Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai
dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
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Ce court poème, l'un des tous premiers que
nous ayons de Rimbaud, célèbre les plaisirs du vagabondage et l'expérience
voluptueuse de la communion avec la nature. Le premier quatrain
note de façon très concrète, tactile, les sensations éprouvées
au contact des épis de blé, de l'herbe et du vent. Dans le second, le narrateur, ayant
fait en lui un vide propice à l'accueil de la plénitude sensible
(v.5), laisse "monter" dans son "âme" le sentiment
du bonheur.
Malgré l'extrême délicatesse et la grâce
naïve du poème, le lecteur rimbaldien perçoit déjà ici ce culte
primitiviste de la sensation (d'inspiration très parnassienne) qu'expose
philosophiquement un poème comme Soleil et chair, et l'omniprésente
quête érotique qui fait écrire à Jean-Pierre Richard :
"Que toute la jeunesse de Rimbaud n'ait été occupée que de
l'amour, que de la recherche et de l'expression d'un certain état
d'extase charnelle, c'est ce que nous prouvent abondamment ses
premières œuvres. Emplies par des obsessions de pubescence, de
turgescence, de gonflement ou de débordement, les Poésies sont
visiblement travaillées par les rousseurs amères de
l'amour" (Poésie et profondeur, Seuil, 1955,
p.197).
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