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L'Éternité (1872) |
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Le texte s'ouvre sur une sorte
d'"Euréka!". Puis, le poète s'interroge sur le sens de
l'illumination qui vient de le visiter : il a retrouvé (se dit-il), dans
un spectacle de la nature ("la
mer allée / Avec le soleil" : "la mer mêlée / Au soleil" dira Rimbaud, plus
simplement, dans "Alchimie du verbe"), l'Éternité
perdue en même temps que la foi chrétienne. À son âme inquiète
du salut, il enjoint ensuite d'admettre qu'il n'y a rien d'autre à attendre,
dans ce bas monde, en guise d'éternité, que le renouvellement sans fin
du cycle du temps : la succession des jours, écrasés de soleil, et
des nuits vides où l'homme se sent solitaire et abandonné. Dès
lors, l'âme du poète peut prendre son essor pour accomplir son destin :
elle s'envole, se détache du monde et des hommes, se
détourne
des aspirations communes. S'adressant enfin au soleil comme s'il était
son Dieu, l'auteur professe que le seul "Devoir" qu'il se
reconnaisse est de se consumer sans délai, sans répit, sous sa loi. Il
affirme à nouveau son rejet d'un monde où l'espérance est toujours déçue,
où toute idée de salut, toute idée d'un "orietur" (c'est-à-dire
d'une possible aurore) est sans cesse renvoyée à un avenir incertain,
son rejet d'une civilisation qui ne sait que prêcher la patience et qui fait de la vie humaine un
languissant supplice. Le retour final du "refrain" ramène le
lecteur au paysage symbolique où s'origine le poème. Comme bien d'autres textes de Rimbaud, celui-ci évoque un processus imaginaire de libération (ou de "dégagement rêvé" selon la célèbre formule de "Génie" dans les Illuminations), une aventure héroïque à contre-courant des "communs suffrages", en quête d'un Graal qui est ici le soleil, et où le Poète, "fils du soleil", "voleur de feu", joue sa vie. L'expérience poétique du monde offre à l'homme dans certains moments privilégiés le pouvoir d'échapper au Temps : voilà l'illumination qui vient à l'auteur devant l'image de "la mer mêlée au soleil". Dans le spectacle d'une nature à la beauté sensuelle et féconde (qu'on se rappelle "Sensation", "Soleil et Chair", "Bannières de mai", etc.), dans l'impression d'infini temporel et spatial qui s'en dégage, le païen qu'est Rimbaud reconnaît la seule éternité réellement existante. Non pas le bonheur illusoire que les religions promettent après la mort, mais un sentiment d'éternité, disponible ici et maintenant, dans ces moments de ravissement poétique où l'essentiel semble ouvrir une brèche dans l'expérience contingente du monde. Dans de tels moments, il est bien vrai qu'... "Elle est retrouvée / Quoi ? — L'Éternité ...". Etc
>>> "L'Éternité", chanson spirituelle ou romance païenne ? (Commentaire) |
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