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Steve Murphy, Œuvres complètes de Rimbaud, tome IV, Fac-similés, Champion, 2002.

     Je vais commencer ce compte-rendu par une confession, un peu honteuse. Honnêtement, je crois que si j’avais eu connaissance de ce volume lorsque j’ai commencé à travailler de façon un peu systématique sur Rimbaud, il y a quelques années, je l’aurais trouvé inutile. Longtemps, je me suis dit que les mises au net bien calligraphiées de Rimbaud n’avaient pas grand intérêt. Autre chose aurait été de posséder de véritables brouillons, où l’on puisse étudier la genèse des textes, observer Rimbaud au travail. Malheureusement, à part quelques rares exceptions, ces brouillons ne nous sont pas parvenus. Rimbaud les détruisait sans doute dès qu’il les avait recopiés. C’est en travaillant sur l’interprétation des textes que j’ai progressivement changé d’avis. De plus en plus souvent, j’ai été amené à confronter les diverses versions d’un même texte et je me suis aperçu qu’un nombre important de textes de Rimbaud existent sous plusieurs états successifs, ce qui est fort intéressant. J’ai été confronté à divers cas concrets de variations éditoriales dues aux obscurités de la calligraphie rimbaldienne ; à l’importance des questions de mise en page dans l’étude de certaines Illuminations ; je me suis rendu compte qu’avoir une « bonne édition » ne suffisait pas puisque les « bons éditeurs » n’étaient parfois pas d’accord entre eux sur des points importants d’établissement des textes ou de présentation typographique. Bref, j’ai compris que, dans bien des cas, le recours aux manuscrits ou à des fac-similés de bonne qualité n’était pas un luxe, une pratique dévotionnelle ou une coquetterie d’universitaire, mais une nécessité pratique. C’est pourquoi je me suis mis récemment à potasser le volume IV de Murphy, idée qui ne me serait pas venue dans le passé.  

     Eh bien … c’est passionnant ! Une grande partie des manuscrits de Rimbaud sont là, précautionneusement photographiés : 383 pages de fac-similés (et pas les lettres d’Afrique, ouf !), précédées de 110 pages d’introduction historique et méthodologique, et suivies de 180 pages environ de notes.  

     Pour rendre compte de l'ouvrage, je me propose de présenter d'abord un point qui m’a particulièrement intéressé, et qui permettra d'illustrer l'intérêt du recours aux différentes versions d'un même texte et à leurs fac-similés. Il concerne « Ô saisons, ô châteaux … ».  Puis je donnerai un résumé, à peine commenté, de l'introduction.

 

  • Un exemple de l'intérêt des confrontations de versions : un point de discussion sur "Ô saisons, ô châteaux".

     Il existe trois versions de ce poème. La dernière, celle de la Saison en enfer (1873), est supposée reprendre en la corrigeant une version traditionnellement datée de 1872, que toutes les éditions présentent et que tout le monde connaît comme la version « officielle » du texte. Soit dit en passant, cette version que je croyais gravée dans le marbre apparaît grâce au fac-similé comme une copie encore hésitante, où les deux derniers distiques sont barrés et où le vers-refrain (v.3 et dernier) a été inséré après coup, entre les lignes. Enfin, il existe aussi un manuscrit très raturé, qui est connu des spécialistes depuis longtemps (une vente aux enchères de 1931) et que Brunel a édité (Pochothèque). Murphy offre les fac-similés de ces deux autographes et lance un débat fort intéressant.  

     Le manuscrit très raturé est généralement considéré comme le premier état connu du texte. Murphy ne met pas en question un instant cette idée reçue, même s’il ne prend pas le soin de l’argumenter. Cette critique étant faite, je reconnais que la chronologie relative généralement admise pour ces trois versions est difficilement attaquable. D’une part, la version que j’ai appelée « officielle », de 1872, comporte des variantes améliorant manifestement le texte. La leçon « Quoi comprendre à ma parole » (brouillon) est remplacée par « Que comprendre à ma parole », leçon qui sera reprise par la version-Saison. La leçon « L’âme n’est pas sans défaut » (brouillon) est remplacée par « Quelle âme est sans défaut ? », leçon qui sera reprise par la version-Saison. D’autre part, le brouillon laisse fortement apparaître des significations sexuelles, et même homosexuelles (« Je suis à lui chaque fois / Que chante son coq gaulois ») que les versions ultérieures camouflent mieux derrière des formulations plus vagues, voire métaphysiques. Il s’agit là d’une constante du travail d’écriture rimbaldien (qu’on se rappelle, dans la « Chanson de la plus haute tour » le changement de « Ah! que le temps vienne / Où les cœurs s'éprennent. » en « Ah! que le temps vienne / Dont on s'éprenne. », substitution qui revient à remplacer une rêverie amoureuse par l’évocation métaphysique d’une sorte d’âge d’or). Rimbaud suit constamment ce principe polysémique qu’un dictionnaire érotique de son époque (cité par Murphy-IV, p.74) formulait fort bien : « L’adresse consiste à trouver des développements tels qu’ils conviennent à deux sujets, l’un honnête et décent, qui est exprimé, l’autre érotique, sous-entendu, et que les termes dont on se sert s’adaptent aussi aisément à l’un qu’à l’autre. »
     Donc, acceptons l’historique proposé :

Version 1 : le brouillon très raturé.
Version 2 : la version « traditionnelle », dite « de 72 ».
Version 3 : celle d’Alchimie du verbe (1873).

     C’est là qu’intervient le débat lancé par Murphy. Notre version 1 (le manuscrit très raturé) présente une particularité : le poème y est précédé de deux lignes de prose, biffées :

« c'est pour dire que ce n'est rien, la vie
voilà donc les saisons »

Ces deux lignes annonçant semble-t-il un titre (Les Saisons) et un thème (plutôt métaphysique) ont fait considérer généralement ce « brouillon » comme un brouillon d’ « Alchimie du verbe » (Murphy cite les noms de Borer, Guyaux, Steinmetz, p.576). Mais alors, remarque Murphy, si l’on accepte (comme c’est généralement le cas) les dates données par Rimbaud lui-même pour la rédaction de la Saison (avril-août 1873), cela veut dire que « Ô saisons, ô châteaux » n’est pas un poème de 72 (malgré la similitude de style avec les autres « chansons spirituelles ») mais qu’il est contemporain de la Saison. Ou alors, cela veut dire que le projet d’écrire un bilan personnel de son aventure poétique, sous la forme d’une prose mêlée de vers, date de bien avant 1873 (c’est l’hypothèse qui semble avoir la préférence de Murphy). Ou encore, cela peut vouloir dire (c’est moi qui y vais de ma propre hypothèse) que ce brouillon n’est pas du tout un brouillon de la Saison : ce pourrait être par exemple un brouillon de lettre. Les poèmes présentés par quelques lignes de prose y sont fréquents. D’ailleurs, je remarque que ces lignes de prose sont rédigées au présent, alors qu’ « Alchimie du verbe » est rédigé au passé (les phrases qui précèdent immédiatement « Ô saisons, ô châteaux » sont à l’imparfait). Pourquoi pas une lettre à Verlaine, datant de la fameuse « retraite » du printemps 72 ?

 

  • Résumé de l'introduction :  

     Dans l’avant-propos, Murphy indique brièvement les acquis d’une trentaine d’années de travail personnel dans la recherche de manuscrits inconnus, ou de bonnes reproductions photographiques de manuscrits hors d’atteinte (grâce aux catalogues de vente aux enchères, par exemple). Il décrit les apports successifs de ceux qui, avant lui, ont mené à bien ce travail : Berrichon, Bouillane de Lacoste, Pascal Pia, Guyaux.

Le chapitre 1 propose une petite histoire des manuscrits rimbaldiens.

      Murphy rappelle à quel point la transmission des textes de Rimbaud (ceux qui ont survécu) a été aléatoire : des lettres, des liasses de feuilles oubliées dans des tiroirs pendant des années, transmises d’un individu à un autre au hasard des déménagements, auxquelles personne ne s’intéressait et qui auraient pu tout aussi bien disparaître.
     Puis progressivement, à partir de 1880, la tendance s’inverse. Le mythe Rimbaud commence à se manifester, l’édition des textes devient une activité lucrative, on achète, on vend, on emprunte, on « oublie » de rendre, on vole, on publie à la hâte pour prendre de vitesse une édition concurrente, … L’œuvre de Rimbaud existe désormais à l’état imprimé, mais bien mal. Simultanément, les manuscrits tendent à disparaître : c’est le temps des collectionneurs. Certains, encore aujourd’hui, comme Pierre Berès, refusent de laisser les chercheurs accéder à leur fonds, par peur d’en diminuer la valeur marchande.
     C’est dans ce double contexte (éditions imprimées contestables et contestées ; manuscrits dispersés et parfois disparus) qu’apparaît, vers 1910, la pratique du fac-similé comme recours scientifique indispensable de l’édition rimbaldienne. La première entreprise d’ampleur sera le volume consacré à Rimbaud de la série « Les Manuscrits des maîtres », publié par l’éditeur Messein en 1919, avec un avant-propos de Berrichon.  

Le chapitre 2 montre l’intérêt du fac-similé comme outil d’authentification et de vérification.  

     Murphy nous offre d’abord un petit historique du faux rimbaldien : canulars (comme la « Chasse spirituelle »), supercheries à but lucratif, pieux mensonges hagiographiques du couple Berrichon, fausses attributions d’œuvres dues à d’autres auteurs (ou parfois l’inverse : des spécialistes refusant d’authentifier certaines pièces réellement rimbaldiennes de l’Album zutique par exemple). Il rappelle les erreurs des meilleurs spécialistes et montre l’insuffisance des méthodes stylistiques (de la « critique interne ») pour résoudre les problèmes posés. Il montre que dans la plupart des cas, c’est l’existence d’un manuscrit et la possibilité d’une analyse graphologique qui a permis d’expertiser le texte litigieux.
    Les erreurs de lecture commises par les éditeurs ont été de leur côté la source d’innombrables polémiques. La vérification exige le recours au manuscrit. Et c’est grâce à des fac-similés seulement que le chercheur peut vérifier l’établissement du texte de certains manuscrits hors d’atteinte. Murphy rappelle quelques-unes de ces erreurs de lecture : « saison » pour « raison » dans « Jeunesse II » ; « chair vierge » pour « chère vierge » dans Un cœur sous une soutane ; « rives » pour « rios » dans « Les Poètes de sept ans » (faussant l’alexandrin), « que l’on entend » au lieu de « qu’on entend » dans « La Rivière de Cassis » (autre exemple de mauvaise lecture faussant le vers), et bien d’autres. Il relate l’entêtement des éditeurs à « corriger » « avant » en « ayant » dans « Mémoire » (« avant le Ciel bleu pour ciel-de-lit ») ; la polémique virulente qui a opposé Étiemble et René Char à propos d’une virgule dans « Comédie de la Soif ». Chacun de ces exemples est une anecdote. Il faudrait pouvoir tout raconter, tellement cette partie est amusante. Par exemple, Murphy cite l’enthousiasme d’un critique devant l’audace surréaliste de ces vers des « Soirs d’été… » (Album zutique) :  

Dans le kiosque mi-pierre étroit où je m’égare,
― Tandis qu’en haut rougeoie une annonce d’Ibled*, ― 
Je songe que l’hiver figera le Tibet
D’eau propre qui bruit, apaisant l’onde humaine,   (…)  

   *pub pour une 
     marque de chocolat

En réalité, il fallait lire prosaïquement non pas « Tibet » mais « filet ». Avec un F majuscule parce que la pissotière, dont, à l’évidence, il s’agit, était bien connue comme lieu fréquenté par les homosexuels (d’où le verbe : « je m’égare ») et désignée, semble-t-il, sous l’appellation poétique du « Filet ».  

Le chapitre 3 indique les bénéfices que le chercheur peut tirer de l’observation des choix graphiques repérables dans les manuscrits autographes, en considérant notamment leur plus ou moins grande qualité graphique.  

     Murphy met en garde contre une graphologie psychologisante (déductions périlleuses concernant le caractère ou l’état psychique de l’auteur) et fait plutôt dériver les variations de l’écriture du contexte de sa production. « Les graphies rimbaldiennes, écrit Murphy (p.49), sont surdéterminées par un rapport au destinataire de l’écriture, celui-ci étant conçu comme lecteur, comme juge et, parfois, comme éditeur potentiel ». L’ornementation graphique des lettres et manuscrits de 1870, par exemple, montre surtout l’intention d’épater des destinataires adultes plus ou moins prestigieux, perçus comme des esthètes romantico-parnassiens. Le soin apporté à la calligraphie d’Un cœur sous une soutane montre que Rimbaud n’a pas considéré cette œuvre comme une « pochade » de collégien. Le soin apporté à la graphie des versions non ponctuées et dépourvues de majuscules-marques de début de vers de certains poèmes de 1872 montre qu’il y a là un parti pris esthétique moderniste et non une négligence comme certains l’ont cru. Par contre, les graphies négligentes, raturées, lacunaires … sont la preuve qu’on est face à des brouillons et non à de recopiages, à une pensée, une forme qui se cherchent, parfois même peut-être (il faut être très prudent mais on ne peut pas l’exclure tout à fait) à des inscriptions hâtives produites dans un état fébrile ou éthylique (manuscrits de « Fêtes de la faim », deux dernières strophes du manuscrit de « L’homme juste », éventuellement).  

Le chapitre 4 envisage le problème particulier des manuscrits qui ne sont pas de la main de Rimbaud (manuscrits allographes).  

     On sait (mais il a fallu attendre les années 30 pour s’en rendre compte) que nombre de poèmes de Rimbaud nous sont connus par des copies faites par Verlaine (ou par Nouveau pour « Villes, L’acropole officielle… » et « Métropolitain », dans les Illuminations). La découverte de cette intervention extérieure a été utile, notamment dans une perspective chronologique. Mais inversement elle a encouragé des pratiques d’édition discutables. Partant du principe qu’une copie allographe est plus susceptible d’erreurs qu’un autographe, les éditeurs aux prises avec une bizarrerie du texte rimbaldien s’empressent de conclure à une erreur du copiste (Fongaro a cru que Verlaine avait amalgamé les textes de deux poèmes différents dans les « Premières communions ») ou s’arrogent le droit de corriger (cf. Guyaux corrigeant « Villes », par ex.). Dans certains cas, toutefois, la copie est réellement douteuse (version du Cœur supplicié dans Les Poètes maudits, copie 1886 des Premières communions par Verlaine). Une autre pratique contestable (principal visé : Jeancolas) est celle qui consiste à éliminer des manuscrits, dans les fac-similés, par une sorte de toilettage, toutes les marques allographes que les éditeurs et les collectionneurs successifs y ont déposées : numérotations, signes et inscriptions les plus diverses. Certes, ces marques peuvent occasionner des gênes ou des erreurs d’interprétation. Mais, inversement, elles se sont avérées plus d’une fois précieuses pour reconstituer l’agencement d’un recueil, l’histoire d’une transmission … Elles doivent être maintenues et analysées.  

Le chapitre 5  étudie « l’organisation de l’espace manuscrit ».  

     Le premier thème abordé par Murphy, l’utilisation du recto et du verso, l’exploitation de l’espace disponible sur la feuille, m’a paru décevant. En gros : il n’y a pas de norme aisément décelable dans la pratique rimbaldienne, ce qui rend toute conclusion aléatoire. Tantôt Rimbaud utilise le verso, tantôt pas ; en général, il ne commence pas un second texte au verso du précédent, mais pas toujours ; dans les Illuminations, il enchaîne les différents textes sans changer de feuille, sur leur recto uniquement (sauf une exception), mais on ne peut pas décider s’il agit ainsi pour exploiter au maximum l’espace disponible ou pour indiquer un agencement raisonné du recueil.
     Murphy souligne ensuite l’intérêt spécifique de l’étude des manuscrits (ou des fac-similés) pour ce qu’on pourrait appeler le paratexte : jeu des tailles et des dispositions dans les titres, sous-titres, dédicaces … ; présence des dessins et caricatures qui éclairent souvent le sens des textes qu’ils accompagnent (notamment dans la correspondance et dans l’Album zutique) ; présence de traits graphiques séparant les différentes parties d’un texte (« Hypotyposes saturniennes, ex Belmontet ») ou les différents textes entre eux (Illuminations), dont les caractéristiques disparates et étrangères à la norme éditoriale classique perturbe l’interprétation. Murphy excelle à commenter ces composantes idiosyncrasiques de la pré-typographie rimbaldienne, que les éditions simplifient généralement au risque d’en détourner le sens. D’où le choix de plusieurs éditeurs récents en faveur de ce que Murphy appelle les « éditions diplomatiques », c'est-à-dire qui se refusent à toute normalisation du manuscrit et respectent, par prudence diplomatique, la moindre particularité de disposition, de ponctuation ou même d’orthographe.
     Les analyses de Murphy se montrent encore très éclairantes lorsqu’il aborde les problèmes posés par la mise en page, lors du passage du texte manuscrit au texte imprimé : cf. ses analyses des questions posées par les quatorze lignes de « Sonnet » (« Jeunesse II »), le dernier verset de « Marine », la disposition du poème « Rêve » à l’intérieur de la lettre à Delahaye de mars 1875 (pages 76-82).  

Dans le chapitre 6, Murphy aborde les questions de datation et d’agencement (c'est-à-dire en pratique l’agencement de sa propre édition).  

     Il s’agit en quelque sorte de justifier l’ordre qui va être suivi dans la présentation des fac-similés et de synthétiser l’appareil de notes qui clôt l’ouvrage, en bonne partie consacré à ces questions chronologiques.
     Pour l’année 1870, Murphy place systématiquement en premier les versions Izambard lorsque nous possédons plusieurs versions du poème : il estime que Rimbaud, à cette époque, était enclin à solliciter en premier l'avis de son professeur avant d’envoyer tel poème à Banville (« Ophélie ») ou à la revue satirique La Charge (« Trois baisers »). Les poèmes de la lettre à Banville sont datés et il n’y a pas lieu de mettre en doute l’indication de Rimbaud. Les versions du Recueil Demeny (ou Recueil de Douai) sont toujours postérieures aux versions Izambard ou Banville. Pour ce recueil, Steve Murphy adopte l’ordre indiqué par Demeny dans sa lettre à Darzens de 1888, sans être certain qu’il corresponde à un choix effectué par Rimbaud. En tout cas, le classement interne du recueil ainsi conçu n’est pas chronologique (sauf pour les derniers sonnets). Il n’est pas sûr que ce classement réponde à quelque principe que ce soit.
     Viennent ensuite les poèmes inclus dans les lettres de mai-juin 71, qu’il ne faut pas séparer de leur contexte épistolaire. « Ce qu’on dit au poète… » (envoyé à Banville en août) et « Le Bateau ivre » (rédigé au plus tard en septembre), puis les poèmes du « Recueil Verlaine ».  Murphy plaide pour que l’on prenne beaucoup plus au sérieux qu’on ne le fait d’habitude l’agencement de ce recueil. "Entre septembre 1871 et février 1872 environ" (SM accepte cette dernière date proposée par Verlaine pour « Les mains de Jeanne-Marie »), Verlaine a constitué un dossier paginé de 1 à 24, doté d’une table des matières et constitué pour l’essentiel de copies de sa main, qui contient la plus grande partie des poèmes de cette période. Pour SM, il est exclu que Verlaine ait pu constituer ce recueil sans l’assentiment de Rimbaud, et l’ordre qu’il suit peut avoir été voulu par l’auteur lui-même. En toute cohérence, SM suppute que si certains poèmes joints aux lettres de 1871 ou « Le Bateau ivre » n’appartiennent pas au recueil, c’est que Verlaine et Rimbaud lui-même ne sont plus en possession de ces textes au moment de la constitution de ce recueil, ou que ce sont des textes postérieurs (comme ces deux copies de « Voyelles » et « Oraison du soir », de la main de Rimbaud, qui représentent les secondes versions de ces textes et qui contiennent des variantes intéressantes). On sent la volonté chez Murphy de combattre l’idée reçue selon laquelle les poèmes du « Recueil Verlaine » auraient pu être tous écrits avant l’arrivée à Paris de septembre 71, et de supprimer le cloisonnement trop étanche que l’on est habitué à ménager entre poèmes de 71 et poèmes de 72.
     Viennent ensuite l’Album zutique, les poèmes de 72 distribués selon leur mode de transmission (4 par Forain, 4 par Richepin, les autres par Verlaine), Les Déserts de l’amour qui « sont à peu près certainement de la période 1871-1873 » (p.95).
     Puis les proses évangéliques, la Saison et ses brouillons qui sont des textes à peu près contemporains (rien de très neuf là-dessus, me semble-t-il).
     Le long passage sur Les Illuminations ne nous apprend pas grand-chose non plus. Il est consacré à discuter l’argumentation graphologique de Guyaux (écriture sinistrogyre vs écriture dextrogyre, très compliqué !) visant à étaler sur une période assez longue (à partir de 73) la rédaction des Illuminations, au contraire de Bouillane de Lacoste qui tendait à la situer en entier après la Saison. Murphy réfute la démonstration de Guyaux (impossible à résumer, trop compliqué pour moi) mais admet que Bouillane a seulement démontré que le recopiage des Illuminations était ultérieur à la Saison, et donc qu’il reste possible que la gestation de l’œuvre s’échelonne sur plusieurs années. Je cite « pour le fun » la phrase de conclusion : « si l’hypothèse de H. de Bouillane de Lacoste de la postérité de l’intégralité des Illuminations ne saurait être confirmée, elle reste au moins aussi plausible que celle d’un chevauchement de périodes de composition – et à notre avis un peu plus plausible. » (p.103).

Le court chapitre 7, intitulé « Reliques », contient une expertise essentiellement graphologique, dans un but d’authentification, de quelques documents non littéraires joints au volume (listes de mots espagnols attribuées à Rimbaud ou à Verlaine, brouillons d’annonces à paraître dans le Times

Septembre 2005.