Antique
Gracieux fils de Pan ! Autour de ton front couronné de
fleurettes et de baies tes yeux, des boules précieuses,
remuent. Tachées de lies brunes, tes joues se creusent. Tes
crocs luisent. Ta poitrine ressemble à une cithare, des
tintements circulent dans tes bras blonds. Ton cœur bat
dans ce ventre où dort le double sexe. Promène-toi, la nuit,
en mouvant doucement cette cuisse, cette seconde cuisse et
cette jambe de gauche.
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La critique a compliqué à l'envi
l'interprétation de ce petit poème dont le sens paraît globalement
clair, ce qui n'enlève rien à son charme fait de suggestions érotiques,
fantastiques et d'une musicalité lascive.
On y a décelé une version rimbaldienne du mythe de l'Hermaphrodite
(à cause du "double sexe"). On a vu dans ce "fils de Pan" ce que les
musées appellent "un antique", une statue que Rimbaud aurait vue et
voulu décrire ou, tout au moins, un "faux antique" (Pierre Brunel), un
"être imaginaire" que le poète, nouveau Pygmalion, "réveille, crée,
anime [...] appelle ou rappelle à la vie" (André Guyaux).
Ces gloses ingénieuses sont-elles indispensables ? La présence
d'un corps immobile n'implique pas l'idée d'une statue. Ce corps,
d'ailleurs, est bien vivant, comme le montrent la mobilité des yeux et
des joues ainsi que les "crocs" luisants, prêts à mordre, de loup-garou
lubrique (on pense au "faune effaré" de
Tête de faune qui "montre ses deux yeux / Et mord les fleurs rouges
de ses dents blanches").
Le désir de voir ce corps s'animer "doucement", de voir ce sexe
endormi se réveiller sur l'injonction de la voix entendue dans le texte,
nécessite-t-il vraiment une explication par le rêve ou le surnaturel ?
La référence faunesque (où l'on a parfois reconnu Silène, ivrogne
invétéré et précepteur de Bacchus, que les poètes de l'antiquité
disaient fils de Pan) est-elle autre chose qu'une image pour
caractériser un être ou un type d'êtres bien réels et tout à fait
contemporains de l'auteur ? L'appel au mythe ne semble pas avoir d'autre
fonction, ici, que de travestir et/ou de magnifier (en une sorte de
blason) la célébration d'un corps masculin.
Le mot "antique", enfin, doit-il être obligatoirement compris
comme un nom, désignant une œuvre d'art ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un
adjectif (d'autres titres des Illuminations sont faits ainsi :
"Mystique", "Métropolitain") qualifiant le sujet ou le ton de la scène
décrite : une scène d'amour à l'antique, par exemple ?
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