A Henri Murger

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A Henri Murger
   Odelettes (1856)

Comme l'autre Ophélie, 
Dont la douce folie 
S'endort en murmurant 
     Dans le torrent, 

Pâle, déchevelée 
Et dans l'onde étoilée 
Éparpillant encor 
      Ses tresses d'or, 

Et comme Juliette, 
Qui craignait l'alouette 
Éveillée au matin 
    Parmi le thym, 

Elle est morte aussi jeune 
Au bel âge où l'on jeûne, 
Ta pensive Mimi 
    Au front blêmi, 

Et, dans la matinée 
De la vingtième année, 
Elle a fermé ses yeux 
    Insoucieux. 

Parmi les pâles ombres 
Qui, joyeuses ou sombres, 
A l'entour de ton front 
    Voltigeront, 

Dis, il en est plus d'une 
Dont la tendre infortune 
Souvent nous consola: 
   Mais celle-là, 

C'est notre bien-aimée! 
Sa trace parfumée 
Reste encor dans les champs 
   Avec nos chants! 

Lorsque, dans la nuit brune, 
Un frais rayon de lune 
Argente les berceaux 
    Et les ruisseaux, 

Ta naïve Giselle 
Effleure de son aile 
Des lys et des rosiers 
    Extasiés, 

Et, diaphane et blanche, 
Le soir vers nous se penche, 
En posant ses deux mains 
   Sur les jasmins. 

Sa plainte triste et pure 
Dans le ruisseau murmure, 
Et s'envole en rêvant 
    Avec le vent. 

Que le printemps renaisse, 
Ame de ta jeunesse, 
Elle tressaille aux sons 
    De tes chansons, 

Et parfois se soulève, 
Pour les entendre en rêve 
Dans la brise passer 
    Et s'effacer. 

Rendors-toi, dors heureuse, 
Pauvre fille amoureuse: 
Notre amour te défend 
    Comme un enfant! 

Croise tes mains d'ivoire: 
Car, du moins, ta mémoire 
Qui sait nous attendrir, 
    Ne peut mourir! 

Que le zéphyr en fête 
Te berce! le poëte, 
Qui jadis te pleura, 
    Se souviendra! 

Dans l'herbe toujours verte 
Où, de roses couverte, 
Penche sous le tombeau 
    Ton front si beau, 

La fleur de la prairie 
Brille, toujours fleurie, 
Et peut se marier 
    A son laurier! 

                   Mai 1855.