La
mention "op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin
de page.
La rivière de Cassis :
La majuscule
pourrait faire penser à la ville proche de Marseille qui porte ce nom,
mais les commentateurs sont généralement d'accord pour rejeter une telle
hypothèse. Voir entre autres Étiemble : D'une majuscule et
d'une virgule chez Rimbaud (op. cit. p. 20-27). Il faut comprendre ici : "la rivière couleur de
cassis". Le cassis, en tant que nom commun, désigne le groseillier noir ou la liqueur sombre que l'on tire de ses fruits.
En raison des similitudes
entre La Rivière de Cassis et Les Corbeaux, Jean-Luc
Steinmetz a pensé que cette couleur cassis pouvait évoquer le sang des
"morts d'avant-hier", dont il est question dans Les Corbeaux (Rimbaud,
Vers nouveaux et Chansons - Une saison en enfer, GF, 1989, p.178).
L'idée a été reprise par Yves Reboul qui incline à traduire par
"rivière de sang" et à y déceler une allusion à la Commune : "Sang des morts
de la guerre, alors, en une sorte de reprise du Dormeur du val ?
Peut-être mais plus vraisemblablement sang des morts de la Commune, parce qu'à
adopter cette perspective, on voit aussitôt que le poème déploie les
éléments d'une symbolique qui ne peut guère renvoyer qu'à l'épisode
communeux." Et Reboul de citer les "mystères révoltants", les "chevaliers
errants", les "parcs légendaires", caractérisés par lui d'"emblèmes
imaginaires d'une société réactionnaire" (Rimbaud dans son temps,
Classiques Garnier, 2009, p.86-86).
Steve Murphy,
faisant référence à une piste ouverte par Marc Ascione, ajoute à
l'idée du sang le sens technique du mot "cassis" (bouche d'égout, rigole)
dans le vocabulaire des ponts et chaussées (voir les sens 2 et 3 donnés par
ce mot par le
TLFI), d'autant qu'on trouve aussi dans le poème le terme "claire-voie"
qui pourrait bien être tenu pour un synonyme de "cassis" : "La rivière de
cassis serait simultanément une rivière (ou ruisseau) qui s'entrevoit à
travers un cassis ou une claire voie et une rivière ressemblant à du cassis,
mais dont la couleur provient du sang. Il s'agirait non pas d'une
représentation réaliste, mais d'un tableau allégorique, montrant un paysage
en pleine régression vers un stade moyenâgeux du développement historique,
où les corbeaux, mais aussi le paysan, sont attirés par le carnage." (Rimbaud
et la Commune, Classiques Garnier, 2009, p.836-341). 
Avec les grands mouvements des sapinaies / Quand
plusieurs vents plongent. :
Steve Murphy,
à la faveur d'une note de son ouvrage Stratégies de Rimbaud (p.
313, José Corti, 2004), propose pour ce poème une clé politique. Selon
lui, le décor du texte serait "un paysage allégorique
(à signification communarde)". Commentant les vers 5-6, il écrit :
"il s'agit à la fois d'un passage descriptif (le mouvement produit
par de grandes rafales de vent dans une forêt de sapins) et symbolique
(des aquilons qui plongent étymologiquement comme des aigles —
ou vautours, ou corbeaux — sur les cadavres que l'on a enfouis dans des
sapins, cercueils des pauvres; il suffit de lire le poème d'inspiration
très proche Les Corbeaux pour comprendre la pertinence de
ce symbolisme et du sang-cassis qui coule, suscitant la concurrence des
charognards, corbeaux cléricaux sans doute monarchistes et paysans
vampiriques vraisemblablement bonapartistes". 
révoltants
:
Bernard Meyer, qui
procure dans son ouvrage Sur les derniers vers (op. cit.)
une analyse détaillée du poème, accorde une importance décisive à ce
terme dans son commentaire. Il
rappelle qu'en français courant, "révoltant" signifie
"qui provoque l'indignation". Les réminiscences d'un passé
médiéval suscitées par l'atmosphère mystérieuse du lieu
provoqueraient donc chez le promeneur un brutal dégoût. Dégoût au
rappel des mœurs violentes d'antan ("campagnes" pris au sens de
campagnes militaires, guerres), de la richesse ostentatoire des nobles ("donjons",
"parcs importants") et des "conditions de vie révoltantes
des gens d'autrefois" (op.cit. p.47). Mais, heureusement, le vent salubre
"soulage l'esprit du passant en purifiant les lieux des miasmes du
passé" (op. cit. p.46). Telle est son interprétation.
Bernard Meyer note
cependant que le sens latin de "revolvere" : rouler en arrière,
revenir en arrière par la pensée, autoriserait une interprétation
beaucoup plus simple : les "mystères révoltants / Des campagnes
d'anciens temps" désigneraient seulement les mystères du passé qui
reviennent hanter le paysage, les mystères revenants des campagnes du
passé.
Mais il est vrai
que Rimbaud affectionne les effets de polysémie et qu'on ne peut pas ne
pas entendre dans "révoltants" l'idée morale de révolte.
Cette valeur sémantique peut cependant être comprise tout à fait à
l'inverse de l'interprétation fournie par Bernard Meyer. Celui-ci résume
d'ailleurs fort bien la thèse opposée à la sienne, thèse qu'il
attribue notamment à Jean-Luc Steinmetz dans son édition des Vers
nouveaux de Rimbaud chez Garnier-Flammarion, 1989 : "(...)on
pourrait comprendre, écrit Bernard Meyer page 45 dans une note, que le vent, par ses
bruits évocateurs, retrempe l'âme du marcheur dans l'atmosphère
héroïque de l'ancienne chevalerie, qu'il lui donne accès aux sources
épiques et que les différents éléments du site (les vents, les
corbeaux, les sapinières, mais aussi les campagnes, les donjons, les
parcs) forment comme une réserve isolée de grandeur ancienne au cœur de
la trivialité paysanne moderne." Recevant l'influence salubre
de ces visions guerrières, qui pourraient rappeler le rôle tenu par les
barbares dans Michel et Christine, le narrateur y puiserait la
force de se révolter. Les "mystères (...) des campagnes d'anciens
temps" pourraient donc être tenus pour "révoltants" non
parce qu'ils provoquent une indignation à leur encontre mais parce qu'ils
contribuent à révolter le promeneur contre la médiocrité du présent. 
campagnes :
Dans son édition
des oeuvres complètes de Rimbaud à La Pochothèque (1999), Pierre Brunel
rappelle le sens de "campagnes militaires" donné à ce terme
par le critique littéraire Bouillane de Lacoste. C'est un des cas
fréquents de polysémie volontaire que l'on peut observer dans l'œuvre de Rimbaud. 
visités :
Encore un terme
équivoque : hier, les donjons étaient "visités" par les
seigneurs du voisinage, par les ennemis quand ils s'emparaient du
château; aujourd'hui ils sont visités par les promeneurs, et par les
fantômes du passé qui continuent à les hanter. Bernard
Meyer, dans son ouvrage Sur les derniers vers
(op. cit.),
préfère ce dernier sens : "donjons hantés", valeur
sémantique suggérée par l'atmosphère mystérieuse imprégnant le
poème. 
importants :
Cet adjectif serait
bien
plat s'il n'était pas employé par ironie, ce qui est sans doute le cas, comme dans ce passage des Premières
Communions : " Eux qui sont destinés au chic des garnisons [les
garçons du village] / Ils narguent au café les maisons importantes
" (vers 35). On voit que pour Rimbaud, cet adjectif a un sens social;
les parcs importants sont les parcs des grandes familles, des "gens
importants", comme on dit au village avec une naïve considération. 
Que le piéton regarde à ces
claires-voies
: / Il ira plus courageux.
"La
Rivière de cassis, écrit Étiemble (sans majuscule), évoque
pour Rimbaud la féodalité, tout le passé légendaire des Ardennes : les
quatre fils Aymon, les forêts. Quant aux claires-voies [...] il s'agit
tout simplement des barrières à claire-voie qui permettent au piéton
d'entrevoir des parcs, des donjons, de rêver au vieux temps" (op.
cit. p.25). Bernard
Meyer,
dans son livre Sur les derniers vers (op. cit.1996), p.46-47,
considère ces "claires-voies" comme "un élément du site
qui n'a pas été évoqué". Quelle que soit la nature précise de
cet élément, clôture ajourée, ouverture percée au bas d'un mur,
fissure dans un mur en ruines, etc... , il constitue une brèche par où
le regard du promeneur peut apercevoir l'intérieur d'une de ces bâtisses
nobiliaires, vestiges des anciens temps, dont les mystères aiguisent
l'envie et l'hostilité du manant. Quant au surcroît de
"courage" tiré de cette contemplation, il l'attribue à la
satisfaction ressentie devant les progrès enregistrés par la société
moderne dans le domaine de la justice sociale : "il sera réconforté
par le délabrement des anciennes enceintes, attestant que la nature a
triomphé des affronts que lui ont jadis infligés les hommes; ou il se
souviendra, en voyant ces vestiges, des conditions de vie révoltantes des
gens d'autrefois, et la pensée de vivre une époque moins barbare le
revigorera". Claude Jeancolas (Rimbaud, L'œuvre commentée,
chez Textuel, p.228) opte pour une interprétation plus symbolique en
écrivant : "Ces claires-voies sont les voies claires par lesquelles
le piéton peut entrevoir le ciel et la lumière". Et il commente :
"C'est une vraie vie à laquelle aspire Arthur et qu'il voudrait au
monde. Ce sont des claires-voies, cette clarté entrevue qui donne courage
au piéton et détermination dans sa quête de l'esprit." Pour Yves
Reboul, "les claires-voies désignent évidemment la sapinaie avec ses
fûts ; mais elles participent aussi de l'allégorie [politique, selon cet
auteur] puisqu'à travers elles le piéton est invité à comprendre le sens
de ce paysage, qui est aussi celui du poème" (Rimbaud dans son temps,
Classiques Garnier, 2009, p.86-86). 
Chers
corbeaux délicieux :
Rapprocher du
poème Les Corbeaux (1871) :
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
Jacques Rivière, dans son Rimbaud (Kra, 1930, p.26), commente
ainsi l'usage rimbaldien de l'adjectif "délicieux" : "Sa
fureur est telle qu'elle le tient jusque dans le plaisir. Il faut entendre
le son rageur, sifflant, ironique, indigné que prend le mot délicieux
chez Rimbaud".
Étiemble,
pour sa part, analyse ainsi l'appel lancé aux corbeaux : "le piéton
de la grand-route que fut Rimbaud prie les corbeaux de chasser du paysage
idéal, et même idéalisé, le paysan matois / Qui trinque d'un
moignon vieux. Rimbaud le communard n'avait qu'antipathie pour les
culs-terreux de son pays, qu'il englobait dans le dégoût que lui
imposait sa famille! "Quelle chierie; et quels monstres d'innocince
(sic), ces paysans"." (op. cit. p. 25).
Qui trinque d'un moignon vieux :
L'expression est
énigmatique.
Bernard Meyer (op.cit. p.50) analyse le terme "moignon" comme
une métaphore descriptive permettant d'évoquer une "main
grossière, raide et malhabile". Jean-Luc Steinmetz, dans son édition des Derniers vers
chez G.F., propose de comprendre "trinquer" comme boiter.
Antoine Fongaro, critiquant cette glose dans Matériaux pour lire
Rimbaud (Presses Universitaires du Mirail-Toulouse, page 88, 1990),
rappelle que "moignon était employé au sens de
"main" dans le langage populaire de Paris, comme le prouve la
phrase d'une des "commères de la rue de Thorigny" voyant
Gavroche qui tient un pistolet : "Qu'est-ce qu'il a donc à son
moignon? Un pistolet!" (Les Misérables, IV, XI, 2)". 
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