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L'édition originale d'Une Saison en enfer
 

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►Présentation de l'initiative : 1 franc, 54 pages, quarante grammes d'un « carnet de damné » !

L'édition originale d'Une Saison en enfer : comment était vraiment faite la plaquette de 1873.

Dossier de presse


Pour mentionner cette publication :

Une saison en enfer, fac-similé des 150 ans, édité par Alain Oriol, à Toulouse, aux dépens d'amateurs, 2023.


Contact :
alainoriol1492@gmail.com 
 

   Il y a cent cinquante ans, en septembre ou octobre 1873, Une saison en enfer, le seul livre qu'ait pu faire imprimer Rimbaud, est sorti des presses d’une coopérative ouvrière bruxelloise. Il n’en existait pas jusqu'ici de fac-similé convenable. C’est chose faite. Nous avons fait imprimer à 500 exemplaires une édition semblable à l'originale.
  
Un exemplaire de l’édition originale d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, acquis à la fin du siècle dernier par Alain Oriol, a servi à la présente édition fac-similaire. Grâce à ce dernier, Isabelle Gaudon a pupréciser certains points concernant le façonnage de cette plaquette.
   Le livre imprimé en 1873 a fait l’objet d’une étude par Christophe Bataillé, très détaillée, « L’édition originale d’Une saison en enfer », RHLF, PUF ; n°3, juillet-septembre 2008, p. 651-665. Le lecteur pourra s’y reporter avec profit. Comme il pourra lire sur ce point la notice d'Alain Bardel dans Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable à paraître en 2023 aux Presses Universitaires du Midi.

Un tirage abandonné 

    Rimbaud a fait imprimer Une saison en enfer par l’Alliance typographique située 37, rue aux Choux à Bruxelles. Ce genre de coopérative était alors en vogue ans le milieu ouvrier. Elle était proche de l’hôpital Saint-Jean où Rimbaud, le 12 juillet 1873, fait soigner son poignet gauche blessé par Verlaine d’un coup de revolver. C’est peut-être à ce moment-là qu’il prend contact avec cette association pour faire imprimer ce texte dont il disait en mai : « Mon sort dépend de ce livre ». Mais on ignore totalement s’il a discuté directement avec l’éditeur-imprimeur ou l’un de ses employés de la présentation de la plaquette et des conditions financières de l’édition, fin juillet-début août. Ou si, à la même période, cela s’est réglé par correspondance, depuis, pour Rimbaud, la ferme familiale de Roche où il était revenu. On ignore aussi comment, une fois le tirage achevé il a obtenu quelques exemplaires d’auteur. Il a pu les recevoir à Roche, ou bien en prendre possession chez l’imprimeur car on sait qu’il est à Bruxelles vers le 20 octobre et qu’une note de police signale qu’il est « parti furtivement » de la capitale belge le 24 octobre. Le tirage total restera dans le magasin de l’Alliance typographique jusqu’en 1901 où un avocat et bibliophile le découvrira…  Christophe Bataillé, dans l’ouvrage cité, après avoir noté que la « couverture bicolore » reprend « les couleurs infernales », se demande plaisamment : « Faut-il aller jusqu’à considérer comme sataniques les “A” majuscules particuliers contenus dans le nom de l’auteur sur la couverture qui sont d’ailleurs repris dans les titres des proses ? ».
 


Un petit volume, souple et léger

     C’est une plaquette de petites dimensions : 12,4 x 18,5 cm, l’épaisseur de son dos carré n’excédant pas 3 mm. Le papier est un papier légèrement ivoiré. Celui des pages intérieures est d’un faible grammage, 60 grammes, celui de la couverture est d’un grammage légèrement plus fort, 80 ou 90 grammes. La police de caractères employée pour l’ensemble est de type Bodoni, un caractère de la fin du XVIIIe siècle vite devenu classique. Les « A » en capitale, avec une barre en forme de V, ont un aspect quelque peu gothique. La sorte de reliure adoptée est celle dite « dos carré collé cousu ». Après la composition des textes et la mise en page, l’impression en noir a été effectuée feuille à feuille. Au façonnage, les quatre pages sont pliées pour former quatre cahiers qui, chacun ayant été cousu, sont collés à la couverture

imprimée à part. Le poids du volume est de 40 grammes.
     Au premier plat, la couverture est imprimée en noir et rouge, le titre, en capitales sur deux lignes, se distinguant en rouge. Le reste de la titraille — initiale du prénom et nom de l’auteur, prix (en francs français), éditeur (M.-J. Poot) et son adresse à Bruxelles, date d’édition —, est encadré de deux filets : un double filet gras à l’extérieur, un filet simple fin à l’intérieur. L’aspect de cette couverture n’est pas sans rappeler celui des publications de la collection « Blanche » de la NRF, sauf que, dans celles-ci, c’est le rectangle extérieur qui est mince et noir, tandis que l’intérieur est constitué d’un double filet rouge. Les trois autres plats de la couverture et le dos carré sont vierges.
Une foliotation discontinue

    Notre reproduction fidèle de l’édition originale d’Une saison en enfer permettra au lecteur de constater l’une de ses principales particularités : la foliotation des pages. Le premier folio rencontré, centré en haut de page entre deux tirets, est le 2, preuve que la pagination de cette édition, phénomène peu courant, commence dès la première page de texte. Le volume, en effet, ne comporte aucune des habituelles pages liminaires : pages de garde, pages de faux-titre et de titre. La pagination reprend ensuite au folio 6. C’est que la cinquième page, début de « Mauvais sang », tout à fait conventionnellement, n’est pas foliotée et que, de façon beaucoup moins conventionnelle, deux pages blanches, correspondant aux folios 3 et 4, ont été ménagées entre la première et la seconde prose. Le phénomène se reproduit ensuite, à l’identique, entre « Mauvais sang » (p. 5-12) et « Nuit de l’enfer » (p. 15-17) : les pages 13 et 14 sont encore des pages vierges.
     L’éditeur-imprimeur bruxellois d’Une saison en enfer s’est visiblement fixé comme règle de laisser toujours deux pages vierges entre deux chapitres successifs. On compte donc dans le volume un nombre important de pages blanches, dépourvues de folios imprimés mais comprises dans la foliotation : dix-sept, presque le tiers du nombre total. L’imprimeur, avec ou sans l'auteur, a peut-être souhaité épaissir un peu la plaquette de manière à en faire un vrai livre. Conséquence étrange de ce choix, entre « Nuit de l’enfer » et la prose suivante, « Vierge folle », ce ne sont pas deux mais trois pages vierges que nous rencontrons. Pourquoi ? Tout simplement, parce que « Nuit de l’enfer » se termine en « belle page », c’est-à-dire sur une page de droite. Dans ce cas, il est de convention de laisser le verso vierge afin de pouvoir placer le titre suivant en belle page. Ajoutez les deux pages blanches règlementaires… vous en avez trois. Le phénomène se reproduit plus loin à l’identique entre « L’Impossible » (p. 39-41) et « L’Éclair » (p. 45-46). Signalons enfin, anomalie dans l’anomalie, la présence d’une seule page vierge entre les deux dernières proses, « Matin » et « Adieu ». C’est certainement dû, explique Christophe Bataillé, qui a étudié la question en détail  (Ibid. p. 660-661),

au souci d’éviter un trop grand isolement de « Matin », dont le texte a été légèrement rehaussé sur une seule page, au milieu d’une succession de pages blanches.

 


En comparant ce folio 49 aux folios 21 et 29 (ci-après) où figurent aussi des titres, on voit que titre et texte de « Matin » ont été remontés en hauteur de presque 2 cm, et que le large trait horizontal de fin de prose est absent.

Un façonnage complexe

    Le livre sorti des presses de l’Alliance typographique en 1873 est constitué de quatre cahiers, respectivement obtenus par pliage de quatre feuilles initiales de dimensions inégales. D’abord trois cahiers de douze pages, puis un cahier de seize pages. Mais ces quatre cahiers ne formant réunis qu’un ensemble de cinquante-deux pages se sont avérés insuffisants pour contenir le texte de Rimbaud. L’imprimeur a donc dû coller un feuillet supplémentaire après le dernier cahier, celui de seize pages. Les folios 53 et 54 sont le recto et le verso de cette feuille unique collée après le quatrième cahier. Les cahiers, chacun cousu au centre, ont ensuite été collés, comme le feuillet rapporté, dans la feuille de couverture au 

papier légèrement plus fort. 
     Certaines des pages de cette édition originale montrent en tout petits caractères, dans le coin inférieur droit, ce qu’on appelle dans le vocabulaire de l’imprimerie des « signatures ». Elles sont les repères destinés à faciliter l’assemblage correct lors de la phase ultime de façonnage du livre. L’on distingue ainsi, placés indifféremment sur les pages imprimées ou sur les pages vierges : p. 1, le chiffre « 1 » ; p. 5, « 1* » ; p. 13, « 2 » ; p. 17, « 2* » ; p. 25, « 3 » ; p. 29, 3* ; p. 37, « 4 » ; p. 41, « 4* » ; p. 43, « 4** » ; p. 53, « 5 ». Un chiffre suivi d’un astérisque signale le verso de la feuille concernée.
Une mise en page variable

     La mise en page montre la présence de traits de séparation horizontaux nombreux, de deux tailles différentes. Une première catégorie de traits mesure deux centimètres, l’autre environ la moitié. Le plus larges traits visent aussi bien à segmenter le texte qu'à détacher les titres et à les hiérarchiser lorsqu’ils sont composés. La variante courte sert essentiellement à détacher les titres de chapitres du corps de texte.
     Mais cette règle n’est pas toujours appliquée de façon systématique. Le trait long est utilisé pour marquer la fin des chapitres, mais on n’en trouve ni après « Nuit de l'enfer », ni

 

à la fin de « Matin » ! Rimbaud, car c’est probablement lui plutôt que l’imprimeur, emploie aussi ce trait long pour séparer huit sections dans « Mauvais sang » et deux parties dans « Adieu ».
    Dans « Alchimie du verbe », où les poèmes se présentent souvent par groupes de deux, le trait long sépare les pièces jumelées l’une de l’autre, et, à deux reprises (après « À quatre heures du matin… » et « Elle est retrouvée… »), il sert aussi de démarcation avec la continuation en prose. Enfin, Rimbaud l’utilise pour détacher et mettre en relief les deux phrases lapidaires constituant la pointe du chapitre.

 

 

 

La mise en page des titres composés des deux « Délires » révèle un souci de hiérarchisation. Les majuscules de grande taille, identiques à celles de tous les autres titres du livre, sont réservées aux formules « Vierge folle » et « Alchimie du verbe » qui apparaissent de ce fait comme les titres à proprement parler de leurs chapitres respectifs. « Délires I » et « Délires II » sont imprimés dans des caractères de taille inférieure. Ce ne sont que des surtitres, séparés du titre principal par un trait long. Quant au sous-titre « L’Époux infernal », détaché par un trait court du titre principal « Vierge folle », il est imprimé en lettres plus petites encore que celles de « Délires I », mais en caractères gras. On peut penser qu’il indique l’autre protagoniste de cette confession.

 

Un texte parfois fautif

    Le texte imprimé de l’édition originale d’Une saison en enfer montre de nombreuses erreurs. Les plus repérables ne sont que des « coquilles » et les éditeurs s’autorisent
légitimement à les corriger. En 2009, dans son volume des Œuvres complètes de la Pléiade, André Guyaux signale qu’il a rétabli « mène trop loin » dans « la domesticité même trop loin » (« Mauvais sang »), « arrangées » dans « les chansons populaires arrangés » (« Mauvais sang » aussi), « j’aurais pu » dans « des femmes […] dont j’aurai pu faire de bonnes camarades » (« Vierge folle ») et « puiser » dans « où puisser le secours » (« Adieu »).
    Quelques-unes de ces incongruités textuelles posent malgré tout problème à l’éditeur. Par exemple, Rimbaud a-t-il vraiment écrit : « Je me ferai des entailles partout le corps » (« Vierge folle ») ? Dans le brouillon correspondant à la dernière section de « Mauvais sang », on peut lire :

    « [Sais-je où je vais corrigé en Où va-t-on], à la bataille ?
    Ah ! mon ami ! ma sale jeunesse ! Va !..., va, les autres avancent
[« remuent » biffé] les autels, les armes »

Mais on lit dans l’originale : « […] les outils, les armes ». Dans les rééditions du volume de la Pléiade ultérieures à 2009, André Guyaux rétablit « autels » à la place d'« outils »,  considérant  ce  dernier mot comme une coquille  

 

des typographes. Cette révision a été initialement prônée par David Ducoffre dans un billet du 19 juin 2011 sur le blog Rimbaud ivre :
http://rimbaudivre.blogspot.jp/2011/06/le-sabre-et-le-goupillon-une-coquille.html

Le 15 septembre 2023,       

Alain Oriol

 

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