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critique
Commentaire |
Tout est dans l’indéfini. Rimbaud dirige son éloge vers « une
Raison » pour la distinguer
de toutes celles que la tradition philosophique a appelées « la
Raison ». En premier lieu, la Raison de Descartes et de la
philosophie classique, raison confondue avec la Vérité du
christianisme. Celle qui émerveille, dans sa naïveté, le « nègre » de Mauvais sang :
J'ai reçu au cœur le coup de la
grâce. Ah ! je ne l'avais pas prévu ! [...]
L'amour divin seul octroie les
clefs de la science.
[...] Je vois
que la nature n'est qu'un spectacle de bonté. Adieu chimères,
idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur : c'est
l'amour divin. [...]
La raison est née.
En second lieu, la raison des « Lumières »,
identifiée à la pensée libre, dégagée des superstitions, victorieuse du
despotisme et inspiratrice de l'égalité. Celle que célèbrent les
hymnes à la Raison de Quatre-vingt-treize et que persifle le locuteur
de Mauvais sang :
La race inférieure a
tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la
science.
Oh ! la science !
Rimbaud n'a qu'ironie pour la première et, quant à la seconde,
comme les acteurs des « révoltes logiques » de 1848 et de la Commune, il a pu en mesurer
les limites. À ces conceptions traditionnelles, il a une
alternative à proposer : une Raison autre, une autre logique.
Le poème relève pour
l'essentiel du genre de l'éloge. Il célèbre les pouvoirs
exceptionnels d'« une Raison ». Rimbaud personnifie le concept, le
dote d'une tête, d'un doigt, d'un pas. Il écrit le mot avec
majuscule, haussant l'idée au rang d'allégorie. Du début à la fin,
il s'adresse à elle en la tutoyant. Dans les trois premiers alinéas,
il attribue à son moindre mouvement des conséquences gigantesques.
La prosopopée des « enfants », au quatrième alinéa, a toute l'allure
d'une supplication adressée à un dieu.
Les thèmes sont si typiquement rimbaldiens que le poème
pose, à vrai dire, peu de problèmes de lecture. Sauf sur une question,
toujours pendante dans Les Illuminations : où s'arrête
l'enthousiasme lyrique, où commence l'ironie ?
[...] Suite
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Bibliographie consultée
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ADAM |
Arthur
Rimbaud, Œuvres complètes, édition établie, présentée et
annotée par Antoine Adam, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,
1972. |
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Rimbaud,
Œuvres,
sommaire biographique, introduction, notices, relevé de variantes et
notes par Suzanne Bernard, Paris, Garnier, coll. « Classiques
Garnier », 1961 ; rééd. coll. « Classiques jaunes », 2018, p.
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BRUNEL
(1999) |
Rimbaud, Œuvres complètes,
édition établie, présentée et annotée par Pierre Brunel, La
Pochothèque, 1999, p. 467-468. |
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BRUNEL
(2004) |
Éclats de
la violence. Pour une lecture comparatiste des Illuminations
d’Arthur Rimbaud,
édition critique commentée par Pierre Brunel, José Corti, 2004, p.
213-225. |
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CLAISSE |
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René
Étiemble, et Yassu Gauclère,
Rimbaud,
Paris, Gallimard, 1936 ; nouv. éd. revue et augmentée, Gallimard,
coll. « Les Essais », 1950 ; 3e éd. revue et augmentée, 1966,
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(1985) |
André Guyaux, Arthur Rimbaud,
Illuminations, À la Baconnière, 1985, p. 160-162. |
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GUYAUX
(2009) |
Arthur
Rimbaud, Œuvres complètes. Texte établi, présenté et annoté par
André Guyaux. Éditions Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 2009,
révisé 2015. p. 956-957 pour l'édition de 2009. |
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KINGMA-ERGANDAEL |
Albertine W.G. Kingma-Ergandael,
« Structuralisme et motivation du signe poétique », Parade
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MORTIER |
Roland
Mortier, « La Notion d’harmonie dans les
Illuminations »,
dans
Mélanges à la mémoire de Franco Simone. France et Italie dans la
culture européenne,
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Tradition et originalité dans la création littéraire,
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MURAT |
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L’Art de Rimbaud,
Paris, José Corti, coll. « Les Essais », 2002 ; nouv. éd. revue et
augmentée, 2013, p. 251-252. |
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PY |
Arthur Rimbaud, Illuminations,
texte établi, annoté et commenté par Albert Py, Droz-Minard, 1969,
p. 114-116. |
|
WI |
Dictionnaire Rimbaud, Sous la
direction d’Adrien Cavallaro, Yann Frémy et Alain Vaillant,
Classiques Garnier, 2021. Entrée À une Raison, par
Hyojeong Wi, p. 14-15. |
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