La mention
"op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin de
page.
Soir
historique :
Bruno Claisse signale que la locution
désignant la révolution par la métaphore du "grand
soir" n'est attestée, selon le dictionnaire Robert, qu'en
1892. Cependant les dictionnaires n'enregistrent parfois
l'apparition d'une expression nouvelle qu'avec plusieurs années de
retard. En outre, selon Bruno Claisse, on peut comprendre le titre
du poème sans avoir recours à cette métaphore lexicalisée. De
même qu'il y a pour l'auteur des Illuminations une
"matinée d'ivresse" et un "nocturne vulgaire",
"de même il y a un soir où l'Histoire le révulse au point
qu'il la prophétise en cataclysme" (op. cit. p.548). 
En
quelque soir :
Bruno Claisse souligne l'opposition
entre cette expression et celle du titre : l'adjectif relatif
indéfini "quelque... que..." suggère que pour le
"touriste naïf" chaque soir, chaque soir quelconque,
donne lieu au genre de rêverie illusionniste que le poème
s'apprête à décrire ; par opposition, le titre évoque le soir
unique où se déroulera l'événement historique (op. cit. p.548). 
le touriste naïf, retiré
de nos horreurs économiques :
Pierre Brunel décèle dans
l'expression "nos horreurs économiques" "un écho de
Karl Marx, de ce qu'il appelle les misères économiques dans
sa première adresse du 23 juillet 1870 (La Guerre civile en
France, 1871, Éditions sociales, 1963,p.31)." (op.
cit. 2004,p.662).
Le "touriste naïf" qui fait les
frais de l'ironie rimbaldienne tout au long de ce poème correspond,
selon Antoine Fongaro, à une triple cible sociale,
littéraire et personnelle. Au niveau social, il s'agit du
"bourgeois satisfait qui ne songe qu'à sa tranquillité"
(op. cit. p.357). Sur le plan littéraire, le texte viserait
"le poète qui se retranche du monde où il vit, c'est à dire
de nos horreurs économiques". C'était notamment la
posture adoptée par les Parnassiens (ibid.). Enfin, au niveau
personnel, Rimbaud viserait ici Verlaine lui-même, dont le Prologue
des Poèmes saturniens montre qu'il partageait pleinement
cette conception aristocratique et apolitique du poète au dessus de
la mêlée : "C'est qu'ils ont [les Chanteurs, c'est à
dire les Poètes] enfin compris qu'il ne faut plus / Mêler leur
note pure aux cris irrésolus / Que va poussant la foule obscène et
violente [...]"" (ibid). "
Maurice Hénaud, dans l'édition en
ligne de la Petite
Revue de l'Indiscipline (en date du 25.08.06) argumente dans
le même sens en citant d'autres poètes : "Dans Soir
historique, Rimbaud critique notamment les poètes qui sont
indifférents aux révolutions ou aux bouleversements sociaux :
"Pendant les guerres de
l'empire (...)
Sans prendre garde à l'ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j'ai fait Émaux et Camées."
Ce poème n'est pas de Verlaine (...) :
c'est la Préface d'un recueil connu de Théophile Gautier.
Baudelaire, son disciple, lui fait écho :
"L'Émeute, tempêtant
vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre". (Paysage) 
la main d'un maître
anime le clavecin des prés :
Antoine Fongaro cite à propos de
cette étrange évocation un commentaire de Claude Cuénot
("L'Évolution poétique de Paul Verlaine", Le Ruban
rouge, septembre 1961) : "Le passage, malgré son allure
surréaliste, est évidemment une satire de la poésie verlainienne.
Le clavecin des prés évoque l'"Ariette V" : Le
piano que baise une main frêle, dont l'épigraphe est
empruntée à Petrus Borel : Son joyeux, importun, d'un clavecin
sonore. Quant aux prés clairs, aux prés sans fin,
ils sont longuement décrits dans "Malines"." (op.
cit. p.36-37).
Pierre Brunel ne reprend pas à son
compte cette référence verlainienne, mais sa glose n'est pas
incompatible avec la précédente. Le "maître" évoqué
par le poème peut être selon lui "un peintre aussi bien qu'un
musicien" jouant avec la gamme des couleurs (cf. plus bas
"chromatismes"). La phrase indique une "double
retraite" de l'artiste par rapport au monde où il vit :
"dans l'espace (la nature vierge), dans le temps (un salon du
XVIIIe siècle avec un clavecin)." (op. cit. 1999,
p.500-501). "Ce clavecin [...] va de pair avec le carrosse
de "Nocturne vulgaire", ajoute ce même critique dans son
livre de 2004, p.666, et aussi avec les opéras vieux
d'"Alchimie du verbe" Il appartient au monde suranné vers
lequel peut s'orienter la rêverie, mais dont elle doit revenir,
sans rester prisonnier des âmes mortes sous prétexte de les anime(r),
de les ranimer."
Bruno Claisse, approuvant
l'exégèse d'Antoine Fongaro, suggère toutefois qu'on étende
l'allusion littéraire, au delà de la seule référence
verlainienne, au "concert de tous ceux qui puisèrent dans l'Art
du dix-huitième siècle des Goncourt, et ils sont nombreux dans
le Parnasse contemporain" (op. cit. p.549). Il signale aussi,
chez Stendhal, l'idée que la nature "est un piano" sous
les mains de l'artiste qui joue de ses aspects divers et de ses
charmes comme le pianiste joue des multiples ressources du clavier.
(op. cit. p.550).
Il est certain, en tout cas, que Rimbaud
avait lu, dans Les Feuilles d'automne, le poème
"Pan" ( http://fr.wikisource.org/wiki/Pan
). Hugo y conjure les artistes d'épandre leur âme "Partout où
la nature est gracieuse et belle, / Où l'herbe s'épaissit pour le
troupeau qui bêle, / Où le chevreau lascif mord le cytise en
fleurs, / Où chante un pâtre, assis sous une antique arcade, etc.
" Et le poème s'achève sur la métaphore de l' "immense
clavier" :
Car, ô poètes saints ! l'art
est le son sublime,
Simple, divers, profond, mystérieux, intime,
Fugitif comme l'eau qu'un rien fait dévier,
Redit par un écho dans toute créature,
Que sous vos doigts puissants exhale la nature,
Cet immense clavier !
En remplaçant
l'immense clavier de la nature cher à Hugo par un modeste
"clavecin des prés", il est probable que Rimbaud a voulu
railler le goût verlainien pour le mode mineur, l'"exprès
trop simple", la miniature XVIIIe et, par delà
Verlaine, peut-être, le panthéisme hugolien lui-même.

on joue aux cartes
au fond de l'étang :
La plupart des éditeurs rappellent ici la
phrase fameuse d'"Alchimie du verbe" : "Je
m'habituai à l'hallucination simple: je voyais très franchement [...]
un salon au fond d'un
lac". Suzanne Bernard pense que Rimbaud ironise sur son
propre passé de poète-voyant (op. cit. p.529). 
miroir
:
Antoine Fongaro note :
"L'étang miroir évocateur" n'est pas sans rappeler
"L'étang reflète / Profond miroir" de la pièce VI de La
Bonne Chanson" (op. cit. p.37-38).
"L'étang, commente Pierre Brunel,
devient un miroir magique grâce auquel, comme dans les contes
fantastiques, on peut évoquer les figures du passé devenues des
figures de légendes" (Pierre Brunel, op. cit. 2004,
p.667). 
mignonnes
:
"Le mot est sans doute à prendre au
sens de favorites" (P.Brunel, op. cit. 2004,
p.662). 
reines,
saintes :
"Les "reines", les
"saintes" se réfèrent à la pièce VIII de la Bonne
chanson, écrit Claude Cuénot : Une sainte en son
auréole / Une châtelaine en sa tour ..." ("L'Évolution
poétique de Paul Verlaine", Le Ruban rouge, septembre
1961. Cité par Antoine Fongaro, op. cit. p. 37).
Bruno Claisse indique que la syntaxe
même de la proposition : "on a les saintes,
les voiles, et les fils d'harmonie, et les chromatismes légendaires,
sur le couchant", énumération expéditive de quatre brefs
segments, montre l'intention de dresser une sorte d'inventaire des
oripeaux de la niaiserie poétique. Après avoir raillé la
fabulation historique ("les reines et les mignonnes"),
Rimbaud stigmatise cet autre mode de l'illusion : la légende
métaphysique ("les saintes"). "L'élan de
l'imagination change un parc Régence en un jardin d'Eden tout
entier opposé au précédent ! Comment ne pas voir la drôlerie
pince-sans-rire de ce renversement ? Car en fait de compagnie
féminine, voici les "mignonnes" du parc instantanément
supplantées par les "saintes" du paradis et des images
pieuses" Cf. op. cit. p. 551. 
les
voiles :
Bruno Claisse (op. cit. p.551) rappelle
que l'évocation mystique du soleil couchant ("les chromatismes
légendaires, sur le couchant") s'accompagnait fréquemment
chez les romantiques de celle des "voiles" constitués par
les mystérieux nuages, comme dans cet exemple de Hugo :
Oh ! contemplez le ciel ! et
dès qu'a fui le jour,
En tout temps, en tout lieu, d'un ineffable amour,
Regardez à travers ses voiles ;
Un mystère est au fond de leur grave beauté.
"Soleils couchants" (Feuilles d'automne,
1831) 
les
fils d'harmonie :
Bruno Claisse écrit (op. cit.
p.551-552) : "Avec les voiles et les chromatismes
légendaires, le syntagme "les fils d'harmonie"
constitue l'autre grand motif de la métaphysique du couchant ! Un
recueil de 1873, couronné par l'Académie Française, Les Villes
de marbre d'Albert Mérat, en offre un parfait abrégé, dans le
poème Coucher de soleil sur le golfe :
Il pâlit, glisse. L'on voit mieux,
Quand l'éblouissement recule,
À la lyre du crépuscule,
Les rayons, fils harmonieux."
Cette comparaison des rayons du
soleil avec les "fils d'harmonie", c'est à dire les
cordes, de la lyre céleste, éclaire remarquablement, en effet, une
des obscurités du texte rimbaldien.
les chromatismes légendaires,
sur le couchant :
Il s'agit évidemment des
couleurs (chromatismes) du soleil couchant : le
motif est si commun dans la poésie du XIXe
siècle qu'il paraît inutile de citer Romances
sans paroles, "Bruxelles I" (comme Claude
Cuénot) ou "Soleils couchants" de
Hugo (comme Suzanne Bernard). Par contre, Albert
Py a sans doute raison de souligner le choix
par Rimbaud d'un terme aussi bien musical que
visuel et pictural (cf. la gamme chromatique).
Effet synesthésique déjà perceptible dans la
formule "fils d'harmonie" (op. cit.).
Voir aussi, dans notre
note sur "les voiles",
le commentaire de Bruno Claisse
Il
frissonne au passage
des chasses et des hordes :
C'est évidemment le
"touriste naïf", repris par
"il", qui frissonne au passage des
chasses. Les chasses et autres sonneries de cor au
fond des bois sont un poncif du bucolisme
romantique. Antoine Fongaro fait remarquer
le goût de Verlaine pour ce motif. Il cite la
"Nuit du Walpurgis classique" dans les Poèmes
saturniens : "Un air mélancolique, un
sourd, lent et doux air / De chasse : tel, doux,
lent, sourd et mélancolique, / L'air de chasse de
Tannhäuser." (op. cit. p.38). Les
"hordes" sont ici celles de loups ou de
chiens ou d'animaux traqués, qui apparaissent
fréquemment dans ce scènes de chasse.
Bruno Claisse, de
son côté, évoque l'opéra de Weber, Freyschutz,
et le poème de Vigny, La mort du loup,
comme exemples de chasses nocturnes permettant au
"touriste naïf" d'expérimenter le
délicieux frisson de la peur (op. cit. p.552). Et
il commente : "Le touriste s'est donc
successivement joué à lui-même une scène
riante, puis une scène mystique, enfin une scène
d'effroi." (ibid.)
La comédie goutte sur
les tréteaux de gazon :
Antoine Fongaro voit dans cette
phrase énigmatique "une allusion aux Fêtes galantes, où les
personnages de la Comédie italienne jouent la comédie de l'amour
dans un décor champêtre (arbres et "gazons") à la
Watteau" (op. cit. p.38). "Le verbe "goutte",
ajoute en note le même critique, est assez étrange. On attendrait
"goûte" qui serait banal et correspondrait à la mise en
scène traditionnelle des Fêtes galantes (cf. "Sur
l'herbe", Fêtes galantes). Il se peut que Rimbaud soit
passé de "goûte" à "goutte" par simple jeu de
mots, "goutter" étant ici supérieur à
"goûter", tant pour le sens que pour la valeur
sarcastique.
Pierre Brunel (op. cit. 2004,
p.667-669) glose tout ce passage par une référence à la comédie
de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été, que Rimbaud
connaît puisqu'il a donné le nom de "Bottom" à l'une de
ses proses des Illuminations. On sait que dans la pièce de
Shakespeare, des artisans d'Athènes se réunissent dans un bois
pour répéter la tragédie de Pyrame et Thisbé ("Cette
pelouse sera notre scène" Acte III). Or cette
"comédie" est "très tragique", aussi les
tréteaux improvisés sur la prairie gouttent-ils ou
dégouttent-ils de sang. La référence à Shakespeare permet aussi
à Pierre Brunel d'expliquer la phrase suivante.
Bruno Claisse, prolongeant et
précisant l'exégèse d'Antoine Fongaro, rappelle que, dans l'Art
du dix-huitième siècle, les Goncourt définissent l'art de
Watteau comme "l'hymen de la nature et de l'opéra". Or,
dans ces parcs à la manière de Watteau où la nature verdoyante
est apprêtée comme un décor de théâtre et où une oisive
aristocratie se donne la comédie (au propre comme au figuré), le
spectacle des fontaines et de jets d'eaux participe à l'animation
du tableau "comme dans Clair de lune, le premier poème
des Fêtes galantes, avec ses "grands jets d'eau
sveltes". C'est tout ce raffinement que la métonymie aquatique
de Rimbaud ("la comédie goutte") dévalue en une
sempiternelle et insipide dégoulinade." (op. cit. p.550) 
Et l'embarras des pauvres
et des faibles sur ces plans stupides !
:
Selon Pierre Brunel (voir note
précédente) il pourrait s'agir ici de l'embarras des artisans
athéniens qui répètent gauchement la tragédie de Pyrame et
Thisbé dans la pièce de Shakespeare : Songe d'une nuit d'été.
Les "plans" seraient les "tréteaux de gazon".
On les dirait "stupides" par transfert de l'adjectif
applicable à ces acteurs d'occasion, ridicules, maladroits et
naïfs ("pauvres" et "faibles"). Voir : Brunel,
op. cit. 1999 p.501 et 2004, p.667-669.
Pour Bruno Claisse, il s'agirait ici
d'une évocation du public : "Il manquait, pour clore cette
allégorie du théâtre, un public qu'imagine justement la phrase
nominale ponctuant ce premier acte par une exclamation assassine.
Car s'il est des esprits, comme le touriste, hors d'état de
souffrir le réel, il en est d'autres — les pauvres et les
faibles de ce monde — qui ne peuvent se dérober à l'immédiat,
parce que pour eux les "horreurs économiques" sont
l'autre nom de l'inéluctable. En quoi leur "embarras"
devant les divers "plans" de la scène du parc manifeste
plus qu'une incompréhension ; il fait honte à ceux qui congédient
l'historicité de la vie par l'illusionnisme." (op. cit. p.552)

l'Allemagne s'échafaude vers des lunes :
Selon Antoine Fongaro, ce troisième
paragraphe du poème critique la conscience politique déficiente,
aliénée ("esclave") du "touriste naïf", son
incompréhension des événements politiques contemporains :
"Chaque volet [du paragraphe] résume un des sujets rebattus
qui remplissaient les journaux de l'époque et nourrissaient les
discussions des "cafés du Commerce" (op.cit. p.359). Mais
Antoine Fongaro reconnaît franchement qu'il ne comprend pas ce que
Rimbaud veut dire dans la seconde partie de la phrase :
"vers des lunes" : "Que l'Allemagne soit en train de
s'échafauder après la défaite de la France et la proclamation de
l'empire allemand, dans la galerie des glaces de Versailles, le 18
janvier 1871, cela est clair. Mais pourquoi "vers des
lunes" ?" (op. cit. p.360).
Bruno Claisse, quant à lui, donne
à "lunes" le sens de "chimères" :
"L'Allemagne triomphante se rêve sans doute dans le rôle des
Titans ou des Babyloniens, qui voulurent escalader le ciel. Mais cet
empire pourrait tout autant avoir hérité du romantisme, celui du
"bleu clair de lune" que Gautier dénomme justement
"allemand", un héritage dont le touriste doit lui-même
noter qu'il s'est perverti en "lunes", c'est à dire en
chimères vers lesquelles pourtant l'Allemagne dresse des
constructions aussi vaines qu'inquiétantes. (op. cit. p.554).
Antoine Adam, sans développer l'idée,
propose un rapprochement avec "Entends comme brame .."
où il est effectivement question de lune ("Phoebé"), de
brume, et d'Allemagne... (op. cit. p.1013). 
les déserts
tartares s'éclairent :
Antoine Fongaro décèle dans cette
formule (comme dans l'ensemble du paragraphe 3 du texte) une
référence à l'histoire immédiate : "Les "déserts
tartares" sont les déserts qu'on appelait alors le Turkestan.
Ces déserts "s'éclairent", parce qu'ils reçoivent les lumières
de la civilisation : leitmotiv de la politique internationale de
l'époque, particulièrement de la propagande colonialiste. Or,
c'est en 1869 que l'empire russe a commencé la construction du
chemin de fer Transcaspien. Le chemin de fer ! c'est la
marche du progrès pour le "touriste naïf" (voir Hugo)...
Mais à mesure que la voie ferrée avance, les troupes russes
avancent aussi (l'oasis de Khiva est prise en 1873)." (op. cit.
p.359).
Antoine Fongaro estime que ce troisième
paragraphe du poème "est un rappel ironique des opinions
républicaines et socialistes du premier Verlaine ; opinion
exprimées dans certaines pièces du début (cf. Au pas de
charge, Des morts, Les Loups, Les Poètes qui deviendra Les
Vaincus, La Soupe du soir, etc.)" (op. cit. p.38). 
les révoltes
anciennes grouillent dans le centre du Céleste
Empire :
"Le "Céleste Empire" est la
Chine. L'adjectif "anciennes" veut dire que les révoltes
en Chine ont existé de tout temps, comme la "Comédie
ancienne", dans "Scènes", signifie que la comédie
humaine est vieille comme le monde. Le verbe "grouillent"
évoque la densité énorme de la populationchinoise. L'ensemble se
réfère à l'insurrection des Taïpings, qui dura de 1850 à 1864,
date où se suicida le chef de cette espèce de religion
syncrétique, celui qu'on appelait le roi céleste de la paix
universelle (t'ai-p'ing t'ien-wang). Les journaux et les
conversations évoquaient encore cette affaire à l'époque de
Rimbaud." (Antoine Fongaro, op. cit. p.359). 
par les escaliers et les fauteuils de rocs
:
Albert Py propose pour cette étrange formule,
et pour l'ensemble du paragraphe 3, une ingénieuse glose
"théâtrale" : " Mais peu à peu la comédie se fait
drame historique. Les allusions au théâtre se multiplient : s'échafaudent,
s'éclairent, va s'éclairer, les escaliers et les fauteuils de
rocs, ballet, mélodies. Le mouvement de la vision dresse
l'architecture des décors, donne le branle à des acteurs
historiques (les révoltes anciennes grouillent dans le centre du
Céleste Empire) et cosmiques (un ballet de mers et de nuits)"
(op. cit.).
Antoine Fongaro reconnaît ne pas
comprendre le sens de ces mots (op. cit. p.360). 
Afrique et
Occidents :
Antoine Fongaro propose de voir dans
ce couple de mots une allusion aux guerres coloniales : les
puissances occidentales (d'où le pluriel à "Occidents")
dans leur rapport avec l'Afrique. 
chimie
:
Il faut sans doute comprendre ici
"alchimie", système poétique du poète-voyant, du
poète-magicien. 
magie
:
Pour Antoine Fongaro, le mot
"magie" vise la poétique verlainienne (op. cit. p.35-39).
D'autres commentateurs se demandent si Rimbaud ne se démarque pas
plutôt ici de sa propre poétique passée, celle du poète-voyant (Suzanne
Bernard, Pierre Brunel), voire de celle de Baudelaire (Pierre
Brunel, op. cit. 2004, p. 670). La force de l'argumentation
d'Antoine Fongaro est de s'appuyer sur une mise en perspective
historique précise. Il fait remarquer que Rimbaud, au moment où il
écrit Les Illuminations, a déjà depuis longtemps renié l'
"alchimie du verbe". Il cite ce passage de "Nuit de
l'enfer" où non seulement Rimbaud dénonce cette poétique
mais semble l'attribuer à une influence extérieure qui ne peut
être que celle de Verlaine : "ce sont des erreurs qu'on me
souffle à l'oreille, les magies, les alchimies, les mysticismes,
les parfums faux, les musiques naïves" (brouillon d'Une
saison en enfer). Il ajoute que Verlaine, contrairement à
Rimbaud, continue en 1873 à se référer à ce système poétique,
comme le montre "Images d'un sou" : "De toutes les
douleurs douces / Je compose mes magies !". Il pense que
Rimbaud peut très bien avoir eu connaissance de ce texte élaboré
en prison par Verlaine, lors de son séjour à Bruxelles en novembre
1873 (op. cit. p.35-36). Or, il est à noter que cette pièce de
Verlaine, qui a eu un moment comme titre "Le bon
alchimiste" (lettre à Lepelletier du 24 au 28 novembre 1873),
associe "magie" et "douleur" exactement comme le
texte de Rimbaud associe la "magie bourgeoise" à
l'expression d'une "atmosphère personnelle" faite de
"remords" et d'"affliction". 
la malle
:
"Malle-poste ; voiture publique de
voyage" (Albert Py, op. cit.).
Il faut probablement l'entendre ici au sens
large : "la magie bourgeoise, commente Antoine
Fongaro, le texte "Mouvement" dit qu'elle est le
résultat des découvertes scientifiques (lumières inouïes
et nouveauté chimique) et qu'elle produit le comfort ,
et qu'elle voyage avec les conquérants du monde ; il n'est
donc pas étonnant qu'on la retrouve à tous les points où la
malle nous déposera sur la surface du globe." (op. cit.
p.361). 
physicien
:
Sans doute un anglicisme. "physician"
= médecin. Ou, étymologiquement : connaisseur de la nature. 
brume
:
Il s'agit évidemment des brumes
intérieures du romantisme. P. Brunel cite "Brumes et
pluies" de Baudelaire (op. cit. p.670). 
remords
:
La thématique du remords est
particulièrement présente chez Verlaine. Claude Cuénot
cite "Ariette IV" (Romances sans paroles) :
"Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses" ; Antoine
Fongaro cite les vers 5-6 de "Dans les bois" (Poèmes
saturniens) : "Pour moi, nerveux, et qu'un remords / Épouvantable
et vague affole sans relâche". 
l'étuve
:
Le mot a divers sens qui ont en commun
l'idée de chaleur : lieu clos ou appareil où l'on maintient une
température élevée pour faciliter certaines opérations (bain,
sudation, nettoyage, opérations de transformation d'une matière
dans une autre, etc.). Par extension : chaleur étouffante,
fournaise. 
exterminations
conséquentes :
"Conséquentes" signifie
probablement ici : subséquentes, consécutives, qui en découlent
(on assistera à l'extermination de la race humaine comme
conséquence des cataclysmes naturels précédemment décrits).
malignement
:
Ici : malicieusement.
"Maligne" est le féminin de
l'adjectif "malin". "Malin" a deux sens
principaux : 1) enclin au mal, méchant, mal intentionné ; 2)
rusé, malicieux, donc : ingénieux, fin, intelligent. 
les Nornes
:
Les Nornes sont les
déesses de la Destinée dans la mythologie
scandinave, au nombre de trois comme les Parques.
Rimbaud a pu les connaître, suggère H. de
Bouillane de Lacoste (op. cit. p.124) par le
poème de Leconte de Lisle intitulé "La
légende des Nornes" (Poèmes barbares, 1862).
On y trouve des vers comme ceux-ci :
Pleurez,
lamentez-vous, Nornes désespérées !
Ils sont venus, les jours des épreuves sacrées,
Les suprêmes soleils dont le ciel flamboiera,
Le siècle d'épouvante ou le Juste mourra.
Suzanne Bernard (op.cit.) citait aussi, tirée du même poème,
cette évocation d'Apocalypse :
Tels qu'une grêle
d'or, au fond du ciel mouvant,
Les astres flagellés tourbillonnent au vent,
Se heurtent en éclats, tombent et disparaissent ;
Veuves de leurs piliers les neuf sphères s'affaissent ;
Et dans l'océan noir, silencieux, fumant,
La Terre avec horreur s'enfonce pesamment !
"Ajoutons que
dans deux autres pièces des Poèmes barbares, "Solvet
seclum" et "La fin du monde", Leconte de Lisle a
évoqué l'anéantissement du globe. Inutile d'ajouter que Rimbaud
se souvient aussi de l'Apocalypse de Saint-Jean dans la Bible"
(ibid).
Pierre Brunel (op. cit. 2004, p.663) cite une autre pièce des
mêmes Poèmes barbares : "Le Runoïa".
Seule, immobile au
sein des solitudes mornes,
Pareille au sombre Ymer évoqué par les Nornes,
Muette dans l'orage, inébranlable aux vents,
Et la tête plongée aux nuages mouvants,
Sur le cap nébuleux, sur le haut promontoire,
La tour de Runoïa se dresse toute noire.
Bruno Claisse (op. cit. p.561) montre de façon convaincante
que Rimbaud s'appuie principalement, dans cette fin de "Soir
historique", sur la fin du poème final des Poèmes barbares,
"Solvet Seclum".
D'un
seul coup la nature interrompra ses bruits, |
|
|
Et
ce ne sera point,
sous les cieux magnifiques, |
{ |
cf.
la ressemblance avec : "Cependant ce ne sera point
un effet de légende". |
Le
bonheur reconquis des paradis antiques, |
|
|
Ni
l'entretien d'Adam et d'Ève sur les fleurs, |
|
|
Ni
le divin sommeil après tant de douleurs ; |
|
|
Ce
sera quand le Globe et tout ce qui l'habite, |
{ |
cf.
"les exterminations conséquentes" |
Bloc
stérile arraché de son immense orbite, |
{ |
cf.
"la planète enlevée" |
Stupide,
aveugle, plein d'un dernier hurlement, |
|
|
Plus
lourd, plus éperdu de moment en moment, |
|
|
Contre
quelque univers immobile en sa force |
|
|
Défoncera
sa vieille et misérable écorce, |
|
|
Et,
laissant ruisseler, par mille trous béants, |
{ |
cf.
"l'étuve", "les mers enlevées" |
Sa
flamme intérieure avec ses océans, |
Ira
fertiliser de ses restes immondes |
|
|
Les
sillons de l'espace où fermentent les mondes. |
|
|

|