisser le secours »
(« Adieu »).
Quelques-unes de ces incongruités textuelles posent malgré
tout problème à l’éditeur. Par exemple, Rimbaud a-t-il vraiment
écrit : « Je me ferai des entailles partout le corps »
(« Vierge folle ») ? Dans le brouillon correspondant à la
dernière section de « Mauvais sang », on peut lire :
« [Sais-je où je vais corrigé en Où va-t-on],
à la bataille ?
Ah ! mon ami ! ma sale jeunesse ! Va !..., va, les autres
avancent [« remuent »
biffé] les autels, les armes »
Mais on lit dans l’originale : « […]
les outils, les armes ». Dans les rééditions du
volume de la Pléiade ultérieures à 2009, André Guyaux
rétablit « autels » à la place d'« outils », considérant ce dernier mot comme une coquille
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Une saison en enfer,
fac-similé des 150 ans,
édité par
Alain Oriol, à Toulouse, aux dépens d'amateurs, 2023.
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