Les Chercheuses de poux
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
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On a vu dans Les Chercheuses de poux le souvenir transposé d'une expérience vécue.
Rien n'est moins sûr. Le caractère érotique de l'évocation, par contre,
ne fait aucun doute. Le vocabulaire choisi par Rimbaud, les suggestions
sensuelles de la description, les métaphores qui transfigurent cette
scène prosaïque d'épouillage, tendent à développer des connotations oniriques et
érotiques. Deux "grandes sœurs charmantes" se penchent sur le
front de l'"enfant", endolori par une invasion de poux. Leurs doigts "fins, terribles et
charmeurs", leurs mains caressantes, prennent possession de sa
chevelure et le conduisent jusqu'à un sommet de volupté
plein de sous-entendus. Le mot "sœur", ici (comme dans L'Invitation
au voyage de Baudelaire) correspond à une figure idéalisée, tendre
et maternelle, de la femme. Sœurs de charité, dit un autre poème
de Rimbaud, sont les amantes aimantes, ce que ne sont pas,
précisément, les femmes réelles telles qu'on les trouve dans la Société.
Au cours d'un de ses Entretiens avec Robert
Mallet, l'écrivain Paul
Léautaud confie : "Je
vous ai dit l'autre jour que je suis arrivé très tôt à considérer
qu'il y a plus d'effets que de véritable profondeur dans Le Bateau
ivre. Pour moi, il n'y a qu'une chose qui m'a plu : Les Chercheuses
de poux... " (Paul Léautaud, ). Ce jugement de quelqu'un qui
n'aimait pas Rimbaud met en lumière les qualités exceptionnelles de ce
texte, au regard de ce qu'on pourrait appeler le "goût poétique
traditionnel".
Rimbaud y montre une totale maîtrise
de l'instrument forgé par Hugo et Baudelaire : musicalité, variété et souplesse de l'alexandrin
(enjambements et rythmes irréguliers), sens de la métaphore et du
symbole, suggestions sensuelles des images (appel aux
différents sens et synesthésies), raffinements phonétiques (richesse
des rimes − que
Félicien Champsaur qualifia jadis de "rimes raciniennes" −, jeux sur
les assonances et les allitérations).
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