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Les Chercheuses de poux (1871)



Les Chercheuses de poux

Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l'enfant devant une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

 

     

      On a vu dans Les Chercheuses de poux le souvenir transposé d'une expérience vécue. Rien n'est moins sûr. Le caractère érotique de l'évocation, par contre, ne fait aucun doute. Le vocabulaire choisi par Rimbaud, les suggestions sensuelles de la description, les métaphores qui transfigurent cette scène prosaïque d'épouillage, tendent à développer des connotations oniriques et érotiques. Deux "grandes sœurs charmantes" se penchent sur le front de l'"enfant", endolori par une invasion de poux. Leurs doigts "fins, terribles et charmeurs", leurs mains caressantes, prennent possession de sa chevelure et le conduisent jusqu'à un sommet de volupté plein de sous-entendus. Le mot "sœur", ici (comme dans L'Invitation au voyage de Baudelaire) correspond à une figure idéalisée, tendre et maternelle, de la femme. Sœurs de charité, dit un autre poème de Rimbaud, sont les amantes aimantes, ce que ne sont pas, précisément, les femmes réelles telles qu'on les trouve dans la Société.
     Au cours d'un de ses  Entretiens avec Robert Mallet, l'écrivain Paul Léautaud confie : "Je vous ai dit l'autre jour que je suis arrivé très tôt à considérer qu'il y a plus d'effets que de véritable profondeur dans Le Bateau ivre. Pour moi, il n'y a qu'une chose qui m'a plu : Les Chercheuses de poux... " (Paul Léautaud, ). Ce jugement de quelqu'un qui n'aimait pas Rimbaud met en lumière les qualités exceptionnelles de ce texte, au regard de ce qu'on pourrait appeler le "goût poétique traditionnel".
     Rimbaud y montre une totale maîtrise de l'instrument forgé par Hugo et Baudelaire : musicalité, variété et souplesse de l'alexandrin (enjambements et rythmes irréguliers), sens de la métaphore et du symbole, suggestions sensuelles des images (appel aux différents sens et synesthésies), raffinements phonétiques (richesse des rimes que Félicien Champsaur qualifia jadis de "rimes raciniennes" , jeux sur les assonances et les allitérations).

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