Après le Déluge
Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit
sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, −
les fleurs qui
regardaient déjà.
Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les
barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, −
aux abattoirs, −
dans les cirques, où
le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les
estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil
regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras,
compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante
giboulée.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières
communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de
glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de
thym, −
et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la
futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
−
Sourds, étang, −
Écume, roule sur le pont, et par dessus les bois; −
draps noirs et orgues, −
éclairs et tonnerres −
montez et roulez; −
Eaux
et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, −
oh les pierres précieuses
s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! −
c'est un ennui ! et la Reine,
la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais
nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
|
|
Après le Déluge
est une fable sur le thème de la révolte. Sa
morale ? Révoltons-nous, encore et toujours, et même si le
succès est improbable, tant que nous n'aurons pas découvert le secret
douloureux qui nous empêche d'être heureux. Le récit chargé d'illustrer cette morale
repose sur l'enchevêtrement de trois histoires :
− l'histoire du Déluge, c'est à dire l'Histoire
universelle, l'histoire de la civilisation depuis ses origines telle que la
racontent les mythes : après que la colère de
Dieu contre les hommes eut entraîné la destruction quasi totale de
l'ancien monde, la vie recommença comme avant : superstition, travail,
commerce, violence, mystifications artistiques et religieuses, amours
mensongères.
− l'histoire de la Commune, c'est à dire pour
Rimbaud l'Histoire immédiate : les stéréotypes à valeur allégorique
utilisés par le "fabuliste" évoquent Thiers, bourreau de la
Commune, les grands travaux haussmanniens, les expéditions coloniales de
la Troisième République, les "affaires" qui reprennent, le
tourisme de luxe qui refleurit, les débats du milieu littéraire et les
divisions consécutives au déluge révolutionnaire.
− l'histoire personnelle de l'auteur, sous la
forme stylisée et elle aussi quelque peu mythique qu'il a façonnée de
texte en texte : enfance, départ, vagabondage,
réinvention de l'amour, révolte ...
Ces trois
histoires sont toutes trois des histoires de ruptures entre
l'ancien et le nouveau, de révoltes, ce
qui assure l'unité profonde du texte.
>>>
Panorama
critique et commentaire |