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Larme (1872)

STRUCTURE D’ENSEMBLE

On reconnaît un scénario familier chez Rimbaud :

1) Mise en place d’un cadre narratif et descriptif (vers 1 à 9)

2) Ouverture de la vision (vers 10 à 14)

3) Fin de l’extase visionnaire et sentiment de frustration (vers 15-16).

 

LE CADRE NARRATIF ET DESCRIPTIF

a) Dans la campagne ardennaise. « dans cette jeune Oise » : les sources de la rivière qui porte ce nom, ou l’un des ruisseaux ou rivières des Ardennes qui se jettent dans l’Oise.

b) Dans un endroit reculé et solitaire : «Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, »

c) Une après-midi où l’orage menace : « Par un brouillard d'après-midi tiède et vert » ; « Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert »

d) Arthur boit sans plaisir : « Je buvais » ; « Que pouvais-je boire » ; « Que tirais-je à la gourde » ? « Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer. » ; « Tel, j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge. »
Le passage est difficile à interpréter, Rimbaud l’a voulu ainsi comme le montrent les deux phrases interrogatives établissant un effet de suspense. La boisson est toujours chargée d’une valeur symbolique chez Rimbaud (voir son cycle Comédie de la Soif ) : soif d’alcool, l’alcool étant un moyen (mauvais, décevant moyen) d’étancher une soif essentielle; soif spirituelle, soif d’atteindre et de retenir la sensation, le plaisir, la substance du monde … Ici, il faut peut-être comprendre qu’Arthur cherche dans une boisson désagréable et décevante (de couleur jaune comme l’or mais « fade », « qui fait suer », qui ferait une mauvaise publicité pour une auberge) une « liqueur d’or » (c’est à dire une boisson magique, un « vin de vigueur » Ma Bohème ; « millions d’oiseaux d’or / ô future vigueur » Bateau ivre). Espérance vaine.


OUVERTURE DE LA VISION

a) L’orage survient. « Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir ». Ce sont parfois de tels changements ou « accidents atmosphériques » (l’expression est dans Mouvement) qui déclenchent chez Rimbaud l’évasion dans l’imaginaire : l’orage (Michel et Christine), la tempête (Bateau ivre), l’aube (Aube).

b) Des visions se développent, de plus en plus saugrenues. Au début, on peut y voir seulement les effets de l’orage sur le paysage : obscurcissement, inondation. Mais des architectures urbaines (colonnades, gares) se substituent au spectacle de la forêt inondée (de même dans Alchimie du Verbe, Michel et Christine, Aube)


FIN DE L’EXTASE VISIONNAIRE

Devant ce spectacle envoûtant de l’orage, Arthur est comme un chercheur d’or (« pêcheur d’or ») ou un pêcheur de perles (« ou de coquillages ») qui aurait entrevu le trésor qu’ils recherchent sans pouvoir s’en emparer. Dans Alchimie du verbe , Rimbaud reproduit le poème en supprimant le dernier quatrain qu’il remplace par un vers au sens transparent  : « Pleurant, je voyais de l’or et ne pus boire.  » Cette variante éclaire aussi le sens du titre : « Larme ». Comme toujours l’histoire se termine sur un sentiment d’échec, d’impuissance, de regret, de frustration : « Fin de l’Idylle » (Michel et Christine). Voir aussi la fin de Bateau ivre (« Mais vrai, j’ai trop pleuré … »), d’Aube … et bien sûr Une saison en Enfer.