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 JEUNESSE II "SONNET"

 

Sonnet

     Homme de  constitution ordinaire,  la chair
n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger ; — ô
journées enfantes ! — le corps un trésor à prodiguer ; — ô
aimer,  le péril  ou  la force de  Psyché  ?  La terre
avait des versants fertiles en princes et en artistes
et la descendance  et  la race vous poussaient aux
crimes  et  aux deuils  :  le monde votre fortune  et  votre
péril. Mais à présent, ce labeur comblé,  —  toi, tes calculs,
—  toi, tes impatiences  — ne sont plus que votre danse et
votre voix, non fixées et point forcées
1, quoique d'un double
événement d'invention et de succès  +
2  une raison,
—  en  l'humanité  fraternelle  et
3  discrète  par  l'univers,4
sans images ; — la force et le droit réfléchissent la
danse  et  la voix  à présent  seulement appréciées.

______

1. "forcées" ou "forcies" ? Pour PB 2004, "forcies" est certain (580). SM-IV tient pour "forcées" (633-634).

2. On lit un signe "plus" ! N'est-ce pas plutôt un trait barré, "un jambage de lettre biffé horizontalement" (Guyaux) ?

3. Le manuscrit montre un "s" en surcharge entre "e" et "t". Antoine Fongaro propose de lire : "est discrète par l'univers" (De la lettre à l'esprit, p.22). Steve Murphy maintient "et" (SM-IV, 634).

4. La virgule se confond avec le "s" d'"univers" sur le manuscrit : Guyaux estime qu'il y a une virgule, Murphy pense qu'il y a là simplement un "s" de forme exubérante (SM-IV, 633).

 

  

   Le poète est-il lui-même cet « Homme de constitution ordinaire » qu’il apostrophe au début de Jeunesse II ? Le soulignement du mot homme sur le manuscrit semble mettre en relief une identité sexuelle, ce qui coïncide avec le thème abordé par la 1ère phrase du texte : l’amour, comme péril et comme force. Mais le discours continue, s’adressant tantôt à un « tu », tantôt à un « vous ». Et tout le principe du poème repose sur le mystère savamment entretenu par Rimbaud concernant l'identité de ce ou ces destinataires. La 2ème phrase, qui traite du monde et de ses richesses, de l’ambition et de ses périls, introduit un destinataire pluriel. Ce n’est donc pas seulement à lui-même que l’auteur s’adresse depuis le début du texte mais à ses semblables, définis par « la descendance et la race », c’est-à-dire par leur classe sociale (cf. Mauvais sang). Et c’est leur « danse » et leur « voix » qui, dans la 3ème et dernière phrase, deviennent par la grâce d'un « double événement d'invention et de succès » (l'invention du poème sans doute, mais de quel autre événement concomitant a-t-on enregistré le « succès » ?) les valeurs suprêmes d’un monde réinventé, sur quoi se fondent « la force » et « le droit ».


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un
Panorama critique
          et un Bilan de lecture