V
-
Conclusions
|
|
|
"Les calculs de côté,
l'inévitable descente du ciel, la visite des souvenirs et la séance
des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit
[...]. Reprenons l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui se
rassemble et remonte dans les masses." (Jeunesse I)
|
"[...] tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités
harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège[...].
Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion
créatrice [...]." (Jeunesse IV) |
|
|
|
|
"Reprenons l'étude". "Tu
te mettras à ce travail". Par deux fois, dans Jeunesse I et
IV, Rimbaud s'adresse impérieusement à lui-même. Il s'exhorte à
répondre à l'appel de "l'œuvre dévorante", aux incitations
de sa propre "impulsion
créatrice". De quel "travail" s'agit-il ? Du projet en cours de
réalisation, des
Illuminations elles-mêmes ? D'un projet nouveau ? De "l'œuvre" à
venir dans un sens plus général et indéterminé ? Les
caractéristiques énumérées, en tout cas, correspondent assez bien à
celles que nous avons relevées en tentant de reconstituer le
processus de transcription des Illuminations : une ambition
"architecturale" ("toutes les possibilités harmoniques et
architecturales"), le rôle de la "mémoire" ("la visite des souvenirs"),
un souci de composition et de signification. Mais, de l'observation des manuscrits, on peut aussi
retirer l'impression d'un projet avorté ou, pour le moins, d'un
"travail" inachevé. Dans quelle mesure Rimbaud a-t-il réussi à faire
des Illuminations un véritable recueil de poèmes en prose, cohérent et
construit ? Le débat critique tourne souvent autour de cette
question. |
[1] Dans Rimbaud vivant
n°58, 2019, Jacques Bienvenu propose la période plus tardive de janvier-février
1875, pendant laquelle Germain Nouveau aurait séjourné
quelque temps à Charleville, avant le départ des deux amis
pour Bruxelles et pour Stuttgart, respectivement. Voir aussi les
notes de l'auteur sur son blog Rimbaud ivre en date du
17 juin et du
5 juillet 2019. |
Un projet inabouti de transcription calligraphiée (voir
tableau récapitulatif ci-après)
L'observation détaillée permet de distinguer nettement deux groupes
de manuscrits :
1) Les manuscrits ayant servi aux n°5-6 de La Vogue,
qui ont été pour la plupart très soigneusement calligraphiés sur un
papier à lettre de qualité supérieure. L'homogénéité de cette
vingtaine de feuillets fait penser qu'ils sont le produit d'une
"campagne" de transcription accélérée, réalisée dans une brève
période de temps, en suivant un même système de copie enchaînée des
poèmes (au sein d'un même feuillet ou par chevauchement d'un
feuillet sur l'autre) que l'on ne retrouve pas dans l'autre groupe
de transcriptions. Quelques feuillets atypiques, de caractéristiques
comparables à celles des manuscrits du second groupe, ont malgré
tout été insérés, après coup bien probablement, au sein de cette
première volée de transcriptions (les f° 1, 12, 18, 22).
2) Les huit manuscrits ayant servi aux n°8-9 de La
Vogue et les cinq qui auraient dû paraître dans le(s) numéro(s)
suivant(s) mais qui ne seront publiés qu'en 1895 dans les Poésies
complètes des Éditions Vanier. Leur papier est d'une qualité
plus médiocre et d'une taille différente. Ils sont généralement
moins soigneusement calligraphiés et beaucoup d'entre eux relèvent
d'un style graphique dit "sinistrogyre" que les experts datent d'une
époque antérieure à celle des copies du premier groupe.
Ce bilan permet d'imaginer le scénario
suivant. À une date que nous ne connaissons pas avec précision mais
que la présence de l'écriture de Germain Nouveau nous incite à
situer au printemps 1874 [1], Rimbaud a entrepris de réaliser
une copie impeccablement calligraphiée de ses poèmes en prose.
Peut-être avait-il entrevu la possibilité d'une publication rapide
et l'on sait en tout cas par le journal intime tenu à Londres par sa
sœur Vitalie, par la lettre de Rimbaud à Jules Andrieu du 16 avril
1874, par les petites annonces retrouvées dans la presse
londonnienne, que c'est une période où le jeune poète est à l'affût
de toutes les possibilités de gagner quelque argent.
Mais, pour une raison que nous ignorons aussi, ce
travail s'est interrompu.
Lorsque Verlaine rend visite à Rimbaud à Stuttgart à la fin de
février 1875, on sait que l'auteur des Illuminations lui
remit ses poèmes en prose avec mission de les envoyer à Nouveau,
alors à Bruxelles, "pour être imprimés". S'était-il tourné vers
d'autres activités qui le poussaient à abandonner ce projet en
l'état ? A-t-il estimé qu'il fallait profiter tout de suite de la
présence de Nouveau à Bruxelles pour tenter une publication ?
Toujours est-il que le dossier des Illuminations fut remis à
Verlaine dans l'état d'inachèvement où nous le connaissons, avec des
poèmes copiés sur des bouts de papier et quelques copies raturées ou
attestant d'un travail sur le texte encore en cours. Un manuscrit
incomplètement paginé, et peut-être même pas entièrement classé.
Mais ce dernier point serait fort étonnant. En effet,
le classement des textes réalisé par les préparateurs de l'édition
en périodique ne manque pas de logique. Avoir réservé pour clôturer
le recueil une série comme Jeunesse I-II-III-IV, qui
permettait de
fermer la boucle autobiographique ouverte avec Enfance
I-II-III-IV-V, était une idée suggestive qui n'a peut-être pas germé
toute seule dans l'esprit de Kahn et de ses amis. En tout cas, ce
n'est sûrement pas Fénéon qui en aura accouché si on en juge par ce que
deviendront les Illuminations sous son magistère dans la
plaquette d'octobre 1886.
|
LES ILLUMINATIONS MANUSCRITES / TABLEAU RÉCAPITULATIF
Les
lignes grisées correspondent aux manuscrits atypiques
par leur format (et souvent aussi selon d'autres
paramètres)
|
1ère PUBLICATION |
MANUSCRITS |
PAPIER |
ÉCRITURE |
|
N ° f ° |
Poèmes |
Qualité |
Format |
|
|
La Vogue n°5
13 mai 1886
|
1 |
Après le Déluge |
vergé blanc |
11x11,5 |
sinistrogyre |
2 |
Enfance I-II |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
3 |
Enfance II-III |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
4 |
Enfance IV-V |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
5 |
Enfance V - Conte |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
6 |
Parade |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
7 |
Antique - Being Beauteous
- O la face cendrée |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
8 |
Vies I - II |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
9 |
Vies III -Départ - Royauté |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
10 |
À une Raison - Matinée
d'ivresse |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
11 |
Matinée d'ivresse -
Phrases (Quand le monde sera) |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
12 |
Phrases (Une matinée
couverte) |
vergé blanc |
13x12 |
dextrogyre |
13 |
Ouvriers |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
14 |
Ouvriers - Ville -
Ornières |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
La Vogue n°6
29 mai 1886 |
15 |
Villes (Ce sont...) |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
16 |
Villes (Ce sont...)
vagabonds - Villes (L'acropole...) |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
17 |
Villes (L'acropole...) |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
18 |
Veillées I-II |
non-vergé blanc |
10x15 |
dextrogyre |
19 |
Veillées III - Mystique -
Aube |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
20 |
Aube - Fleurs |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
21-22 |
recto / Nocturne vulgaire
verso / Marine - Fête d'hiver |
vergé blanc |
9,5x16 |
recto / dextrogyre
verso / sinistrogyre |
23 |
Angoisse - Métropolitain |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
24 |
Métropolitain - Barbare |
vergé blanc |
13x20 |
dextrogyre |
La Vogue n°8
13 juin 1886 |
|
Promontoire |
non-vergé blanc |
15x15 |
sinistrogyre |
|
Scènes |
non-vergé blanc |
15x20 |
sinistrogyre |
|
Soir historique |
non-vergé blanc |
15x20 |
dextrogyre |
La Vogue n°9
21 juin
1886 |
|
Mouvement |
? |
? |
sinistrogyre |
|
Bottom - H |
? |
? |
sinistrogyre - dextrogyre |
? |
Dévotion |
? |
? |
? |
? |
Démocratie |
? |
? |
? |
A.R., Poésies
complètes,
Vanier,
novembre 1895 |
I |
Fairy |
non-vergé blanc |
15x10 |
sinistrogyre |
II |
Guerre |
non-vergé blanc |
15x5 |
dextrogyre |
III |
Génie |
vergé bleu |
13x20+11,5 |
dextrogyre |
IV |
Jeunesse I |
vergé bleu |
13x9,5 |
sinistrogyre |
|
Jeunesse II-III-IV |
non-vergé blanc |
15x20 |
sinistrogyre - dextrogyre |
V |
Solde |
non-vergé blanc |
15x20 |
dextrogyre |
retour haut de page |
[2] André Guyaux,
Poétique du fragment. Essai sur les Illuminations de Rimbaud,
À la Baconnière, 1985.
[3] Steve Murphy, "Chantier
d'une révolution poétique : les manuscrits rimbaldiens de la
collecton Berès", Histoires littéraires n°27,
juillet-septembre 2006, p.38-60. |
Un manuscrit ou des
manuscrits ?
Dans Poétique du
fragment, André Guyaux reproche à son
prédécesseur Bouillane de Lacoste de parler, au singulier,
du manuscrit des Illuminations :
"Durant tout le développement
de sa thèse, Bouillane de Lacoste fait le pari inverse : celui
de l'unité des Illuminations. Ainsi parle-t-il de manière
systématique du manuscrit des Illuminations comme
s'il s'agissait d'un cahier couvert de la même écriture." [2]
Peut-on considérer comme un
recueil, au sens d'un ensemble construit, possédant une certaine
unité de composition et de sens, une liasse de
textes que leur premier éditeur (supposé), Félix Fénéon, a décrit
comme des "chiffons volants", sans "ordre logique" ni numérotation ?
Il n'y aurait donc pas un mais des manuscrits.
J'ai, je crois, dans ce qui précède,
suffisamment indiqué la diversité des manuscrits des
Illuminations. J'ai mentionné l'état
d'inachèvement et de relatif désordre dans lequel Rimbaud a laissé
le dernier tiers de son recueil. Passée la première campagne de
calligraphie dont le volume
NAF14123
conserve la mémoire,
Rimbaud semble avoir hésité sur l'agencement de ses textes,
abandonné (au moins provisoirement) la méthode consistant à les transcrire à la
queue leu leu. Sans qu'on en sache la raison, il a échoué dans ce
qui fut à l'évidence, un moment, son ambition : mettre au net un
manuscrit impeccable, prêt à être remis à l'éditeur le plus
exigeant.
Steve Murphy lui-même, bien qu'il soit convaincu du caractère "auctorial"
de la pagination des vingt-trois premiers manuscrits et défende
ardemment l'unité des Illuminations, admet que
les gens de La Vogue, passés les numéros 5 et 6 où ils
respectent scrupuleusement l'ordre de succession impliqué par le
manuscrit, semblent "improviser" dans l'agencement des
textes. C'est à ce moment-là, à partir du n°8, qu'ils commencent à mélanger proses et vers, et le
mode de classement
utilisé pour les poèmes en prose peut très bien être différent de celui
voulu par l'auteur. À partir du moment où les manuscrits n'étaient
plus numérotés, ils ont dû s'estimer en droit de disposer les poèmes restants dans un ordre différent
de celui qu'ils présentaient dans la liasse d'inédits parvenue
jusqu'à eux, "lequel pouvait ne représenter que le
désordre dans lequel les lectures de Verlaine, Nouveau et Sivry
avaient laissé les manuscrits" [3].
Faut-il pour autant nier toute unité, tout principe de composition, dans le
recueil des Illuminations et, pour cette raison, interdire
toute mention au singulier de son manuscrit ? André Guyaux
n'est pas loin d'aller jusque là quand il écrit, en 1985 :
La formule « le manuscrit des Illuminations », qu'il
faudrait éviter, se retrouve un peu partout dans la critique,
même dans la critique récente. On a le plus grand mal à s'en
défaire. [...] qui songerait à parler du manuscrit des
poèmes en vers de Rimbaud ?" (ibid.)
C'est qu'en effet, les poèmes en
vers de Rimbaud, dans leur globalité, ne constituent pas un ensemble
organisé. Or, comme André Guyaux
lui-même le montre de façon répétée dans Poétique du fragment, le
manuscrit des llluminations, au contraire, fourmille des
indices d'une
volonté d'organisation. Même si Rimbaud ne mène pas l'entreprise
jusqu'au bout, ce dont on peut convenir, c'est bien la construction
d'un recueil qu'il a en tête. L'unité de l'œuvre, pour être
incomplète, n'en est pas moins profonde. C'est évident sur le plan
thématique (un critère que Guyaux considère comme trop
subjectif et non philologique pour être pris en considération).
C'est évident, d'un point de vue philologique, lorsqu'on observe les
constructions de séries, les phénomènes d'enchaînement sur un même
feuillet, de chevauchement d'un feuillet à l'autre, dont regorgent
les manuscrits. C'est évident, enfin, lorsqu'on admet que la
pagination des deux premiers tiers du recueil est de la main de Rimbaud.
Naturellement, il reste permis de douter du caractère auctorial de
cette pagination, mais, personnellement, depuis l'article de
Murphy dans le n°1 d'Histoires littéraires, la chose me
semble prouvée.
|
|
Une pagination probablement auctoriale
Pour démontrer que la numérotation
des 23 premiers feuillets des Illuminations ne peut
émaner que de Rimbaud,
Steve Murphy
s'appuie notamment sur
les particularités du
feuillet 12 et du
feuillet 18. D'abord, ils sont d'une taille réduite par rapport
aux autres pages numérotées. Autre particularité commune, les
nombres 12 et 18 sont inscrits sur leurs feuillets respectifs d'une
façon qui contraste avec le style graphique uniformément utilisé
pour numéroter tous les autres. Ces paginations atypiques pourraient
avoir été inscrites par Fénéon ou autres préparateurs de La Vogue.
Mais Murphy récuse cette éventualité par le raisonnement suivant :
1) Il existe une pagination au crayon, de 1 à 24, pour les poèmes qui ont été publiés dans les n°5-6 de
La Vogue.
2) Cette pagination au crayon souffre deux exceptions : le
feuillet 12 et le
feuillet 18, dont les numéros ont été portés directement à
l'encre, dans un style graphique nettement différent de celui des
autres feuillets. Les chiffres au crayon 1-9 ont été repassés à l'encre, probablement
par les préparateurs de La Vogue pour valider une
liste de titres à insérer dans le n°5 ; il semble que Murphy se soit
trompé sur ce point comme l'a montré Jacques Bienvenu
(blog
Rimbaud ivre, page du
6 mars 2012)
mais cela ne remet pas en cause sa démonstration générale.
3) La cause des exceptions constituées par le
feuillet 12 et le
feuillet 18 est claire : on a voulu construire
des séries (Phrases, Veillées) qui n'avaient pas
été prévues dans un premier temps. Cette opération s'est donc à
l'évidence déroulée après la pagination au crayon. Il y a
eu forcément auparavant un autre f°12 et un autre
f°18 paginés au crayon qui se sont vus substituer les feuillets que nous connaissons.
4) La différence constatée dans le graphisme vient de ce que la
personne qui a effectué l'opération, qu'elle soit la même ou une
autre que celle qui a effectué la pagination au crayon, ne s'est
pas souciée d'imiter le style de numérotation précédemment
utilisé pour le reste des feuillets.
5) L'opération substitution a pu être entreprise soit par Rimbaud,
soit par La Vogue. Si elle a été faite par Rimbaud, la
pagination au crayon étant, comme on l'a vu, forcément
antérieure à ce geste, cette pagination est de Rimbaud. La
question est résolue et on n'en parle plus. Si elle a été faite
par La Vogue, le doute reste entier.
6) Toute la question revient donc à savoir s'il est possible que la
décision de constituer une série comme Veillées I-II-III
ait été prise par Fénéon ou par l'équipe de La Vogue.
Murphy tente par conséquent d'imaginer, pour mieux pouvoir le
réfuter, un
scénario justifiant la thèse contraire à la sienne, c'est-à-dire la
possible attribution de la pagination aux gens de La Vogue. Une hypothèse envisageable serait que Fénéon, ou tout autre
membre de La Vogue, après avoir paginé les vingt-trois feuillets destinés aux numéros 5 et 6 de
la revue, se soit avisé que la pièce portant l'inscription "Veillée III"
exigeait devant elle le feuillet intitulé "Veillées"
contenant deux pièces numérotées "I" et "II", puis ait corrigé son
erreur. Mais un tel scénario paraît à Murphy fortement
invraisemblable. Si l'on peut à la rigueur imaginer, dit-il, qu'un
éditeur (Fénéon, Kahn, d'Orfer
ou autres) ait glissé tardivement, une fois sa numérotation
effectuée, l'actuel
feuillet 12 à la suite du
feuillet 11 portant le
titre Phrases, en raison de la ressemblance structurelle entre les textes brefs
contenus des deux feuillets, il est impossible que ce même éditeur n'ait pas vu dès le
départ
que les trois "Veillées" constituaient une série et
qu'il ait été
contraint à remplacer après coup son ancien feuillet 18 par le
manuscrit des Veillées I et II. Il est donc plus que probable
que c'est Rimbaud lui-même qui a opéré la
solution de continuité que nous observons dans la numérotation
uniforme du manuscrit, qui a inscrit les nombres 12 et 18 tels que
nous les voyons, à l'encre pour bien manifester sa décision
définitive de les placer là, ce qui tend à démontrer que cette
numérotation uniforme, par définition antérieure à l'opération
substitution, est due aussi à Rimbaud.
Le premier éditeur des Illuminations, qu'il soit Fénéon ou un
autre, s'est donc contenté de suivre l'ordre conféré par Rimbaud
lui-même aux deux premiers tiers du recueil.
Conscient de ce qu'il faut, pour réfuter sérieusement Steve
Murphy, proposer un scénario alternatif à celui qui attribue
fatalement à Rimbaud la pagination du manuscrit, Jacques Bienvenu a
imaginé la solution suivante :
"Pour
ma part, je pense que le regroupement des deux Veillées
de la page 18 avec Veillée de la page 19 a été fait
par Fénéon qui a pu rajouter à l’encre le chiffre romain III
(voir notre illustration qui montre que deux autres III
écrits par Rimbaud sur d’autres feuillets sont plus espacés)
et qui a pu barrer à l’encre le mot Veillée. Fénéon
n’avait-il pas dit qu’il avait tenté de donner un ordre
logique aux feuillets ? Rimbaud d’ailleurs n’a pas cru bon
de regrouper les deux poèmes Villes du même nom avec
celui de Ville au singulier" (blog
Rimbaud ivre, page du
6 mars 2012).
En somme, comme il l'a fait avec ses poèmes intitulés
Ville et Villes, Rimbaud aurait pu laisser
coexister parmi ses manuscrits parvenus à La Vogue au
printemps 1886 deux feuillets portant respectivement les titres
Veillée et Veillées. Devant quoi Fénéon (ou les
autres
préparateurs de L.V.) auraient décidé de
regrouper les poèmes,
barrant eux-mêmes le titre singulier et inscrivant le III en chiffres
romains.
Cet autre scénario, à mon humble avis, n'est pas plus
vraisemblable que le précédent.
Un première remarque : le dénommé "feuillet 18" n'est
pas, en réalité, un feuillet comme les autres. Si le scénario
suggéré par Bienvenu était exact, la série Veillées I-II
se serait probablement présentée sur une feuille de 20x13 sur
papier vergé (comme la plupart des vingt-trois premiers
feuillets des Illuminations) ou de 20x15 sur papier
non-vergé (comme la plupart des feuillets non numérotés des
Illuminations). Mais tel n'est pas le cas. André Guyaux a montré que ce
bout de papier (comme il vaudrait mieux l'appeler) a été obtenu par sectionnement
d'un feuillet préexistant, qui porte le poème Fairy (cf.
mon
montage sur ces sectionnements). Calligraphié dans une
écriture ronde de type sinistrogyre, Fairy relève d'un type d'écriture antérieur à
l'écriture de type dextrogyre que l'on observe dans Veillées I-II. Rimbaud a donc
sectionné ce feuillet normal préexistant et copié les deux premiers poèmes
de Veillées en basculant la demi-feuille obtenue. Cela semble
prouver que Rimbaud a conçu dès le départ cette copie non comme un
feuillet à l'égal des autres mais comme un encart, une "paperolle"
à la Proust comme il y en a quelques autres parmi les derniers
feuillets (Guerre, Jeunesse I), à situer à un endroit
précis de son manuscrit. Il me paraît donc invraisemblable
que Fénéon ou autres gens de La Vogue aient pu rencontrer un
feuillet 19 comportant un Veillée non barré. Rimbaud a
certainement tracé lui-même le III en chiffres romains et barré le
titre au singulier devenu caduc dès lors qu'il avait prévu de le
faire précéder de l'encart préparé dans ce but, portant un début de
série intitulé Veillées I-II.
Deuxième remarque. Il est vrai que Rimbaud a laissé subsister dans
son manuscrit un poème intitulé
Ville et deux autres intitulés Villes. Mais d'une part,
Ville désigne une ville réelle et bien identifiée. C'est
Londres. Tandis que les Villes sont toutes deux à leur
manière des fictions de villes, des villes d'utopie et de contre-utopie respectivement. La séparation entre Ville d'un
côté, et les deux Villes de l'autre est donc thématiquement
justifiée. D'autre part, on sait que Rimbaud voulait présenter les
deux Villes comme une série numérotée I-II, sous un titre unique, et
que seule une
erreur intervenue pendant le processus de transcription l'en a
empêché, sauf à devoir recopier des pages entières. Il n'y a eu dans
cette circonstance de sa part ni propos délibéré, ni aucune sorte d'oubli
ou de négligence, comme ce serait
le cas s'il avait laissé disjoints dans son manuscrit,
volontairement ou par distraction, un Veillée
au singulier et un Veillées au pluriel.
Troisième remarque.
Le ou les concepteurs de la publication des Illuminations
dans le périodique La Vogue ont systématiquement suivi
l'ordre impliqué par les enchaînements et chevauchements de textes
pratiqués par Rimbaud. On peut dire qu'ils se sont montrés,
de façon générale, assez respectueux du manuscrit de
Rimbaud. Capables certes, par négligence, d'oublier deux titres de
poèmes. Mais de là à biffer de leur propre initiative un titre
inscrit de sa belle plume par l'auteur ! Est-il
vraisemblable que cette équipe de La Vogue se soit engagée dans la confection d'une série
numérotée (comme ce Veillées I-II-III) qui n'aurait pas été
explicitement indiquée par le manuscrit ?
En conclusion : La genèse de Veillées I-II-III
imaginée par Bienvenu ne peut certes pas être catégoriquement
rejetée. Elle est du domaine du possible. Mais elle est fortement
invraisemblable. Par ailleurs, comme je l'ai montré dans ma
FAQ des
Illuminations question 5, les objections graphologiques
de Bienvenu concernant le dessin des chiffres 2 et 8, sur les
feuillets 12 et 18, n'ont
aucune consistance.
|
[4]
cf. Rimbaud, O.C. IV, Fac-similés, Champion, 2002, p.618-620.
|
Dans
quel ordre ranger les textes quand on édite les Illuminations
? Le
manuscrit des Illuminations, dans les conditions historiques
qui ont présidé à sa transmission d'abord, à son édition ensuite, a
été malmené de toutes les façons. Dès octobre 1886, Fénéon se permet
d'éditer le recueil en plaquette en ne respectant rien
de l'agencement du manuscrit. Il l'avait pourtant
scrupuleusement suivi dans le périodique, quelques mois plus tôt,
pour ce qui est de la partie "enchaînée" de la transcription (car
c'est lui-même, selon ses dires, qui a supervisé la pré-originale de
mai-juin 1886).
Berrichon, qui régente l'édition de Rimbaud dans
la première moitié du XXe siècle, classe les poèmes au
petit bonheur, ou selon ses hypothèses plus que fragiles concernant
leur chronologie de rédaction. En 1945, le volume des éditions de
Cluny, dû à Y.-G. Le Dantec (éditeur verlainien et baudelairien de
la première moitié du XXe siècle), classe encore les Illuminations
dans le même ordre que la plaquette de Fénéon. La même année, le
Mercure de France reproduit purement et simplement l'édition
Berrichon de 1912 ! Leur excuse, bien sûr, c'est qu'aucun de ces
éditeurs n'a eu accès à la partie numérotée du manuscrit,
alors en possession de Lucien Graux.
Ce n'est qu'après la deuxième guerre mondiale, les manuscrits ayant enfin pu être
consultés, que les éditeurs reviennent au modèle plus
"philologique" constitué par l'édition du printemps 1886 (celle du
"périodique") en ce qui concerne la partie paginée du recueil. Ceux de la première Pléiade
(1946), Rolland de Renéville et Jules
Mouquet, reprennent purement et simplement l'ordre de publication
du périodique La Vogue, suivi des cinq poèmes de Vanier 1895,
dans l'ordre de Vanier. Mais Bouillane de Lacoste, procédant de manière
identique en ce qui concerne les premiers textes, d'Après le
Déluge à Barbare, préconise pour les manuscrits non
paginés un agencement différent, que son prestige tendra à imposer
jusqu'à la fin du XXe siècle (exception faite de Guyaux
en 1985, comme on le verra plus loin). Bouillane de Lacoste place en premier lieu les textes
qu'il a pu réviser (les manuscrits de
NAF 14124), probablement parce qu'ils ont appartenu au même Lucien Graux
que les manuscrits paginés. Puis Promontoire,
qui est à Charleville et qu'il connaît
bien aussi. Puis les textes
peu ou pas accessibles de la collection Pierre Berès. Enfin les deux
textes dont le manuscrit a disparu. Le critère, comme on le voit,
est assez arbitraire. C'est la raison pour laquelle les plus
récents éditeurs trouvent préférable de revenir à l'agencement de
la première Pléiade, c'est-à-dire à celui des toutes premières
éditions (plaquette de 1886 mise à part). On a plus de chance, dit
Murphy, de retrouver ainsi un ordre ayant quelque chose à voir avec
les intentions de Rimbaud.
Il règne en effet, désormais, parmi les spécialistes, une parfaite
harmonie. La dernière Pléiade (2009-2015), confiée aux soins d'André
Guyaux, présente le même agencement que celui préconisé par Steve
Murphy en 2002 [4]. Notre question (je veux dire : la
question de notre titre), question qui a si longtemps divisé
les rimbaldiens, semble réglée. Tant mieux. Comme dit Rimbaud :
"Cela s'est passé. [Nous savons] aujourd'hui saluer la beauté."
|
[5] Guyaux disposait en tête de
son édition ce que Rimbaud a plus ou moins classé, par ordre
décroissant : 1°/ les
« poèmes groupés », les suites
numérotées, 2°/ les « poèmes consécutifs sur plusieurs feuillets »,
3°/ les « poèmes consécutifs sur un seul feuillet ». À la suite de
quoi il reléguait, en fin de recueil, les « poèmes isolés sur un
seul feuillet ». J'ai exposé brièvement dans mon
Tableau historique de l'édition rimbaldienne, à la date de 1985,
certaines des
critiques faites à cette audacieuse
entreprise.
[6] Cf. Tzvetan Todorov, "Les Illuminations", in La
notion de littérature, Points Seuil, 1987, p.138-139 : "[...] la
lecture évhémériste traverse instantanément le texte à la recherche
d'indices sur un monde réel. Aussi étonnant que ce soit, le texte de
Rimbaud, qui paraît pourtant si peu référentiel dans son intention
même, a le plus souvent été lu comme une source d'information sur la
vie du poète. La chose est d'autant plus risquée que cette vie reste
par ailleurs mal connue, et que les textes poétiques sont souvent
l'unique source dont on dispose : la biographie est construite à
partir de l'œuvre, et pourtant on donne l'impression d'expliquer
l'œuvre par la vie !"
[7] J'ai développé plus systématiquement cette idée dans ma
page "La FAQ des
Illuminations". Question 6 : "Les Illuminations
ont-elles une idée principale ?" |
"La base du recueil"
"Les feuillets 2, 3, 4 et
5 (Enfance)
et les feuillets 8, 9 (Vies-Départ)
sont la base du recueil", écrit André Guyaux dans Poétique du
fragment (p.79). La formule séduit. Car enfin, si le "recueil" a une "base",
c'est tout de même que cette somme de "fragments" que sont les
Illuminations possède une unité. "Entre
Enfance et
Vies, lit-on quelques lignes plus loin, la
continuité thématique est envisageable, mais plus apparente dans les
titres qu'à la lecture des textes.
Départ prolonge alors la ligne conduisant d'Enfance
à
Vies. Trois étapes d'une chronologie autobiographique." Et,
un peu plus loin encore : "une autre suite de textes, la plus
longue après celle d'Enfance,
aurait pu s'agréger à ce premier ensemble : les quatre textes réunis
sous le titre
Jeunesse." (ibid. p.82).
Un "fait de graphie",
explique l'auteur, est significatif :
le titre Jeunesse a été ajouté en haut des textes qu'il
rassemble de la même écriture et de la même encre que celle d'Enfance
et
de
Vies. Ce sont par conséquent "douze fragments" qui, reliés
entre eux par le jeu de leurs titres, auraient pu orienter la
lecture des Illuminations dans une perspective
autobiographique. Mais
quel dommage, alors, semble penser Guyaux (il emploie quelque part
le terme "déceptif" pour résumer l'impression négative
qu'exerce sur lui le désordre du manuscrit), quel dommage que Rimbaud ait disjoint ces poèmes en détachant
de
Vies, par l'adjonction du titre
Départ, un fragment qui lui était d'abord attaché,
en introduisant
Conte entre
Enfance et
Vies,
en copiant
Royauté sur la même feuille que
Départ, en interposant, enfin, tout le recueil entre ces textes
liminaires et
la série quasi finale de
Jeunesse.
Quel est donc le problème ? Cette pente naturelle du génie de
Rimbaud qui le pousse à la fragmentation, au décousu, à la dispersion,
aurait-elle rendue impraticable une
lecture autobiographique cohérente ? Guyaux ne dit pas tout à
fait cela, mais c'est tout comme. Et c'est pourquoi il en vient à
proposer dans son édition critique de 1985 une réorganisation de
fond en comble de l'agencement du recueil [5]. Le problème, pour lui, c'est l'hétérogénéité du manuscrit :
Conte ou
Royauté n'ont pas la même graphie que les textes en grande
écriture dextrogyre, ils ont été ajoutés après coup et écrits
tout petit. Ce commentaire à propos de Jeunesse (ibid.
p.88-89) résume tout à fait la démarche suivie par Guyaux dans
Poétique du fragment :
"Si l'on compare Jeunesse
à
Enfance et
Vies, c'est cela qui apparaît immédiatement :
l'uniformité de l'écriture, de la copie, du papier, disparaît.
Les textes sont groupés, certes, et numérotés. Et dans les
éditions, la différence ne se voit pas. Mais quand on regarde
les manuscrits, l'effet de dispersion subsiste, par la séparation en deux feuillets et les divergences d'écriture".
"Dans les éditions, la
différence ne se voit
pas", en effet. Et c'est cela qui compte. Rimbaud savait que
ses lecteurs, s'il en avait un jour, ne le liraient pas dans
ses manuscrits. Peu lui importait, de ce point de vue, que le premier poème
de Jeunesse soit sur papier bleu et les autres sur papier
blanc-beige !
Il ne s'agit pas de dire que l'analyse à la loupe des
manuscrits dans leur diversité n'a aucun intérêt. Tout ce présent
travail indique le contraire. Mais la conclusion essentielle de
notre
observation, en fin de compte, c'est que les effets d'enchaînement
de tous ordres impliqués par le mode de transcription, quelles que
soient par ailleurs les variations de la graphie, la nature, la
couleur, la taille et la découpe des supports, révèlent chez Rimbaud le
souci constant de faire signe vers une
lecture autobiographique.
Il vaudrait mieux dire, d'ailleurs, automythographique. Car Rimbaud
ne raconte que fort rarement des épisodes de sa vie. L'enfance, l'adolescence, la jeunesse, sont moins abordés sous
l'angle du témoignage intime que de la réflexion psychologique,
voire philosophique. Tout est transposé selon le code du mythe
personnel et à sa mesure, souvent démesurée. Des proclamations comme
: "je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui
m'ont précédé" (Vies I), "je suis réellement d'outre-tombe" (Vies
III), "Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la
haute mer, le petit valet, suivant l'allée dont le front touche le
ciel." (Enfance IV),
etc., ne prétendent pas à la confidence, à la narration du réel
vécu. Leurs exagérations héroïques ou mélodramatiques sont
conçues pour renvoyer de leur auteur une image fantasmée ... mais qui lui
ressemble tout de même un peu. Rimbaud n'espère pas nous faire
croire qu'il a "rencontré toutes les femmes des anciens peintres" (Vies III).
Mais, quand, dans
Enfance I ou Dévotion,
il dresse la liste romanesque de multiples figures féminines, c'est
bien des héroïnes de sa propre "enfance" qu'il se souvient,
vraisemblablement (de sa fascination déçue pour ses "petites
amoureuses" et autres "sœurs de charité"). Car, chez Rimbaud, le mythe et la vie renvoient l'un à
l'autre. De même que le "Génie" de Conte ne fait qu'un,
finalement, avec le "Prince", de même "le grand criminel" de la
lettre à Demeny, "le maudit" de L'homme juste, le "saint, en
prière sur la terrasse" et "le savant au fauteuil sombre" de Vies
IV, n'ont été inventés que pour nous parler de leur
inventeur. Il faut voir là son double jeu (et son double "je") de poète lyrique anti-lyrique.
Il affirme (dans la lettre "du voyant") et confirme (par ses textes)
que le "je" qui émerge dans le poème "est un autre". Mais, en même
temps, il table sur l'effet de réalité produit par l'écriture à la
première personne pour nous convaincre que c'est bien de lui,
Rimbaud, Arthur, qu'en définitive il s'agit. Ce que, malgré
l'opacité voulue du texte, le travail interprétatif parvient bien
souvent à vérifier.
Quel que soit, donc, "l'effet de dispersion" émanant du
manuscrit, c'est cette poétique automythographique (ou, si l'on veut, autofictionnelle) qui
ressort des Illuminations et en garantit l'unité. Comme le dit
fort bien Guyaux dans sa récente Pléiade
(p.916) :
"Dans la composition du
recueil et la disposition des poèmes, une unité apparaît entre
la séquence Enfance - Conte d'une part, Vies (avec
Départ) - Royauté de l'autre : les deux apologues
viennent compléter le bas des feuillets et forment un
contrepoint aux deux suites autobiographiques. D'où la tentation
de donner à Conte et et à Royauté un sens
autobiographique."
Cette "tentation"
d'interprétation, pour rendre justice à Rimbaud, et au risque
d'encourir les reproches de biographisme ou d'évhémérisme [6], nous devons
l'étendre à la totalité du livre. La "visite des
souvenirs" (Jeunesse
I. Dimanche) fournit
incontestablement à Rimbaud, tout au long du recueil, "la nourriture à [s]on impulsion créatrice" (Jeunesse
IV). Des poèmes comme
Vagabonds,
Ouvriers,
Villes ("Ce sont
des villes..."),
Barbare ...
s'éclairent par là.
Matinée d'ivresse opère un retour réflexif sur la dénommée "entreprise du voyant". De
façon concomitante avec ce regard rétrospectif,
Angoisse
et plusieurs textes de la dernière partie des Illuminations
scrutent l'avenir. La découverte récente de la
lettre à Jules Andrieu du 16 avril 1874 confirme, comme expliqué
ici,
la portée autobiographique de
Solde. Tout
autant qu'Une Saison en Enfer,
les Illuminations
peuvent passer pour une "espèce de prodigieuse
autobiographie psychologique",
selon la formule de Verlaine.
Telle est bien "la base du recueil".
[7] |
|
|