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Alinéa
ALLÉGORIE ALLITÉRATION ANALOGIE ANAPHORE ASSONANCE ASYNDÈTE CÉSURE CHANSON CHUTE Clausule Comparaison Déictiques Démonstratifs ELLIPSE Facule discursive JEU DE MOTS HYPALLAGE HYPERBOLE HYPOTYPOSE INCIDENTE Métaphore MÉTONYMIE PARAGRAPHE PARALLÉLISME Parataxe PARODIE Pastiche POÈME EN PROSE Pointe Polysyndète PRÉPOSITION RIME RIME CONSONANTIQUE RYTHME (PROSE) SONNET STYLE ORAL SYNECDOQUE SYNESTHÉSIE TIRET VERS VERS LIBRE Verset ZEUGMA |
Dans un texte célèbre qui érige en principe l'audace métaphorique, le poète Pierre Reverdy fixe malgré tout une limite à cette audace. Il faut que l'image reste "juste" et que cette pertinence soit perçue du lecteur :
Or, selon un autre poète, Victor Segalen, Rimbaud aurait, pour notre malheur, outrepassé cette règle d'équilibre entre originalité et intelligibilité :
Ce jugement sévère en dit long sur les difficultés qu'opposent les textes de Rimbaud aux lecteurs les mieux armés pour les comprendre et les mieux intentionnés à leur égard. Mais le procès instruit par Segalen contre l'image rimbaldienne paraît quand même bien excessif. Certes, les métaphores de Rimbaud frappent à la fois par leur caractère elliptique (quand elles sont réduites au seul comparant) et par leur caractère insolite (par rapprochement de réalités éloignées). Il est vrai aussi que certaines d'entre elles présentent un développement exceptionnel : des œuvres comme Un Cœur sous une soutane, Le Bateau ivre ou Mémoire par exemple peuvent être décrites comme de vastes systèmes analogiques autour d'une seule métaphore filée (se reporter à notre point 7). Enfin, les comparaisons de Rimbaud (cf. notre point 2) ne sont pas nécessairement plus sages et, en tout cas, ne confirment pas la réputation de rationalité supérieure que la rhétorique reconnaît à cette figure de style, par rapport à la métaphore. Il suffit de lire le début de Mémoire pour constater que les comparaisons rimbaldiennes pratiquent des écarts entre comparants et comparés aussi vertigineux que ses métaphores les plus hardies. D'où cette apparence d'"ipséisme" que Victor Segalen déplore. Mais un certain hermétisme n'est-il pas le prix à payer pour l'originalité ? Comme Reverdy l'explique fort bien, la figure d'analogie paraîtra d'autant plus suggestive que le rapprochement par elle opéré aura paru plus inattendu, et plus grand l'écart entre les deux réalités qu'elle met en relation. Sans doute peut-on en arriver par là au point où les facteurs de similitude sentis et suggérés par le poète sont si ténus, si personnels, qu'ils deviennent incompréhensibles pour le lecteur. Celui-ci n'a pas l'information suffisante pour saisir ce qui justifie l'image proposée. C'est d'ailleurs pour avoir poussé jusqu'à cette limite sa pratique de l'analogie, pour l'avoir libérée des chaînes de la logique, que Rimbaud a été célébré comme un défricheur de terres inconnues par certains des poètes qui lui ont succédé (les Surréalistes, notamment). Cependant, nous essaierons de montrer qu'un lecteur sensible peut, la plupart du temps, comprendre ses images et en éprouver la justesse.
1) COMPARAISONS
C'est une "comparaison", la relation d'analogie est marquée par "comme". L'information est complète : comparé (baiser), comparant (araignée), éléments de ressemblance (sème 1 = même emplacement : le cou; sème 2 = même déplacement rapide : courra; sème 3 : même déplacement désordonné : folle).
C'est une "comparaison", la relation d'analogie est marquée par "comme". Dans cet exemple, les sèmes communs, justifiant de comparer la jeune fille à un lys (blancheur ? beauté? forme élancée de la silhouette? fragilité?) sont largement absents. Toutefois, le verbe "flotte" sera considéré comme un sème commun si l'on suppose que Rimbaud a pensé à un "lis d'eau", c'est à dire à un nénuphar (qui comme on le sait flotte sur l'eau).
C'est une comparaison. Le verbe "faisais" (=sembler) explicite la relation d'analogie. Le poète (je), qui est en train de boire à "une gourde de colocase", dit qu'il ressemble à une enseigne d'auberge. Les motifs fondant la comparaison sont absents (mais facilement restituables dans le contexte).
Les
fleurs ne mugissent pas : le poète dit qu'elles mugissent par une
association d'idée des plus simples entre les fleurs de nos prairies et
les animaux qui les broutent. Il ne s'agit pas d'une figure d'analogie
mais d'une hypallage. Le reste de la phrase,
par contre, est occupé par une comparaison qui peut paraître bizarre
mais qui s'explique assez aisément.
Deux comparaisons articulées à l'aide de comparatifs de supériorité. De
telles tournures abondent chez Rimbaud d'après Yoshikazu Nakaji qui
les a étudiées (op. cit. p.40-44). Il en cite plusieurs dans Le
Bateau ivre ("Plus léger qu'un bouchon, j'ai dansé sur les flots",
"Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures, / L'eau vertes
pénétra ma coque de sapin"). "Le critère de comparaison fournissant
chaque fois un cas extrême, commente Nakaji, ces comparatifs ont une
valeur quasi superlative". Dans la citation sélectionnée en titre,
la seconde comparaison équivaut à un superlatif relatif de supériorité (= ont subi les tohu-bohus
les plus
triomphants), la première ressemble fort à un superlatif absolu (= complètement sourd [aux
prescriptions de la société / des adultes]).
La fonction figurative et expressive est cependant très
remarquable dans nombre de comparaisons rimbaldiennes. Dans la citation
sélectionnée ici, la comparaison atteint un charme insolite et un grand pouvoir
expressif, non seulement parce que les deux termes
rapprochés par l'intermédiaire du terme comparatif ("tels que") sont
fort éloignés par leur sens et leur tonalité (registre noble / registre
familier) mais aussi de par la complexité des sèmes communs mobilisés :
Ce début de Mémoire contient une comparaison, commandée par "comme" et structurée syntaxiquement en quatre groupes nominaux juxtaposés. Cette structure était encore plus nettement marquée (grâce au retour anaphorique des "ou" en début de vers) dans un état antérieur du poème qui nous est parvenu sous le titre de Famille maudite :
Le
comparé (l'eau − d'une
rivière ?) est − semble-t-il
−
successivement rapproché de cinq comparants différents.
Parmi les jeux rhétoriques auxquels s'adonne Rimbaud, on note le procédé
consistant à inverser les rôles dans la comparaison, c'est-à-dire à
traiter le comparant comme s'il était le comparé et vice versa. Dans ce
passage de Mémoire, par exemple, ce sont "les saules" (ou plus
exactement leur reflet dans la rivière) qui constituent en toute logique
le comparé. Le reflet des saules dans la rivière ressemble à des robes
vertes qui pourraient appartenir aux fillettes habitant la maison
aquatique de l'Épouse (voir notre point 7).
Or, le texte inverse ce rapport logique en nous disant que "Les robes
vertes et déteintes des fillettes / font [le verbe "faire" est ici le
mot comparatif] les saules".
2) UN EXEMPLE COMPLEXE DE COMPARAISON DANS LE RIMBAUD "HERMÉTIQUE" DES ŒUVRES EN PROSE ("MAUVAIS SANG") On peut lire dans "Mauvais sang" (Une saison en enfer) un passage où Rimbaud explique qu'il était, "encore tout enfant", fasciné par le "forçat", le hors-la-loi, au point de voir le monde "avec son idée", au point de lui crier "Bonne chance!". "Je flairais sa fatalité dans les villes", ajoute-t-il. Et il poursuit :
Il y a là une double comparaison dont tout lecteur subit le charme, sans doute, mais qui reste à première lecture rigoureusement incompréhensible : comment la boue peut-elle être rouge et noire? quelle analogie possible entre ce spectacle urbain et la chambre évoquée dans le second membre de phrase? entre la boue et une glace ou une lampe? entre une lampe et un trésor? On peut certes lancer des hypothèses, mais sur quel terrain solide tenter de se forger une conviction? Proposons une amorce de réflexion, fondée sur les recoupements textuels (c'est évidemment le premier secours à attendre : la connaissance de l'auteur). On trouve dans une Illumination, "Enfance V" : " La boue est rouge et noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin." Et dans Adieu (Une saison en enfer) cette phrase évoquant la grande ville moderne : "le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue" On constate que pour Rimbaud la "boue" n'est pas nécessairement située à terre mais qu'elle peut désigner plus généralement la grisaille, la nuit, la saleté ou la pollution de l'atmosphère urbaine, s'accompagner peut-être aussi d'un symbolisme moral ("misère", "monstrueuse", "taché" ...) ; on voit que l'antithèse "rouge et noire" alterne avec celle de la "boue" et du "feu" (le soleil couchant ? les lumières de la ville ?) et qu'on se rapproche par là de l'idée de lampe. Dans les trois exemples, le contraste du rouge et du noir, de la boue et du feu, de la nuit et de la lampe, est associé à l'image de la grande ville. Comme c'est souvent le cas avec Rimbaud, on peut exploiter des rapprochements littéraires éclairants. Ici, avec "Le Vin des Chiffonniers" de Baudelaire :
Mais on peut aussi se souvenir d'autres textes de Rimbaud. Les Étrennes des orphelins, où il apparaît clairement que la "chambre voisine" est celle des parents, dans laquelle la lumière s'est éteinte par suite du départ du père ("le père est bien loin") et la mort de la mère (mort réelle dans l'argument narratif du poème mais qui pourrait bien s'analyser comme mort symbolique de sa propre mère dans l'inconscient rimbaldien) :
Dans un autre texte de Rimbaud, l'un des rêves érotiques des Déserts de l'amour, le narrateur est en présence d'une "mondaine" qui se donne à lui, "presque nue", et soudain : "La lampe de la famille rougissait l'une après l'autre les chambres voisines. Alors la femme disparut." N'est-on pas
frappé de la similitude de cette formule avec celle de notre exemple
initial ? Il manque la "glace",
miroir sans doute reflétant la lumière de la lampe. Mais, dans
l'ensemble, on ne peut mettre en doute la
parenté des divers "passages", avec les associations que ces analogies
libèrent chez le lecteur : Revenons maintenant au passage que nous étudions. Et observons les phrases qui suivent : "Dans
les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une
glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor
dans la forêt! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes
et de fumée au ciel; et, à gauche et à droite toutes les richesses
flambant comme un milliard de tonnerres. Des métaphores ("mer de flammes", "les richesses flambant"), une comparaison synesthésique et hyperbolique ("comme un milliard de tonnerres") développent les mêmes oppositions et les mêmes équivalences. On retrouve le motif de la fumée dans le ciel, le thème de la sexualité. En outre, la critique a parfois vu dans ces images de "mers de flammes" et de "richesses flambant" une allusion aux incendies allumés par les Communeux dans les bâtiments les plus prestigieux de Paris (Tuileries, Palais de Justice, Palais de la Légion d'Honneur, Cour des Comptes, Hôtel de Ville ...) pendant la Semaine sanglante. De fait, un tel rapprochement pouvait aisément venir à l'esprit d'un lecteur de 1873, deux ans à peine après cet événement mémorable. En conclusion : nous sommes probablement devant une seule et même "métaphore obsédante", reprise avec des variations dans quatre textes différents, qui s'éclairent mutuellement. Cette hypothèse acceptée, le complexe réseau d'analogies et de connotations s'organise peu à peu dans notre esprit. Trois espaces : la ville, la chambre, la forêt. Trois tableaux en clair-obscur correspondant peut-être à des souvenirs de lectures ou à des souvenirs personnels de l'auteur : grandes métropoles modernes où il a vécu ou voyagé, chambres et contes de l'enfance. Au cœur de ces images semble être présent le thème du désir pour ce qui est caché ou interdit. On n'en est certes pas encore à pouvoir dire : voilà ce que ça signifie. Mais l'imagination travaille, autant celle de l'auteur, qui semble se laisser porter par la libre association d'images qui l'obsèdent, que celle du lecteur, devant qui s'ouvrent diverses perspectives d'interprétations ... Et l'on sent bien, en tout cas, — selon la formule de Rimbaud — que "ça ne veut pas rien dire". Nous pouvons tenter de schématiser dans un tableau comment fonctionne le mécanisme de la "comparaison" dans l'exemple complexe que nous avons étudié :
Les commentateurs de Rimbaud étudient souvent
cette image. Signalons notamment l'analyse de Marie-Paule Berranger
(op.cit., p.189-190). 3) MÉTAPHORES
Le
mot "camps" est une métaphore : les
parties du paysage qui restent obscures malgré l'apparition du soleil
sont implicitement comparées à une armée qui résiste. Le lecteur
rétablit facilement le comparé absent (taches d'ombre, zones obscures du
paysage) et les sèmes communs :
Le mot "cheveux" est une métaphore, mais ni le comparé ("algues" ? "végétations marines" dit Suzanne Bernard, Garnier 1961, p.426; "végétation luxuriante des petites baies" dit Pierre Brunel, Pochothèque, 1999, p.297), ni les sèmes motivant cette éventuelle interprétation (formes longilignes et entremêlées, ondulantes, légères) ne sont explicites. D'où le caractère énigmatique de la formule. Ceci dit, la comparaison entre végétation et chevelure n'est pas nouvelle, et on constatera sur cet exemple que la présentation elliptique d'une métaphore peut n'être qu'un moyen habile de raviver une image usée.
Le "luxe" nocturne est une métaphore dont le comparé, non exposé, est probablement "les étoiles". L'effet est superbe, insolite, "surréaliste". Pourtant, l'idée est d'une grande banalité : le poète, gagnant sa fenêtre, contemple "par delà la campagne" le ciel nocturne. La beauté du ciel étoilé lui suggère la comparaison (éculée) entre les étoiles et des diamants, des bijoux, qui à leur tour génèrent l'idée abstraite de "luxe". L'imagination du poète, à la manière des grandes rêveries prophétiques et cosmiques de Hugo, s'empare de ce spectacle pour créer ("je créais") la vision fantasmatique ("les fantômes") d'un avenir radieux ("futur"). L'utilisation d'un terme général abstrait ("luxe"), évoquant des richesses bassement matérielles, en lieu et place d'un terme concret ("étoiles") évoquant conventionnellement les richesses les plus éthérées, produit un effet insolite. C'est encore un bon exemple du talent de Rimbaud pour raviver des images mortes, par le biais d'associations inattendues, compliquées, combinant le prosaïsme du vocabulaire ("luxe") avec une certaine préciosité (les étoiles comparées à des bijoux).
Voici encore une métaphore bien énigmatique. On peut risquer une interprétation, mais qui n'aura rien de scientifique car l'image est par trop insolite. Les "fleurs d'ombres" de la mer pourraient être les pieuvres. Ce comparé n'est pas indiqué, mais il est suggéré par le syntagme descriptif qui complète l'expression ("aux ventouses jaunes"). Le sème principal justifiant cette image, absent lui aussi, pourrait être la forme étoilée commune à la fleur et à la pieuvre. Hugo, dans Booz endormi, appelle les étoiles des "fleurs d'ombre". Rimbaud n'aurait-il pas simplement remanié cette métaphore hugolienne, en la rendant plus insolite encore et plus fantastique?
Comparé et comparant sont présents, côte à côte. Le comparé "mitraille" est complément du comparant "crachats", il n'y a pas de terme comparatif les mettant en rapport l'un avec l'autre : c'est une métaphore. Les qualités communes (même mouvement de projection violente − la trajectoire d'une balle ressemble à celle d'un crachat −, même idée de mépris pour l'autre, même idée d'agressivité) restent implicites.
Remarques :
L'exemple illustre bien cette technique typiquement rimbaldienne qu'un critique a appelée "la délexicalisation de la catachrèse" (Bruno Claisse, op.cit. p.47). Dans un poème où le thème obsédant de la déchirure (crever, mordre, éclater) doit être mis en relation avec un dense réseau de connotations érotiques, comme l'a montré Steve Murphy (op.cit.), l'image de la "lèvre" du faune qui "éclate en rires" n'est dans un sens qu'une infime manipulation exercée sur la métaphore lexicalisée : "éclater de rire". Mais, comme dans l'exemple du Mal précédemment étudié, c'est la combinaison avec tout un environnement d'images convergentes qui produit sur le lecteur une impression de nouveauté et de force expressive. Les lèvres du faune ont en effet dans les deux vers qui précèdent mordu des fleurs rouges : "Un faune effaré montre ses deux yeux / Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches." Tachées de rouge dans cette violence infligée aux fleurs, leur coloration peut être associée sensuellement à l'idée du vin (par comparaison : "ainsi qu'") et à celle du sang (par métaphore, double figure d'analogie). Enfin, l'idée d'éclatement (l'éclatement du rire, son surgissement soudain, métaphore lexicalisée) peut être transférée à la lèvre de manière à suggérer une forme de blessure, "la lèvre qui éclate produisant le sang non moins vraisemblablement que l'acte de mordre les fleurs rouges (v. Voyelles : "I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles")" (Steve Murphy, op.cit. p.175).
Métaphore désignant la rivière, lorsqu'elle est infusée de lumière solaire, dorée par le soleil. C'est encore un exemple du goût bien connu de Rimbaud pour la création de figures nouvelles à partir d'une catachrèse. Processus paradoxal ici puisque le mot "courant" est seulement rendu à son sens premier. Il est déchargé de la valeur métaphorique qui est la sienne dans la catachrèse du "courant d'air" dont la tournure analysée est dérivée. La substitution métonymique de l'or-matière au doré-couleur et la personnification largement lexicalisée "en marche" représenteraient à elles seules la valeur créative de la figure s'il n'y avait la perception chez le lecteur de l'élément ludique constitué par le détournement de la catachrèse (paronymie /or-air/ ; parallélisme des constructions syntaxiques avec la préposition "d'"). Jean Gilibert commente ainsi le procédé : "'Le courant d'or en marche' ne doit pas faire illusion quant à l'assonance à laquelle personne ne peut se soustraire : 'le courant d'or' pour le 'courant d'air'. Le glissement de sens ne va donc ni contre la perte du sens premier (le courant d'air) ni pour son maintien (dans courant d'or, il faudrait 'lire' courant d'air, comme on ferait pour un processus de déplacement de condensation tels qu'ils s'exercent dans les processus primaires du travail du rêve). Le "courant d'or", par sa néoformation, est un nouveau sens qui dit adieu à ce qu'un consensus avait trop prosaïsé. Car il y avait de la poésie dans le 'premier' courant d'air ; il n'y en a plus maintenant ; la métaphore est usée ; la poésie 'nouvelle' du 'courant d'or' demande plus qu'une reconnaissance ; elle demande le déploiement de sa marche vers l'horizon de sa mort, plus simplement, de sa défaite" (op. cit. p.83)
"j'", le narrateur (comparé) se présente comme une "bête féroce" (comparant). Les sèmes principaux sont exposés par le contexte : cruauté ("féroce"), stupidité ("sourd"), sauvagerie ("bond"). Corrélativement, la "joie" qui est un sentiment, une abstraction, subit une métaphorisation matérialisante qui la fait apparaître comme une proie, un animal qu'on étrangle. C'est sans doute dans cette représentation concrète des sentiments (joie, cruauté) que réside la force suggestive de ces images. Sur cet exemple, nous pouvons constater que la vigueur de l'image rimbaldienne ne vient pas nécessairement de son caractère elliptique (ici, l'information est quasi complète) mais plutôt de la hardiesse du rapprochement entre des éléments de nature différente.
Voici
un nouvel exemple de représentation métaphorique d'un
phénomène mental, mais les analogies mobilisées restent ici fort
implicites, impossibles à reconstituer avec certitude : un ipséisme rimbaldien,
au sens que Segalen a donné à ce mot ? 4) DEUX EXEMPLES DE MÉTAPHORES COMPLEXES DANS LE RIMBAUD "HERMÉTIQUE" DES ŒUVRES EN PROSE ("NUIT DE L'ENFER", "BARBARE")
Le comparant "poison" peut recouvrir plusieurs signifiés.
Le
sens littéral étant peu satisfaisant, les commentateurs ont recherché de
possibles
sens métaphoriques en alléguant les autres occurrences rimbaldiennes du
mot (ou de l'idée) dans des contextes plus ou moins éloignés.
Conçu comme un moyen magique d'acquérir des "secrets pour changer la vie", réinventer l'amour,
"inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs,
de nouvelles langues"..., ce projet prométhéen a entraîné le narrateur dans le fiasco existentiel
dont le Saison constitue le récit.
Commentons : "brume" = poésie romantique, poésie subjective (voir "Soir
historique") ; "dévouements" = charité, religion ; "ivrognerie", "tabac"
= substituts "modernes" des précédents, volontiers "cultivés"
par la bohème artiste du temps de Rimbaud, comme on sait ; le tout résumé par le mot
"poisons".
Ce n'est donc pas le sens qui manque ici mais seulement le "comparé" de la métaphore, chacun des référents partiels de l'image (drogue, alcool, religion, poésie, ...) servant tour à tour de comparants et de comparés pour les autres, de manière à susciter une signification synthétique et abstraite qui les englobe tous. Le même mécanisme est à l'œuvre dans quantité d'autres métaphores sans signification évidente ou plutôt sans comparé stable de la poésie de Rimbaud, comme le "pavillon" de Barbare, par exemple. Voir le point suivant.
Au terme de son article "Remarques sur l'obscurité", Tzvetan Todorov écrit :
Dans le même esprit, il me semble, Jean-Pierre Giusto écrit :
De ces deux citations, on peut déduire que l'image mentionnée est de celles qui ont paru les plus obscures dans le texte de Rimbaud. Mais l'une et l'autre suggèrent aussi, sotto voce, qu'il serait quelque peu sacrilège de dévoiler ce que cette image représente : ce serait, dit Todorov, "réduire" cette phrase à une "banalité" ; ce serait, suggère Giusto, réduire l'aura de la "nouvelle langue", et la magie des "figures libres" obtenues en cédant l'initiative aux mots, à un vulgaire travail d'écrivain. Là est incontestablement le grand succès de Rimbaud écrivain : être parvenu à faire passer pour une opération quelque peu magique, une rencontre verbale à ce point miraculeuse qu'il serait sacrilège d'expliquer ce qu'elle cache, en tant que paysage et/ou en tant qu'idée, ce qui n'est après tout qu'une concaténation de métaphores usées jusqu'à la corde, habilement rajeunies. Soyons simple, pour commencer :
Par quel procédé Rimbaud réussit-il à créer une telle impression de mystère, voire d'inintelligibilité, à partir d'un matériau linguistique aussi simple ? Comparons l'usage métaphorique du mot "pavillon" pour "le ciel" dans le poème de Hugo susmentionné et dans Barbare.
La réponse saute aux yeux : le cotexte. Le cotexte hugolien donne plutôt dix fois qu'une les explications nécessaires à la lecture de la métaphore (désignation explicite du comparé, localisation dans un paysage environnant, comparaison entre le "pavillon" et un "dais", développement de l'allégorie religieuse, etc.). Rien de tel dans le poème de Rimbaud : le pavillon est un objet non sans référent contrairement à ce que croit Giusto mais presque dépourvu de cotexte explicatif, à part les "mers" et les "fleurs arctiques", heureusement pour nous !). Par contre, le cotexte immédiat du poème (la "localisation temporelle" apocalyptique du premier alinéa, les "vieilles fanfares d'héroïsme" et les "anciens assassins" du troisième) multiplient les potentialités associatives et interprétatives au lien d'aider à serrer de plus près le sens de la métaphore du pavillon. En fait, ce n'est pas l'image qui est mystérieuse, c'est le cotexte. Le résultat, c'est cette impression de polysémie et de complexité sans limite que l'on attribue à l'image et qui a tant perturbé exégètes et traducteurs. Le mot "pavillon" est-il seulement une métaphore, s'est-on demandé ? On n'en sait rien après tout. Rien dans le contexte n'indique si la phrase (la "vision") concerne effectivement un des objets pouvant normalement être désignés en français par ce mot (drapeau, tente, abri, bâtiment, etc.) ou s'il désigne métaphoriquement autre chose (un ciel ensanglanté par un soleil couchant ou levant, un reflet du soleil sur la mer ondulant comme un drapeau, la forme conique d'un volcan en éruption, la flaque de sang autour d'une baleine blessée, un sexe féminin ... toutes ces interprétations ont été données par la critique). Dans le premier cas le mot "pavillon" n'est pas employé de façon métaphorique et c'est plutôt dans son environnement immédiat (viande saignante, soie des mers et des fleurs arctiques) qu'il faudrait identifier et tenter d'analyser des analogies. Dans le second, le mot "pavillon" fonctionne comme le comparant dans une figure par analogie. Le comparé est absent et fort mystérieux. Le caractère extrêmement vague des motifs de comparaison (sèmes communs) suggérés par le mot et par son environnement immédiat (forme de tente ? forme d'abri ? forme d'étendard ? forme évasée ? rouge ? vie ? violence ? mort ? naissance ? renaissance ? cruauté ? dégoût ?) aide si peu que chaque commentateur propose une solution différente de l'énigme. Une telle formule est évidemment un casse-tête pour les traducteurs : en anglais, par exemple, certains d'entre eux traduisent "pavillon" par "flag", d'autres par "tent" ... (voir l'article de Jay Paul Minn, "Traduire Barbare", op. cit.). L'indécidabilité de l'image-clé de Barbare n'empêche pourtant pas le lecteur de subir le charme de cet étrange texte fondé, comme tant d'autres poèmes du même auteur, sur le principe de l'épiphanie interrompue (la formule est d'Alain Badiou, op. cit). Les poèmes des Illuminations (n'oublions pas le sous-titre "painted
plates", gravures colorées) s'attachent très souvent à dresser un décor,
à esquisser, tout au moins, un paysage. Dans Barbare, la
référence à la "soie des mers" et les allusions répétées à un environnement "arctique" (par ailleurs
familier au lecteur des Illuminations), "rafales de givre", "choc
des glaçons", "fleurs" et "grottes arctiques", suggèrent
effectivement un paysage, une sorte de
marine. Rimbaud pourrait y avoir repris l'image
hugolienne du ciel comparé à un "dais" (Bièvre), mais dans ce cas un
"ciel rougeoyant", un pavillon céleste orné d'un soleil rouge jeté par
dessus "la soie des mers". La représentation sanglante du couchant est un stéréotype.
Flaubert, par exemple : "Une couleur de sang occupait l’horizon" (Salammbô,
chap. X). Ce cliché a été soumis par les poètes à d'infinies variations
destinées à conjurer son caractère conventionnel, du soleil "noyé dans son sang
qui se fige" de Baudelaire au "soleil cou coupé" d'Apollinaire.
Pour le bateau, le ciel rouge du crépuscule est une sorte de mur qu'il doit trouer pour gagner l'infini. Le complément de comparaison « comme un mur / qui porte […] des lichens de soleil » complète probablement le noyau verbal du syntagme « [Moi qui]trouais [le ciel] », le participe « rougeoyant » faisant seulement fonction d’adjectif pour qualifier le mot « ciel ». Autrement dit, le « ciel rougeoyant » du crépuscule se dresse comme un obstacle devant le bateau lancé vers l’Inconnu, comparable en cela à « un mur » parsemé de « lichens de soleil », qui sont des taches de lumière, et de « morves d’azur », qui sont des traînées de ciel bleu, un mur enfin que le bateau doit franchir, percer, « trouer » pour pouvoir poursuivre sa route vers le large. Le cliché se voit ainsi doublement régénéré par l'analogie insolite ciel/mur et par l'ironie. En caractérisant le ciel rouge comme une "confiture exquise aux bons poètes", Rimbaud moque le goût excessif pour les couchers de soleil des poètes romantiques. Lui compris, on peut du moins l’espérer de sa lucidité. Cf. les deux premiers vers du quatrain n°9 du même Bateau ivre :
Le mot "confiture",
même, d'après certains critiques, n'impliquerait pas seulement ici l'idée
de gourmandise mais pourrait connoter aussi celle de drogue, une drogue
peu appétissante ainsi que le suggèrent les métaphores associées de la
morve et des lichens. Le haschich, en effet, est « un morceau de pâte ou
confiture verdâtre » écrivait Théophile Gautier dans Le Club des
hachichins. On voit que le travail poétique sur le stéréotype du
"ciel rougeoyant" ne commence pas avec Barbare dans la "carrière"
de Rimbaud. De façon plus sophistiquée, optant plutôt pour l'idée du drapeau (ou souhaitant combiner cette idée avec la précédente), on pourrait voir dans le "pavillon" un reflet ondoyant du soleil couchant à la surface des flots, que l'ondulation des vagues agiterait comme un drapeau rouge. Il y aurait un précédent chez Rimbaud. Dans le développement initial de Mémoire, une eau vive miroitant au soleil ("eau claire", "courant d'or en marche") appelle une comparaison avec "la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes" :
N'avons-nous pas là déjà plusieurs des ingrédients de l'image complexe qui nous occupe : la surface de l'eau comparée à de la soie, l'image du drapeau ("pavillon", "oriflammes"), les fleurs (de rêve : "fleurs arctiques", "lys pur"), les suggestions héroïques (l'oriflamme fleurdelisé de Jeanne d'Arc, le pavillon rouge de la Commune), érotiques et religieuses mêlées. Je trouve aussi fort intéressant le rapprochement suggéré par Jean-luc Steinmetz (op. cit. 1994) avec de possibles intertextes "arctiques" chez les écrivains contemporains de Rimbaud. Ce critique suppose que le fameux "pavillon" fut peut-être, au départ, dans l'esprit de Rimbaud, celui que les explorateurs de son temps, au péril de leur vie, tentaient en vain de planter au pôle septentrional de la planète. Rimbaud a pu être frappé, en lisant Michelet et/ou Jules Verne, de la ressemblance entre le destin du poète tel qu'il le définit dans la lettre du voyant et celui de ces conquérants de l'impossible qu'étaient encore, au dix-neuvième siècle, les explorateurs du pôle nord, tels notamment que les évoque Jules Verne à travers son personnage d'Hatteras, dont il décrit longuement la folie polaire, la septentriomanie fatale (voir sur ce sujet la page que nous consacrons aux Aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne). Cela expliquerait la récurrence de la référence arctique dans les Illuminations. Il est d'ailleurs significatif de voir Thibaudet, dans un article de 1922, utiliser cette même analogie pour caractériser le projet poétique de Mallarmé :
Autour de l'image initiale, élevée au rang de symbole (symbole de la conquête, symbole de la souffrance héroïque, symbole, pour le poète, de sa propre passion de l'Absolu), sont probablement venues s'agglomérer, dans l'esprit de Rimbaud, comme autant d'harmoniques autour du timbre dominant, les connotations suggérant par métaphore d'autres domaines de conquête que celui de la géographie. "Il y a dans l'inconnu du Pôle, écrit Michelet, je ne sais quel attrait d'horreur sublime, de souffrance héroïque" (La Mer, III-4, 1860). Le « pavillon en viande saignante... » est-il autre chose que cela : une représentation de l'horreur sublime, une allégorie de l'Inconnu hors d'atteinte et destructeur pour celui qui s'y laisse attirer ? Car, pour passer du pavillon d'étamine rouge dans lequel Hatteras enroule son corps ensanglanté, à la fin du roman de Jules Verne, au drapeau rouge des révolutionnaires, symbole du sang versé par les ouvriers (par les Communeux lors de la Semaine sanglante), et de là au "pavillon en viande saignante", il n'y avait pour un Rimbaud qu'un léger travail de transposition insolite sur le modèle de métaphores banales ou connues comme "chair à canon" ou "boucherie héroïque". Aussi, l'initiale vision sanglante s'associe, dans la suite du texte, à celle d'une éruption volcanique aux proportions gigantesques qui provoque, chez l'énonciateur, un sentiment mélangé de stupeur et de douce euphorie. Or, le volcan en éruption, ainsi que le déluge et autres visions d'apocalypse, est souvent convoqué par Rimbaud pour figurer l'explosion révolutionnaire ("Qu'est-ce pour nous mon cœur...", "Soir historique"). Par ailleurs, le "chaos de glace et de nuit du pôle" apparaît dans plusieurs illuminations comme le théâtre de la bataille amoureuse ("Dévotion", "Métropolitain"). Il en va de même dans Barbare, où les allusions érotiques ne manquent pas (notamment à la fin du poème). D'où cette interprétation proposée par Bruno Claisse :
Ce sens sexuel, qui peut paraître d'abord aléatoire, est renforcé, sinon clairement validé, à la fin du poème avec l'apparition des « larmes blanches, bouillantes » qui ne sont rien d'autre que le saignement de la « force ». Barbare propose en fin de compte une allégorie polysémique, sujette à interprétations érotiques, politiques ou mystiques tout à la fois : un véritable condensé de mythologie rimbaldienne. Le "pavillon en viande saignante" semble y être l'emblème inquiétant et fascinant de l'Inconnu. C'est-à-dire l'Absolu, ou, mieux, le Bonheur absolu, décliné dans tous les registres de l'espérance humaine : désir d'amour, désir de révolution, désir de salut. Il s'agit là d'un bon exemple de la façon dont souvent, chez Rimbaud, une image se complexifie progressivement à partir d'une analogie de départ assez simple mais qui, d'une part, reste sous-entendue, d'autre part, se ramifie en associations d'idées secondaires, générant des pistes d'interprétations différentes mais finalement non-contradictoires. D'où l'hermétisme du résultat.
5) PERSONNIFICATIONS
Dans ces deux exemples, il n'y a aucun terme de comparaison; l'analogie ne porte que sur un seul mot, le verbe ("dorment", "chante"), qui suppose un comparant humain et suggère un sème commun (immobilité du dormeur et du reflet des étoiles dans la rivière; mélodie du chanteur et du courant) : ce sont des métaphores ou, si l'on veut préciser, des personnifications. 6) MÉTAPHORE FILÉE
L'analogie suggérée entre "j'" (le poète) et le "Petit-Poucet" resurgit à la fin de la phrase quand les "rimes" composées par le poète vagabond au cours de son errance sont comparées aux cailloux que le héros du conte égrène sur son chemin. C'est une métaphore filée.
C'est une métaphore filée. Rimbaud évoque dans ces vers des couples de bourgeois (bureaux = bureaucrates) accompagnés de leurs filles (périphrase du troisième vers). Deux termes échappent au domaine de sens de la scène décrite : "traînent", "cornacs", et ne s'y rattachent que par métaphore. Le premier tend à présenter les grosses dames comme des boulets qu'on traîne ou des animaux tenus en laisse par leurs maris. Le second reprend l'image et la précise en faisant de ces dames des éléphants pilotés par leurs filles comme par des "cornacs". 7) UN EXEMPLE COMPLEXE DE PERSONNIFICATION ET DE MÉTAPHORE FILÉE ("MÉMOIRE") À parler de façon sèchement rhétorique, "Mémoire" est une longue et ingénieuse métaphore filée. Le texte décrit, sur le mode de la personnification, les aspects successifs d'une rivière, du matin au soir. Les métamorphoses de l'eau selon les variations de la lumière, l'arrivée du soleil puis son départ, fournissent au poète un vocabulaire symbolique pour raconter l'union et la séparation d'un couple. L'esprit de système avec lequel cette analogie est construite et continuée tout au long du poème, peut être montrée en se servant d'un tableau :
***** Ce n'est pas diminuer le génie de Rimbaud que de montrer, ainsi que nous avons essayé de le faire, comment ses plus belles pages ("Mémoire", "Mauvais sang", "Barbare", par exemple) peuvent être efficacement éclairées par le recours à des outils de lecture finalement assez simples : l'intertextualité (Rimbaud a lu Hugo, Baudelaire, Michelet, Jules Verne, et quelques autres) ; l'intertextualité interne (nous avons observé à plusieurs reprises comment Rimbaud puise dans son œuvre même des images qu'il affectionne et qu'il retravaille en les rendant plus elliptiques et plus complexes) ; et puis, tout simplement, la lecture attentive des textes, dans leur littéralité : ceux qui concluent trop vite à l'illisibilité de Rimbaud avouent surtout par là une lecture trop hâtive, voire paresseuse. Nous n'avons pas trouvé beaucoup d'"ipséismes" (pour reprendre le mot de Victor Segalen) au cours de ce petit panorama de l'image rimbaldienne. Au contraire, il en ressort que Rimbaud transforme souvent des matériaux métaphoriques préexistants qu'il a trouvés soit dans la langue, en tant que métaphores lexicalisées (catachrèses), soit dans la littérature à l'état de clichés. Son art consiste alors à réintroduire du mystère dans cette langue lyrique héritée du romantisme, à insuffler une nouvelle vibration poétique à ces images plus ou moins traditionnelles, par des procédés rhétoriques que nous avons essayé de décrire : figures elliptiques, rapprochant sans justification explicite des réalités éloignées, formulations volontairement ambiguës ou polysémiques, mots choisis pour les virtualités associatives multiples qu'ils recèlent, emploi du terme abstrait pour désigner une réalité concrète, du mot trivial ou familier au lieu du terme noble attendu, etc. C'est grâce à ce travail que sa poésie "frissonne de sensibilité", comme dit Segalen, et nous touche, et nous parle, pour peu qu'on prenne la peine de la lire vraiment.
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