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Michel et Christine (1872)
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Michel et Christine
Zut alors, si le soleil quitte ces bords !
Fuis, clair déluge !
Voici l'ombre des routes.
Dans les saules, dans la vieille cour
d'honneur,
L'orage d'abord jette ses larges gouttes.
O cent
agneaux, de l'idylle soldats
blonds,
Des aqueducs, des bruyères amaigries,
Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons
Sont à la toilette rouge de l'orage !
Chien noir, brun pasteur dont le manteau
s'engouffre,
Fuyez l'heure des éclairs supérieurs ;
Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,
Tâchez de descendre à des retraits meilleurs.
Mais moi, Seigneur ! voici que mon Esprit vole,
Après les cieux glacés de rouge, sous les
Nuages célestes qui courent et volent
Sur cent Solognes longues comme un
railway.
Voilà mille loups, mille graines sauvages
Qu'emporte, non sans aimer les liserons,
Cette religieuse après-midi d'orage
Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront !
Après, le clair de lune ! partout la lande,
Rougis et leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers
Chevauchent lentement leurs pâles coursiers !
Les cailloux sonnent sous cette fière bande !
− Et verrai-je le bois jaune et le val clair,
L'Epouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule
Et le blanc Agneau Pascal,
à leurs pieds chers,
− Michel et Christine,
− et Christ ! − fin de l'Idylle.
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Lexique |
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bords : berges d'une
rivière, et par extension : contrée, pays. 
Des aqueducs, des bruyères amaigries, /
Fuyez ! : les deux groupes nominaux du vers 6 doivent être
considérés comme les compléments du verbe à l'impératif
"fuyez" : éloignez-vous des aqueducs et des bruyères
amaigries. 
pasteur : pâtre,
berger. 
dont le manteau
s'engouffre : groupe syntaxique insolite mais dont le sens global
ne fait guère problème : dont le manteau s'enfuit. Les commentateurs
hésitent entre l'hypallage (image romantique traditionnelle du vent qui
s'engouffre dans le manteau du berger) et l'ellipse (dont le manteau
s'engouffre dans l'ombre, dans leurs "retraits"). 
retraits : retraites,
refuges. 
glacés
: nappés, recouverts d'une couche de rouge ; l'usage de ce terme rappelle
le vocabulaire technique de la peinture (un glacis) et de la cuisine
(glacer un gibier d'une couche de gelée ou un gâteau d'une couche de
sirop de sucre ou de chocolat). 
Solognes
: la Sologne est une vaste plaine, sableuse et marécageuse, qui s'étend
au sud du bassin parisien. Elle réserve de nombreux domaines de chasse. 
railway
: voie ferrée, chemin de fer, terme d'origine anglaise couramment
utilisé en France aux débuts du chemin de fer. 
agneau
pascal : il était d'usage chez les Hébreux, peuple
d'éleveurs nomades, d'égorger et de manger un agneau en famille au
moment de Pâques. La tradition ancienne de la Bible faisait de l'agneau
le symbole de la créature humaine, Dieu étant le berger du troupeau. La
tradition chrétienne a fait de cet agneau pascal une représentation
allégorique de Jésus-Christ, fils de Dieu, se sacrifiant à ce même
moment de Pâques pour les hommes. Bernard Meyer (op. cit. p.21) signale les nombreuses
occurrences de ce symbole dans
l'Apocalypse 14 et 15. 
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Interprétations |
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La
mention "op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin
de page.
Zut
alors :
Steve Murphy voit
dans Michel et Christine un poème d'inspiration
"zutique" (zutique : c'est à dire parodique, au sens de
l'"Album zutique"). Michel et Christine contiendrait en
effet selon lui plusieurs allusions facétieuses à des textes
contemporains. Le poème tout entier ouvrirait un dialogue
irrévérencieux avec Malines
de Verlaine (voir notre note au mot : idylle). Le
titre serait emprunté à un vaudeville de l'époque (voir notre note sur Michel
et Christine). Enfin, l'incipit du poème serait emprunté selon
toute vraisemblance à un refrain à la mode, dont Steve Murphy a trouvé
la mention chez Baudelaire : "Baudelaire enregistre cette scie dans
ses écrits sur la Belgique : "Encore un enterrement de Solidaire
sur l'air : "Ah ! zut ! alors ! si Nadar est malade !"
", "Encore un enterrement de Solidaire sur l'air :
"Zut ! alors ! si ta sœur est malade !", "Ah !
zut ! alors ! si ta sœur est malade!" (Œuvres complètes,
éd. Claude Pichois, Pléiade, t.2, 1976, p.895, 1494 & 900); la scie
portant sur Nadar part précisément de l'air "Ah ! zut ! alors
! si ta sœur est malade !" (op. cit. décembre 2004, p.250). Ce "zut"
initial devrait donc être compris comme un double clin d'œil
humoristique : emprunt pittoresque d'un refrain argotique et acte
d'allégeance à l' "école" zutique.
Fuis, clair déluge :
Les commentateurs
hésitent entre la notation de lumière et l'évocation métaphorique
d'une rivière. Suzanne Bernard paraphrase : "déluge de clarté qui
baignait ces bords" (Édition des oeuvres, Classiques Garnier, page
444, 1961). Pour Claude Jeancolas (Rimbaud, L'œuvre, Textuel, p.238) "le déluge est celui de la lumière
qui semble fuir vers l'horizon quand les nuages noirs gagnent du
terrain". Bernard Meyer (op. cit. p.9)
partage cette lecture : "déluge désigne par métaphore la
profusion de lumière qui jusqu'alors inondait ces bords". Pour Pierre Brunel (Rimbaud, Oeuvres complètes,
Pochothèque, p.366), il s'agit de la rivière, comme dans Illuminations,
Enfance, I : "le clair déluge qui sourd des prés".
"La rivière, écrit P.B., doit courir après le fugitif."
("doit" puisqu'elle en reçoit l'ordre : "fuis!"). 
dans la vieille cour d'honneur
:
Avec cette indication de lieu,
Yves Reboul (op. cit. p.56-57) pense
qu'on est en présence d'un souvenir d'enfance de Rimbaud : un de ces "fragments de réalité qui
structurent la mémoire de l'enfant poète en même temps qu'ils dessinent
l'espace symbolique d'une société immémoriale dont Rimbaud montrera
ailleurs (dans Enfance par exemple) quelle attention il pouvait
leur accorder." Les "cours d'honneur" étaient
traditionnelles dans les établissements scolaires. Jean-Luc Steinmetz
(dans son édition Rimbaud chez
Garnier-Flammarion, page 185, 1989) note à ce propos que "Dans sa lettre de juin
1872 à Delahaye Rimbaud rappelle qu'en mai 1872 sa chambre rue
Monsieur-Le-Prince donnait sur les jardins du lycée Saint-Louis". 
Ô cent agneaux :
Il est classique de
voir dans ces "agneaux" une métaphore intermédiaire permettant
l'enchaînement : ciel d'orage > fuite des nuages = fuite des troupeaux
> évocation pastorale. Ainsi Jean-Luc Steinmetz (dans son édition Rimbaud chez
Garnier-Flammarion, page 185, 1989) : "L'équivalent des nuages qui moutonnent.
Mais Rimbaud annonce encore une autre comparaison. Les nuages
sont aussi les soldats blonds. Il en résulte tout un paysage
pastoral (l'idylle)avec berger, troupeau, Sologne, loup". 
idylle
:
Communément, ce mot désigne un amour tendre et naïf;
en littérature, un petit poème à sujet pastoral, généralement
amoureux (synonyme : "églogue"). Au théâtre, la
"pastorale" exploite les mêmes ressorts en mettant en scène
des bergers dans un cadre bucolique. Une tradition remontant à
l'Antiquité fait de l'Arcadie, province de la Grèce ancienne, le pays
idyllique par excellence. Pierre Brunel (op. cit. p.
200-212) montre que Michel
et Christine met en scène un orage s'abattant comme une horde barbare
sur un paysage dont les éléments composent l'univers
traditionnel de la pastorale : les agneaux, le pasteur et son chien, la
rivière (les "bords"), l'ombre, les saules. Il y aurait donc chez
le poète (qui à partir de la strophe 4 fait manifestement cause commune
avec les barbares) une intention parodique à l'égard d'un genre littéraire
jugé naïf, dont l'influence était encore perceptible dans la poésie de son
temps (Banville et les Parnassiens, Verlaine ...). Dans la même optique, Claude Jeancolas (Rimbaud,
L'œuvre, Textuel, p.238) comprend l'expression "soldats blonds
de l'idylle" comme une référence aux bergers d'Arcadie. Mais, plus
loin, l'adjectif "blond" qualifie aussi le "troupeau".
L'utilisation de "blond" à la place du plus attendu
"blanc" a en tout cas pour intérêt, selon Yves Reboul (op.cit)
d'ajouter à la parodie de l'églogue l'"usage dérisoire"
d'un adjectif souvent associé à l'idée de beauté et de noblesse dans
la "tradition poétique classique". Steve Murphy
(op. cit. p.98-101), de son côté, a montré dans Michel
et Christine une entreprise de subversion fomentée par Rimbaud à
partir d'une description verlainienne. Il s'agit d'un paysage belge,
paisible et pastoral, d'une pièce de Romances sans paroles
: Malines. Murphy s'appuie notamment pour sa démonstration sur la
présence dans le texte de Verlaine des substantifs du vers 8 de
Michel et Christine et
sur celle du mot "railway" dans un manuscrit de Malines.

soldats
blonds :
Le mot
"soldats", l'atmosphère générale de cette fuite devant les
hordes barbares, encourage Pierre Brunel (op.cit p.206-208) à se demander
si Étiemble n'a pas trop vite éliminé (dans son Mythe de Rimbaud,
Tome II -Genèse du mythe, page 277, 1954) l'hypothèse du poète
Pierre-Jean Jouve selon laquelle Michel et Christine contiendrait une
allusion à la débâcle française devant les armées prussiennes en 1870
: "Je ne crois pas, contrairement à Étiemble, que soit
complètement inacceptable l'idée de Pierre-Jean Jouve selon laquelle
nous aurions affaire à une allégorie de la guerre
franco-allemande". Mais dans ce cas, il est troublant de constater
que pour Rimbaud "cette débâcle est un sujet d'épouvante, mais
aussi de délectation" (op.cit. p.208). Il note qu'en outre, un
recueil patriotique de Théodore de Banville intitulé Idylles
prussiennes a paru en 1871, que ce recueil insinuait l'idée d'aspects
positifs de la victoire prussienne et notamment le rétablissement de la
famille (poème intitulé : "La soirée"). Il se demande dans
quelle mesure le poème de Rimbaud ne pourrait pas être considéré comme
une parodie de ce recueil. 
l'heure
des éclairs supérieurs :
Bernard Meyer (op.
cit. p.12) donne le commentaire suivant : "L'heure
(au sens de "moment") rappelle les avertissements
évangéliques - "Voici l'heure du prince des ténèbres";
"Voici l'heure où le fils de l'homme va être livré";
"vous ne savez ni le jour ni l'heure" -. Supérieurs, peu
employé dans le sens physique ("qui se trouve en haut"), reste
imprégné de sons sens moral ordinaire et de connotations mythologiques.
La diérèse (supé - rieurs) et la rime intérieure en [oeR] (heure / -eurs)
soulignent formellement la solennité de cette expression, qui évoque
les théophanies de Yahvé sur le Sinaï - "Il y eut des éclairs et
une épaisse nuée sur la montagne" (Exode, 19, v.16)."

non sans aimer les liserons :
Passage particulièrement
difficile à interpréter. Se référant tous deux au poème "Fêtes
de la faim", P.Brunel et Y.Reboul en tirent des commentaires
différents, voire contradictoires. P.Brunel (Rimbaud, Oeuvres complètes,
Pochothèque, p.366) note surtout la malignité du liseron ("l'humble
et vibrant venin des liserons" écrit Rimbaud) et le place donc du
côté des "loups" et des "graines sauvages"
entraînés par l'orage. Y.Reboul (op. cit.. p.57) met au
contraire l'accent sur l'opposition ("non sans aimer") :
"l'orage de Michel et Christine bouleverse la vieille Europe,
c'est entendu, mais "non sans aimer les liserons", ces mêmes
liserons que l'on retrouve dans la deuxième des Proses évangéliques comme
fleurs emblématiques de l'univers de misérables miracles proposés par
Jésus, ou encore dans Fêtes de la faim, associés à telles
représentations symboliques de l'Europe ancienne ("Les cailloux
qu'un pauvre brise / Les vieilles pierres d'églises...")" En
quelque sorte, les liserons appartiendraient plutôt à l'univers pastoral
de l'idylle et de la religiosité traditionnelle, et annonceraient déjà
la résistance victorieuse du vieux monde à l'invasion des barbares,
telle qu'elle paraît se dessiner à la fin du poème. Voir plus loin. 
Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront ! :
Isabelle Rimbaud avait, semble-t-il,
deviné dans Michel et Christine une inspiration révolutionnaire :
"J'aurais voulu que l'on supprimât les trois morceaux intitulés : Le
Forgeron, Michel et Christine, Paris se repeuple, qui
semblent exprimer des idées révolutionnaires" (lettre publiée par
Jean Heitz, "A new document on Rimbaud", Modern Language Notes,
nov. 1957, p.508-512).
Confirmant, pourrait-on dire, cette intuition, Y. Reboul (op. cit.. p.52-59) démontre
que ces "hordes" chevauchant l'Europe ancienne sur "leurs
pâles coursiers" ne sont pas seulement une allusion historique aux
invasions barbares. Il rappelle que tout le XIXe siècle a désigné sous le terme de
"Barbares" ou de "Nouveaux Barbares" les
représentants révoltés des "basses classes" de la société, les
insurgés de la Commune, la subversion sociale. Il en donne comme exemple
cette phrase d'un article du Journal des débats, au lendemain de
l'insurrection des Canuts de Lyon (8 décembre 1831) : "Les Barbares
qui menacent la société ne sont point au Caucase, ni dans les steppes de
la Tartarie : ils sont dans les faubourgs de nos villes
manufacturières". Il aurait encore pu citer Lamartine qui, évoquant
dans ses Mémoires politiques l'irruption dans la Chambre d'une
manifestation ouvrière, le 15 mai 1848, avoue qu'il en garde la
"véritable et atroce image d'une invasion de barbares dans une
société civilisée". Rimbaud lui-même utilise le terme au sujet de la
Commune dans Paris se repeuple ("Les boulevards
qu'un soir comblèrent les Barbares"). Yves Reboul fait remarquer à ce
propos le futur du verbe aller ("où cent hordes iront"). La
vision rimbaldienne revêt donc ici l'aspect de la prophétie politique.
Elle annonce la subversion sociale qui doit nécessairement dans le futur balayer la
société (l'"Europe ancienne", le vieux monde).
Bernard Meyer (op. cit.) refuse cette lecture : "Pour ma part, je ne
crois pas qu'il faille trouver un référent historique de cette invasion
archétypale"(p.26). Plus fermement encore, il récuse l'idée qu'il
puisse y avoir ici, comme le suggère Yves Reboul, l'expression d'une
sympathie de l'auteur pour la Commune et pour une espèce de nihilisme
révolutionnaire. Selon Bernard Meyer, celui qui dit "Je" dans
le poème n'est pas l'auteur. "Est-ce bien Rimbaud qui parle
ici?" se demande-t-il (p.24) Rimbaud n'est pas ce "prophète
surgi d'un autre âge, excité, vociférant, enivré par les catastrophes
qu'il annonce, puis brusquement calmé par l'imagination d'une fin qui le
ravit. Nous savons que Rimbaud n'est pas cet illuminé, ce millénariste,
et que s'il donne volontiers libre cours à sa veine catastrophique [comme
dans Qu'est-ce pour nous mon coeur...], il garde toujours ses
distances, comme le manifestent, tout au long du poème, les indices
d'ironie qui entachent la déclamation de dérision larvée (...) J'en
conclus que Rimbaud donne ici la parole à un personnage de son
"opéra fabuleux", tout en minant son discours par des outrances
et des incongruités. En définitive, comme dans Vierge folle, deux
voix se font entendre : celle du locuteur et celle d'un manipulateur qui
se moque de lui" (p.25). 
rougis
et leurs fronts aux
cieux noirs :
Deux variantes sont proposées par
les différentes éditions : "rougissant leurs fronts";
"rougis et leurs fronts". Pierre Brunel, dans l'édition
de la Pochothèque qui nous sert habituellement de référence, préfère
la première (p.367). Nous adoptons la seconde, qui nous
paraît plus logique : on ne voit pas comment les guerriers pourraient rougir
leurs fronts aux cieux noirs.
"les cieux glacés de rouge de
la quatrième strophe teintent le front des guerriers" Suzanne
Bernard (Édition des oeuvres, Classiques
Garnier, page 444, 1961) 
- Et verrai-je le bois jaune et le val clair, / L'Epouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule
/
Et le blanc Agneau Pascal, à leurs pieds
chers, ... :
Yves Reboul (op. cit.)
met en évidence dans ces vers une référence gauloise qui revient de
façon insistante dans l'œuvre de Rimbaud.
Dans la mythologie personnelle de Rimbaud, l'état
sauvage et le paganisme se trouvent souvent revendiqués et valorisés par
opposition à un ordre social, une religion, une civilisation occidentale
qu'il rejette. Selon les textes, le sauvage est parfois le
"nègre" (le premier titre imaginé pour Une saison en enfer fut Livre
nègre), parfois le "barbare". Dans la section d'Une
saison en enfer intitulée Délires II, l'Époux infernal, c'est
à dire Rimbaud, déclare que ses pères, "de race lointaine",
étaient "scandinaves". Dans la section d'Une saison en enfer
intitulée Mauvais sang, le narrateur explique son caractère par
son ascendance gauloise :
"J'ai de mes ancêtres gaulois
l'œil bleu
blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je
trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne
beurre pas ma chevelure. / Les Gaulois étaient les écorcheurs de
bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps. /
D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège; - oh! tous
les vices, colère, luxure, − magnifique la luxure; − surtout
mensonge et paresse. (...) Il m'est bien évident que j'ai
toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la
révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les
loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée." A.R. Oeuvres
complètes, Pochothèque, p.412-413. |
Cette hérédité mythique est manifestement ambivalente : d'une part
elle est gratifiante, car elle permet à Rimbaud de s'affirmer comme un
rebelle, un insoumis, inassimilable par une Société honnie; de l'autre,
elle est dépréciative car elle porte avec elle une prédestination à
l'échec ("maladresse dans la lutte"; "je ne puis comprendre la
révolte"). Dans ce passage, Rimbaud offre de lui-même l'image d'un
rebelle fruste et désordonné, incapable d'accéder à la véritable
révolte.
Pour en
venir à Michel et Christine, il n'est donc pas étonnant de voir
apparaître la référence gauloise dans un texte forgeant une sorte
d'allégorie de la révolte
sociale sous les traits d'une horde barbare. La
Gaule représente ici à l'évidence l'image du bonheur, paradis perdu et
simultanément nouvelle patrie à inventer, promesse
d'un monde nouveau (d'où l'interjection
"ô", chargée d'exprimer dans le contexte une nuance de
vénération). Mais, comme l'indique Yves Reboul
:
"ces mille loups, par exemple, que
Rimbaud voit déferler sur le vieux monde pourraient bien apporter
dans le texte une nuance essentielle. Qu'on se reporte en effet à
Mauvais sang ("Ma race ne se souleva jamais que
pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée."
) et se dessine à nos yeux aussitôt l'image de toutes les
jacqueries du passé, incapables d'autre chose que de brèves
flambées de violence, consolidatrices en définitive de l'Ordre.
(...) Rien d'étonnant dès lors, ni dans la question sur laquelle
s'ouvre la dernière strophe − "Et verrai-je..." − ni
dans la nature de ce que Rimbaud renvoie là à un futur
incertain. Ce dont l'avènement se trouve ainsi mis en doute,
c'est tout simplement la Promesse du messianisme laïc, cette
venue d'un monde nouveau dont le mythe barbare traduisait
l'espérance et dont la dernière strophe fait surgir l'incertaine
allégorie : (...) ce val qui est le lieu d'un bonheur rêvé et
surtout, sous l'égide de la Gaule mythique, ce couple de songe
dont le sens ne peut être douteux. Car pour qui a lu les textes
rimbaldiens sur l'impossibilité de l'amour dans le monde tel
qu'il est, pour qui n'ignore pas que la réinvention de cet amour
était au cœur de l'espérance messianique qui fut la sienne, il
est clair que c'est justement cette réinvention qui se trouve
symbolisée par le couple mythique surgi en une vision ultime dans
les derniers vers du poème. Et que cette vision unisse une Épouse
aux yeux bleus (en tant que Gauloise) et l'homme au front rouge
surgi du monde de l'orage n'a rien qui puisse étonner, non plus
que la présence à leurs pieds de l'agneau pascal, (...)
(représentation messianique) qui renvoie en somme à Pâques sur
terre, comme Matin rêvera "Noël sur terre" en
un emprunt somme toute banal, dans le contexte du XIX° siècle,
à l'imagerie chrétienne." (op. cit. p.57-58) |
Michel et
Christine : Les commentateurs, à la suite d'Étiemble et
Gauclère (op. cit.), s'accordent généralement à
reconnaître dans ces deux prénoms choisis par Rimbaud pour représenter
l'amour, le couple, le titre d'un vaudeville de Scribe et Dupin : "Michel
et Christine". Ils citent à ce propos, comme une allusion
probable à ce poème, cette phrase d'Alchimie du verbe : " un
titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi" (A.R.
Oeuvres complètes, La Pochothèque, p.429).
Steve Murphy (op. cit.) résume ainsi
l'argument de cette oeuvre lyrique : " Michel et Christine est
une sorte de mélodrame, mêlant l'humour et le pathétique, où un
courageux soldat polonais, Stanislas, cède la femme qu'il aime,
Christine, et son argent à un certain Michel qui semble faire preuve
surtout d'opportunisme et de pusillanimité" (p.250). Ayant pris la
peine de se reporter au livret de cette comédie, Steve Murphy a en outre
découvert que "dans les petits volumes du XIXe siècle
présentant Michel et Christine, les noms les plus longs sont
abrégés, d'où Stan. [pour Stanislas] et, ce qui paraît
bien plus frappant ... Christ. [pour Christine]. Rimbaud a
pu rigoler de l'incongruité consistant à prêter au Christ les propos de
Christine du genre : "Quel tapage effrayant! / On demande l'hôtesse.
/ Je vous quitte un instant / Car là-bas on m'attend."); l'histoire
de Michel et Christine n'est guère une idylle et le calembour terminal de
Rimbaud, avec le prétexte des indications abrégées des éditions de la pièce, donne une fin aussi zutique à cette parodie de
l'idylle verlainienne que son entrée en matière." (p.251). 
Fin de
l'Idylle :
Dans
son article de la Revue d'histoire
littéraire de la France ( op. cit. p.
200), Pierre Brunel signale une curieuse coïncidence. Dans une
saynète du Théâtre en liberté de Victor Hugo, qui ne fut
publiée qu'en 1886 et qu'il est donc exclu de considérer comme une
source, oeuvre intitulée Sur la lisière
d'un bois, deux jeunes gens se content fleurette. A la fin, quand le
garçon entraîne la fille sous les couverts, un satyre embusqué commente cyniquement : "Fin de l'idylle : un
mioche". Or, dans Michel et Christine, la fin de l'idylle
intervient au moment même où apparaît, entouré de ses parents,
l'enfant-Christ ! 
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Commentaire |
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Michel et Christine est un de ces textes énigmatiques pour
lesquels on a l'impression qu'ils se sont éclairés au fil du temps, grâce au
travail de la critique. Et, pour une fois, moins par l'affrontement des
interprétations que par leur collaboration indirecte dans
l'approfondissement du sens du texte. René Étiemble (en 1936) est le premier
à avoir signalé
la référence du titre du poème à celui d'un vaudeville de Scribe : "Michel
et Christine". C'est probablement à cette rencontre que fait
allusion Alchimie du verbe : "un titre
de vaudeville dressait des épouvantes devant moi". Pierre Brunel a
ensuite établi un premier niveau de sens lorsqu'il a
mis en évidence (en 1987) l'inspiration parodique du poème : une parodie du
genre littéraire de l'idylle. Si bien que Steve Murphy, lorsqu'il croit
pouvoir déceler dans ce même poème (en 2004) une "parodie de l'idylle
verlainienne", telle qu'elle se manifeste dans Malines, ne contredit
pas la thèse de Brunel mais la précise et la confirme. Cependant, Yves Reboul a
bien montré (en 1990) que le sens du poème ne peut pas être réduit à cette
intention parodique. Comme l'avait senti Isabelle Rimbaud, le poème recèle aussi une portée
politique ("J'aurais voulu, écrit la sœur du poète dans une lettre, que l'on supprimât les trois morceaux intitulés : Le
Forgeron, Michel et Christine, Paris se repeuple, qui
semblent exprimer des idées révolutionnaires"). Ainsi compris,
Michel et Christine apparaît comme une rêverie révolutionnaire où les noms joints
d'un couple de vaudeville symbolisent l'avènement du "nouvel amour" sur les
décombres du vieux monde renversé par l'action des "nouveaux barbares".
Au dénouement de la fable, cette
rêverie se brise. C'est que le poète vient de s'aviser que le mot
"christ" jette sa malédiction sur le prénom de "Christine", comme les
prescriptions morales du christianisme sur la libre satisfaction du désir.
Interprétation à son tour confirmée par Steve Murphy lorsqu'il découvre (en 2004) que le livret de l'opéra de Scribe utilise l'abréviation
"Christ." pour Christine, artifice typographique qui a bien pu faire rêver
Rimbaud s'il l'a rencontré dans ses lectures, ce qui est fort possible (on
connaît l'intérêt de Verlaine et Rimbaud pour les "refrains niais" de ces "opéras vieux" en 1872).
1° quatrain - Rapide mise en place d'une
situation initiale.
Très classiquement, un cadre
descriptif est fixé : une cour, des saules. L'expression "clair
déluge" désigne peut-être une rivière ardennaise et dans ce cas
on retrouverait un paysage rencontré dans plusieurs poèmes de l'année 72 (Larme, Mémoire, La
Rivière de Cassis). Mais il s'agit peut-être simplement d'une
notation de lumière, et dans ce cas nous pourrions imaginer un décor
urbain comme le suggère l'expression "cour d'honneur". Un orage
s'annonce par l'assombrissement du paysage (v.2) et l'apparition des
premières gouttes (v.4). Le charme particulier de cette "attaque de
texte" vient du ton décontracté et du rythme incisif, obtenus
grâce à l'hendécasyllabe (rythme impair à effet prosaïque), au
langage familier (zut alors!), à la ludique rime intérieure du vers 1
(alors / bords), aux phrases exclamatives (v.1 et 2), aux verbes d'action
(fuis, quitte, jette), à la rapidité avec laquelle cette situation
initiale est mise en place. La présence d'un impératif (fuis) atteste
celle d'un narrateur, qui s'adresse à la rivière pour l'inciter à
détaler devant l'orage : le poète parle aux éléments et tente d'agir sur
eux. Cette voix du narrateur va s'affirmer progressivement jusqu'à l'apparition de la
première personne ("moi") au 4° quatrain et du "Je"
au dernier.
2° et 3° quatrains - La description de l'orage tourne au fantastique.
Ces strophes sont celles où l'orage prend la dimension
d'un
embrasement surnaturel : connotation sanglante de la couleur "rouge" (v.8),
connotation infernale du "soufre" répandu dans
l'"ombre" (v.11), polysémie de l'adjectif
"supérieur" (hauteur physique et puissance surnaturelle) dans l'expression "les
éclairs supérieurs" (v.10). La gradation des vers 7-8 élargit le
paysage : "plaine > déserts , prairie (au sens de "la" Prairie ?) > horizons / Sont à la toilette rouge de l'orage".
L'oxymoron "toilette rouge" allie un substantif à connotation
intimiste à un adjectif suggérant la brutalité de l'orage (rouge). Le poète continue à s'adresser aux
divers composants du paysage, qui évoquent la distribution traditionnelle
du genre pastoral (idylle) : les agneaux, le berger et son chien. Une
même construction syntaxique : apostrophes, suivies du verbe à
l'impératif est répétée trois fois (vers 4-8, 9-10, 11-12). Cette
répétition engendre un rythme oratoire. L'anaphore des impératifs
(fuyez x2; tâchez) dramatise la scène. On trouve dans un poème des Romances
sans paroles de Verlaine, Malines,
un paysage très semblable à celui-ci, évoqué dans des termes quasi
identiques (plaine, horizons, prairie, Sahara) à la différence
que tout y est calme et bucolique. Le narrateur y apostrophe aussi des
troupeaux (qu'il aperçoit depuis la fenêtre d'un train) mais c'est pour
les exhorter à dormir paisiblement. Tout prouve que Rimbaud a emprunté
à Verlaine ce décor trop idyllique pour y exercer son sens de la
parodie, avec la violence et le goût de la subversion qui lui sont
coutumiers.
4° quatrain - Le narrateur fait cause
commune avec l'orage.
Avec l'irruption de
la première personne (Mais moi), cette strophe marque
un nouveau développement de l'hallucination. On retrouve les hyperboles
à tonalité fantastique des quatrains précédents : cieux glacés de rouge, nuages
célestes, cent Solognes. Mais la conjonction "mais" annonce un
élément nouveau : le narrateur, désormais, s'identifie à l'orage. Le ravissement de l'esprit du narrateur est
matérialisé dans un mouvement d'aspiration vers le haut : multiplication
des références au ciel ("cieux", "nuages
célestes"), répétition du verbe "voler" ("voici que
mon Esprit vole" ; "nuages célestes qui courent et
volent"), notations ou connotations de mouvement et d'espace : voler,
courir, fuir ("après les cieux glacés"). L'adjectif numéral cent
("cent Solognes longues comme
un railway") recherche un effet multiplicateur, dans la tradition de
l'exagération épique. Le quatrain se termine de façon brillamment insolite
avec cette image moderne du "railway" (la voie de chemin de fer), aperçue comme en vue
plongeante (depuis les nuages?) au milieu d'un interminable pays plat (la
Sologne est une vaste plaine). A partir de cette strophe 4, il devient
évident que le narrateur fait cause commune avec l'orage. Les
commentateurs évoquent souvent à ce propos, dans René de
Chateaubriand, le célèbre passage qui commence par :
"Levez-vous, orages désirés!".
5° et 6° quatrains - L'image de l'invasion barbare se superpose à
celle de l'orage, la vision tourne à la prophétie apocalyptique ou
révolutionnaire.
Le verbe principal du 5° quatrain est encore un verbe de mouvement :
"emporte". C'est l'idée du vent soufflant en tempête, et
poussant devant lui hommes, bêtes et fragments végétaux. Mais les
hommes sont des barbares ("hordes", "guerriers",
"fière bande"), les animaux sont des "loups" (c'est à
dire des animaux cruels, des prédateurs). Quant aux végétaux, le vent
entraîne aussi bien les "graines sauvages" (c'est surtout l'adjectif
qui fait sens dans cette expression) que les doux "liserons". La
destruction totale s'abat sur "l'Europe ancienne"
("Après (...) partout la lande"). Ou plutôt va s'abattre car il faut remarquer le futur du verbe aller ("où cent
hordes iront"). Cet "orage désiré" représente donc une
sorte d'apocalypse semblable à celle décrite par Saint-Jean (avec ses
quatre cavaliers, exécuteurs de la justice divine). On peut y voir
aussi, avec Yves Reboul (voir rubrique "interprétations") une
allégorie de la révolution future, qui ne manquera pas de se produire grâce à l'action
de ces nouveaux barbares que sont
les travailleurs, les communards (la révolte de la Commune de Paris s'est
produite en 1871, l'année précédant le poème). Et si cette après-midi d'orage est dite
"religieuse" c'est qu'elle prophétise allégoriquement
l'accomplissement d'une mission sacrée, la "toilette
rouge" de la société.
7° quatrain - La vision s'achève et se rompt sur une représentation
sulpicienne de l'amour.
Une nouvelle image
se superpose à celle de la chevauchée barbare.
C'est d'abord un paysage
apaisé : couleurs claires, retour au décor de la pastorale ("le
bois jaune et le val clair"). Ce sont ensuite, disposés au milieu de
ce décor comme les membres de la Sainte Famille sur une image pieuse, la
femme, l'homme et l'enfant. L'Épouse a les yeux bleus, indice dans la
mythologie rimbaldienne, de sa race "gauloise". L'apostrophe
"ô Gaule!" confirme la mobilisation par le poète de cette
mythologie personnelle que nous connaissons bien par la section d'Une
saison en enfer intitulée Mauvais Sang (voir : rubrique
"Interprétations"). L'homme au front rouge est sans doute de
ces guerriers
barbares qui, dans la strophe précédente, apparaissaient "rougis et
leur front aux cieux noirs". L'enfant est "le blanc agneau Pascal" qui
représente le fils de Dieu crucifié dans l'imagerie chrétienne et dont
l'Apocalypse de Saint-Jean célèbre le triomphe. Enfin, au dernier vers,
deux prénoms semblent s'imposer au poète pour désigner cet archétype
du Couple réconcilié, ce sont Michel et Christine, personnages d'un
vaudeville de Scribe. Mais parvenue à son apogée, la vision se détraque
soudain (" − et Christ ! − "), et se dissout ( "− fin de
l'Idylle."). Le voyant semble s'effrayer du cheminement de son
imagination : "un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant
moi" raconte Rimbaud dans Une saison en enfer. Que s'est-il
passé?
Tentons une explication.
L'euphorie
destructrice suscitée par l'orage culmine donc en apothéose sur une
apparition victorieuse de l'Amour. Rien d'étonnant quand on connaît la
place centrale de cette notion dans l'imaginaire rimbaldien (se rappeler l'aphorisme
célèbre d'Une saison en enfer : "L'amour est
à réinventer", ou la définition donnée du génie dans Génie :
" Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison
merveilleuse et imprévue, et l'éternité ...").
Mais on est frappé
par le syncrétisme des symboles utilisés. Références chrétiennes
omniprésentes, bien inattendues dans ce poème où semblaient triompher le paganisme gaulois et la violence
barbare. Symbolisme politique puisé aux théories socialistes utopiques :
ce couple d'après le déluge révolutionnaire n'est-il pas le "couple nouveau", symbole de
l'amour hétérosexuel et de la famille rendus à nouveau possibles par la destruction de
la vieille société, par la destruction de cette civilisation
judéo-chrétienne qui les avaient dégradés ? Qui sait si ne s'y
superpose pas encore un symbolisme plus proprement personnel issu du roman
familial de l'auteur de Mémoire, où l'homme
au front rouge serait le soleil disparu et donc le père absent, l'Épouse
au "regard bleu, qui ment" la mère ( voir Les Poètes
de sept ans), à nouveau réunis autour du
"divin enfant" (l'auteur)?
Or, au dernier vers
du poème, c'est précisément à cause de cette ambiguïté, à cause de
cette insuffisance des symboles qu'elle a cru
pouvoir mobiliser, que la Vision semble se briser. Car dans
"Christine" il y a "Christ", "et la présence de l'éternel
voleur des énergies (Premières Communions) jusque dans le nom même de la femme interdit à
celle-ci de devenir l'Épouse aux yeux bleus" (Reboul
op.cit.p.59). À la faveur d'un jeu de mots, probablement issu d'une
fantaisie typographique comme l'a montré Steve Murphy (voir note
ci-dessus), Rimbaud voit se lever derrière un nom de femme le spectre
du crucifié (de l'Homme crucifié, comme dans le quatrain : L'étoile
a pleuré rose ... ? ). En outre, dans
"Idylle" avec un grand "I" (l'Amour réinventé, la
victoire du Bien sur le Mal, l'Apocalypse, la Révolution), il y a
"idylle" avec un petit "i" : le discours naïf et
mensonger de la pastorale, l'idéologie petite-bourgeoise du vaudeville,
le mariage si détesté par Rimbaud ("Quel ennui, l'heure du
"cher corps" et "cher cœur"" − Enfance
−. Quelle
"épouvante", même ! ) Ce n'est pas par hasard que Rimbaud utilise à
la fin du poème pour désigner le rêve utopique qui l'anime le mot
même (Idylle) qui a été la cible de la raillerie au début du texte : les rouges
guerriers de l'Idylle avec un grand "I" ne sont finalement
qu'une réplique des "blonds soldats de l'idylle" avec un petit
"i". Intuition soudaine, suggérée en quelques mots rageurs : le
narrateur semble prendre conscience que le langage (et aussi sa "sale
éducation d'enfance", c'est à dire son éducation chrétienne −
voir : Une saison en enfer, L'Éclair)
ne met à sa disposition pour dire le Nouveau que des concepts
plombés par leur appartenance au vieux monde, des concepts réversibles
qui disent l'aliénation au Passé quand il voudrait exprimer la marche vers
l'Avenir. Il ne sait décrire "l'Amour réinventé" que dans le discours
amoureux de l'églogue, figurer le Bonheur que sous les traits sulpiciens
de la Sainte Famille. Il ne sait proclamer sa foi dans l'Utopie socialiste
qu'avec les mots du messianisme chrétien. Et même, pourrions-nous
ajouter, il ne sait désigner la révolution qu'avec les mots de la
contre-révolution : "hordes", "bandes", "barbares" (voir rubrique
"Interprétations"). C'est pourquoi s'insinuent progressivement
dans son esprit d'abord le doute (noter la tournure interrogative :
"Et verrai-je?"), puis la certitude de l'échec : "Fin de
l'Idylle".
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Bibliographie |
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"À
propos de Michel et Christine", par
René Étiemble et Yassu
Gauclère, dans les Cahiers du Sud, pages 927-931,
décembre 1936. Repris dans Hygiène des lettres, t.
IV, Poètes ou faiseurs ?, Gallimard 1966.
|
"La Fin de l'idylle", par Pierre Brunel, dans Revue
d'histoire littéraire de la France, pages 200-212, mars-avril
1987 n°2. |
"Lecture de
Michel et Christine", par Yves Reboul, dans Parade
Sauvage, Colloque n°2, Rimbaud "à la loupe", pages
52-59, 1990. |
"Michel et Christine", par Bernard Meyer, dans Rimbaud
vivant, n°38, pages 4-32, juillet 1999.
|
"Détours et détournements :
Rimbaud et le parodique", par Steve Murphy, dans
Parade sauvage, Colloque N°4, 13-15 septembre 2002,
pages 77-126, 2004. Les pages 98-101 analysent le
rapport de Michel et Christine avec Malines,
poème des Romances sans paroles de Verlaine.
|
"Michel, Christine et Christ :
vers les origines d'un calembour", par Steve Murphy, dans Parade
sauvage n° 20, p. 250-251, décembre 2004.
|
"Michel et Christine,
Paix et Guerre", par Steve Murphy, Rimbaud, l'invisible et
l'inouï, CNED-PUF, 2009, p.176-180. |
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