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Enfance III (Illuminations, 1873-1875)


Enfance
III


     Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
     Il y a une horloge qui ne sonne pas.
     Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
     Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
     Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
     Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
     Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

[...]


     "Enfance III" a des allures de poème-inventaire (on a parlé de comptine, de fatrasie). C'est une succession de rencontres ou de trouvailles, petites épiphanies de l'enfance rêveuse et solitaire, dont l'évocation s'achève, comme souvent chez Rimbaud, sur un vif sentiment de frustration. 

     Le poème suggère un lieu : un "bois" ; un narrateur : un enfant sans doute.
     L'enfant perçoit le chant d'un oiseau. L’arrêt brusque et le rouge qui monte aux joues sont les signes de son étonnement. Pour l'enfant, le chant de l'oiseau est comme une voix cachée qui le hèle, il s'émeut de cette présence quasi humaine dans le bois solitaire. Peut-être se trouble-t-il aussi de la beauté de ce chant, qui lui révèle simultanément la prodigalité de la Nature, dans l'ordre du Beau, et le caractère insaisissable et fuyant de cette beauté.
      Au deuxième alinéa, on reste perplexe devant cette "horloge qui ne sonne pas" : il y a ... un coucou, peut-être ! La critique a risqué cette interprétation facétieuse car les "coucous", dit Monsieur Littré, sont des horloges "qui, au lieu de sonner l'heure, font entendre le cri du coucou." Et on sait que Rimbaud aimait jouer avec les dictionnaires.
     L'enfant se penche sur un trou dans la boue d'un chemin pour y observer de petites bêtes blanches : toujours l'étonnement, l'intérêt naïf des enfants pour les animaux.
     L'enfant se penche sur un lac, il voit une "cathédrale" au fond de ce lac qui n'est rien d'autre, peut-être, que l'image inversée de la futaie : c'est le plaisir de jouer avec les apparences, le jeu fameux de "l'hallucination simple" : "je voyais [...] des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac" ("Alchimie du verbe"). Plaisir fugace et factice puisque fondé sur l'illusion.
     Une petite voiture enrubannée ... : vestige abandonné d'une fête enfantine peut-être. Une fête, toutefois, à laquelle le protagoniste ne participe pas.
     Il entrevoit enfin des "petits comédiens", des enfants déguisés, "à travers la lisière du bois" : c'est sans doute la même idée. Mais dès lors que s'exprime le mouvement qui porte l'enfant vers d'autres êtres humains, s'accroissent aussi la vraisemblance de la déception et la crainte d'être rejeté.
 

     Plus on avance dans la lecture, plus l'ambivalence de l'expérience décrite dans le poème devient patente : expérience de l'exclusion, fondamentalement, comme l'indique le dernier alinéa, mais aussi, dans un premier temps, du plaisir d’être là ; car si l’enfant est malheureux d’être chassé du bois, il faut d’abord qu’il ait été heureux de s’y trouver. La frustration finale suppose nécessairement la révélation préalable de ce qu'il y a d'infiniment désirable dans la vie mystérieuse du "bois", c'est à dire du monde : les êtres et les choses, l' « immensité de l’univers » (« Solde »), son « opulence inquestionable » (« Génie »). 

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