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Arthur
Rimbaud, le poète
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Alchimie du verbe
LES ÉTAPES DU RÉCIT |
I - LA POÉTIQUE
DU
VOYANT
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I - 1 / L'IMAGINATION ROMANESQUE
Un excentrique.
Imagination débridée, attrait du romanesque et goûts démodés (pour
les formes d'expression désuètes ou populaires). |
DÉLIRES
II
Alchimie du
verbe
À moi.
L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages
possibles, et trouvais dérisoire les célébrités de la peinture et de
la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles
de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature
démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans
de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras
vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de
relations, républiques sans histoires, guerres de religion
étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de
continents :
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I - 2 / LA PRATIQUE RAISONNEE
DE L'HALLUCINATION Le texte cadre
: Les sophismes magiques (simulation de pouvoirs magiques), pratique
de l'hallucination volontaire.conception démiurgique de la poésie.
Poèmes : L'ivresse, la soif spirituelle,
les paradis artificiels Ils n'illustrent qu'une infime partie du
texte mais une idée structurante
L'impossible satisfaction du désir,
satisfaction que l'alcool permet d'approcher mais pas de saisir. Le
locuteur de "Loin des oiseaux, dans un registre pathétique, ou les
ouvriers de A 4 h, dans un registre plutôt facétieux, doivent se
contenter du paradis artificiel trouvé dans l'ivresse, à défaut de
pouvoir accéder à l'or ou à cette forme burlesque d'éternité qu'est
le bain dans la mer à midi
Murat : critique de la "poétique romantique" (411)
"une crise maniaque" (411)
Voyelles "L'idée qu'il illustre constitue constitue l'élément
déclencheur et le premier symptôme de la crise : la distance
critique est nettement marquée par l'exclamation, par le verbe "je
me flattai", et par l'idée d'un hermétisme volontaire." (413)
Il estime que ADV "présente les poèmes du printemps 1872 comme une
première réalisation du programme des lettres de 1871" (413) |
je
croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! — A noir, E blanc, I
rouge, O bleu, U vert. — Je réglai la forme et le mouvement de
chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai
d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous
les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits,
je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
__________
Loin des
oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert ?
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
— Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert ! —
Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case
Chérie ? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge.
— Un orage vint chasser le ciel. Au soir
L'eau des bois se perdait sur les sables vierges,
Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ;
Pleurant, je voyais de l'or — et ne pus boire. — |
__________
À quatre
heures du matin, l'été,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bocages s'évapore
L'odeur du soir fêté.
Là-bas, dans leur vaste chantier
Au soleil des Hespérides,
Déjà s'agitent — en bras de chemise —
Les Charpentiers.
Dans leurs Déserts de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la ville
Peindra de faux cieux.
Ô, pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vénus ! quitte un instant les Amants
Dont l'âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers,
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer à midi. |
__________
La vieillerie poétique avait une bonne
part dans mon alchimie du verbe.
Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très
franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de
tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel,
un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de
vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination
des mots ! |
II - LE
DESIR
DE REGRESSION
A L'ELEMENT
NATUREL |
II - LA REGRESSION A L'ÉLÉMENTAIRE
Evolution de la crise poétique en crise
psychique (Murat) Passage au plan psychologique : léthargie et
comportement régressif, "vœu extatique d'anéantissement" (Murat,
p.424) "anéantissement extatique" serait mieux
Régression à l'élémentaire
Mort par dissolution dans l'élément naturel
Je note que ce thème était aussi présent
dans des textes non repris : sections 3 et 5 de Comédie de la soif,
Bannières de mai.
-> Culmination de l'expérience de fusion
panthéiste (Murat 417).
Murat : La sacralisation de la folie entraîne la perte de toute
distance critique, abandonnant le sujet à la passivité et au désir
régressif" (414)
"Enfin, ô bonheur, ô
raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus,
étincelle d'or de la lumière nature. "
Murat souligne que le brouillon dit
"je crus avoir trouvé" et ironise "c'était très sérieux" mais ADV
supprime cette distance critique qui est malgré tout rétablie par la
présentation d'Eternité (je prenais un air ...) et la réécriture qui
balalise le texte. (415-416)
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Je
finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J'étais
oisif, en proie à une lourde fièvre : j'enviais la félicité des
bêtes, — les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les
taupes, le sommeil de la virginité !
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans
d'espèces de romances :
CHANSON DE LA PLUS HAUTE TOUR
Qu'il
vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie.
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
Telle la prairie
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
Des sales mouches.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne. |
J'aimai le désert, les vergers brûlés, les boutiques fanées,
les boissons tiédies. Je me traînais dans les ruelles puantes et,
les yeux fermés, je m'offrais au soleil, dieu de feu.
"Général, s'il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines,
bombarde-nous avec des blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins
splendides ! dans les salons ! Fais manger sa poussière à la ville.
Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs de poudre de rubis
brûlante..."
Oh ! le moucheron enivré à la pissotière de l'auberge, amoureux
de la bourrache, et que dissout un rayon !
FAIM
Si j'ai du
goût, ce n'est guère
Que pour la terre et les pierres.
Je déjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieilles pierres d'églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises. |
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Le loup
criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron. |
Enfin,
ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et
je vécus, étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je
prenais une expression bouffonne et égarée au possible :
Elle est
retrouvée !
Quoi ? l'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
Mon âme éternelle,
Observe ton vœu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans !
Tu voles selon...
— Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.
Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.
Elle est retrouvée !
— Quoi ? — l'Éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil. |
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III - DE LA FOLIE
QU'ON ENFERME
À LA PARANOIA MYSTIQUE |
III- 1 / LA FOLIE QU'ON ENFERME
Paroxysme de la crise
Les "sophismes de la folie" involontaires
non maîtrisés ont pris la place des "sophismes" magiques volontaires
Résumé très elliptique de la philosophie du damné : paresse
(refus de l'action = du travail) / refus du devoir (révolte contre
l'ordre moral)
La "démultiplication de la personnalité" (Murat, p.417) |
_________
Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une
fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de
gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de
la cervelle.
À chaque être, plusieurs autres vies mes semblaient
dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette
famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai
tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. — Ainsi, j'ai
aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu'on enferme, —
n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le
système.
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III - 2 / LA PARANOIA
MYSTIQUE
La mort / La croix consolatrice / Christus
venit
De la folie qu'on enferme à la Paranoia mystique
Le voyage rédemption ou aggravation ?
"comme si elle
eût dû me laver d'une souillure" suggère la dérision.
Une forme de mégalomanie :
La vie trop immense : Le sujet n'est pas fait pour notre monde et
notre vie mesquine d'ici bas. Son seul but, c'est le bonheur et ce
ne peut être ni la force (le travail, l'affrontement de la réalité
rugueuse) ni la beauté (la création artistique vulgaire, de la
peinture et de la poésie moderne)
Un ego trop surdimensionné pour s'adapter à la vie ordinaire. Critique
de l'orgueil (Je devrais avoir
mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil, — et l'enfer de
la caresse ; un concert d'enfers.) d'une personnalité obnubilée par
l'absolu, la revendication entêtante de la "plénitude" de bonheur, la
quête de l'éternité, ravagée par le narcissisme romantique,
l'inflation du moi et l'insatisfaction ontologique, incapable de ce
dont est faite la vie des "hommes de constitution ordinaire"
force = action
beauté = succès artistique |
Ma santé fut
menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de
plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes.
J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse
me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre
et des tourbillons.
Je dus
voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur
la mer, que j'aimais comme si elle eût dû me laver d'une souillure,
je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été damné par
l'arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver :
ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et
à la beauté.
Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant
du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les
plus sombres villes :
Ô saisons,
ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
J'ai fait la magique étude
Du bonheur, qu'aucun n'élude.
Salut à lui, chaque fois
Que chante le coq gaulois.
Ah ! je n'aurai plus d'envie :
Il s'est chargé de ma vie.
Ce charme a pris âme et corps
Et dispersé les efforts.
Ô saisons, ô châteaux !
L'heure de sa fuite, hélas !
Sera l'heure du trépas.
Ô saisons, ô châteaux ! |
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Cela s'est
passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.
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