Larme
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer.
Tel, j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge.
Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.
L'eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares...
Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire !
Mai 1872
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Dans un endroit reculé et
solitaire, par une après-midi où l’orage menace, le poète boit
sans plaisir un breuvage au goût désagréable. L’orage survient !
Des visions se développent, de plus en plus saugrenues. Devant ce
spectacle envoûtant de l’orage, Arthur est comme un chercheur d’or ou
un pêcheur de perles qui auraient entrevu le trésor qu’ils recherchent
sans pouvoir s’en emparer.
Le poème est obscur quand on l’étudie
en détail, mais on peut se contenter d’une lecture superficielle, qui – pour être insatisfaisante
– n’en permet pas moins de comprendre
sans doute l’essentiel et de capter l’émotion du texte.
La boisson est toujours chargée d’une valeur symbolique chez
Rimbaud (voir son cycle Comédie de la Soif ) :
soif d’alcool, l’alcool étant un moyen (artificiel, décevant moyen)
d’étancher une soif essentielle; soif spirituelle, soif
d’atteindre et de retenir la sensation, le plaisir, la substance du
monde … Ici, il faut peut-être comprendre qu’Arthur cherche dans une
boisson désagréable et décevante (de couleur jaune comme l’or mais
« fade », « qui fait suer », qui ferait une
mauvaise publicité pour une auberge) une « liqueur d’or »
(c’est à dire une boisson magique, un « vin de vigueur » – Ma
Bohème ; « millions d’oiseaux d’or / ô future vigueur »
–
Le Bateau ivre). Espérance vaine.
Dans Alchimie du verbe, Rimbaud reproduit le poème en
remplaçant
le dernier quatrain par un vers qui confirme la présente interprétation
: « Pleurant, je voyais de l’or – et ne pus boire. –
» Cette variante éclaire aussi le sens du titre : « Larme ».
Comme souvent l’histoire se termine sur un sentiment d’échec, de regret, de frustration. Voir la fin de Michel
et Christine (« Fin de l’Idylle »), du Bateau ivre (« Mais
vrai, j’ai trop pleuré … ») …
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