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Le pouvoir d'un titre
André
Guyaux a révélé, dans Poétique du fragment (p.82), que « le
mot Jeunesse, en haut du feuillet bleu où se trouve le premier des
poèmes réunis sous ce titre, est écrit de la même plume que la copie
d'Enfance
et de
Vies, cette plume qui imprègne le papier d'une manière
caractéristique. » L'écriture de ce mot rappelle aussi celle d'Enfance
par son caractère nettement dextrogyre alors que les deux premiers
poèmes de Jeunesse au moins appartiennent à la catégorie
sinistrogyre. Le titre Jeunesse a donc été inscrit à ce
moment bien identifié dont
NAF14123
illustre les caractéristiques, moment où Rimbaud entreprend la
confection calligraphiée d'un manuscrit pré-typographique. C'est le
moment où, à travers la transcription par enchaînements et
chevauchements qui impose de fait un ordre déterminé à tout éditeur
potentiel, par la constitution tardive de certaines séries,
numérotées (Veillées) ou pas (Phrases), Rimbaud se
soucie visiblement d'organiser son recueil. C'est
aussi de ce moment, probablement, qu'on peut dater la réunion des
quatre poèmes entrant dans la composition de Jeunesse, dans
l'esprit qui préside aux séries numérotées du début du recueil.
L'opération Jeunesse a
donc eu pour but de renforcer l'effet d'organisation
de la fin du recueil — car je ne doute pas que l'emplacement final
qui est le sien aujourd'hui, en compagnie de Génie et de
Solde, ces deux sommes poétiques et métapoétiques, a été
peu ou prou, déterminé par Rimbaud. Mais elle a aussi consolidé la perception du
recueil comme un tout cohérent. Le début des Illuminations est un retour
sur l'enfance. D'une part, avec les cinq poèmes en série d'Enfance.
D'autre part, avec Après le Déluge, que « quelqu'un » —
Rimbaud selon les uns, Fénéon selon les autres — a tenu à placer en
tête des Illuminations. « Une porte claqua [...] » raconte le texte. Et
« l'enfant » qui, « dans la grande maison de vitres encore
ruisselante », ne connaissait du monde que « les merveilleuses
images » voit s'ouvrir devant lui « l'univers sans images » (Jeunesse
II, Sonnet). On comprend que ce personnage, répondant
allégorique du poète, ayant claqué derrière lui la porte de l'école
ou de la maison familiale, s'élance, enfin libre, « sous l'éclatante
giboulée ». Rimbaud affectionne ces alliances de mots joignant en
une formule unique les deux faces, sombre et lumineuse, de la vie : « le
chant clair des malheurs nouveaux » (Génie), « le monde,
votre fortune et votre péril » (Jeunesse II). On trouve une
autre évocation, rédigée en termes voisins, de ce moment mythique du
« départ dans l'affection et le bruit neufs » au début de Génie
: « Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison
ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été ».
Avec son « éclatante giboulée», Après le Déluge recueille,
lui, le souvenir d'un « printemps » :
« Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que
c'était le printemps ». Pour Rimbaud, il s'agit sans doute
d'évoquer, sur un plan symbolique, ce qu'on appelle
traditionnellement le printemps de la vie, l'entrée dans
l'adolescence. On pense irrésistiblement à la lettre à Théodore de
Banville du 24 mai 1870 : « [...] je me suis mis, enfant touché par
le doigt de la Muse, — pardon si c'est banal, — à dire mes bonnes
croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des
poètes — moi j'appelle cela du printemps. »
Ce début aura son répondant à la fin du recueil tel qu'il nous
a été transmis, dans les pièces évoquant la « jeunesse ». Le mot
apparaît déjà dans Angoisse, poème qui n'est pas très éloigné
des trois titres conclusifs Génie-Jeunesse-Solde : « Jeunesse
de cet être-ci ; moi ! ». Mais le thème est surtout développé dans
Dimanche, Sonnet, Vingt ans, "Tu en es encore à la tentation
d'Antoine...". Suggérant l'accession au statut de « jeune femme » ou
de « jeune homme », le mot « jeunesse » annonce l'idée d'un bilan
d'ensemble. Il suggère le regard rétrospectif posé sur tout un
passé, des « journées enfantes » (Jeunesse II) jusqu'à l'âge
de « Vingt ans ». Un regard posé par l'auteur sur toute une période
de sa vie à partir du moment présent, point de bascule vers la vie
adulte (Rimbaud a eu vingt ans le 20 octobre 1874). C'est le moment,
pour le sujet, de dépasser la crise d'adolescence : « L'ébat du zèle
écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi » (Jeunesse
IV). « Ah! l'égoïsme infini de l'adolescence » (Jeunesse III).
On se rappelle aussi la formule par laquelle Dévotion donne
congé à l'adolescence (« À l'adolescent que je fus »).
Un mélancolique contrarié
Dans la lignée du rimbaldisme claudélien, Stanislas Fumet a défini
Rimbaud comme un « mystique contrarié » (« comme on dit un gaucher
contrarié », commente pédagogiquement
Pierre Brunel). Seule la bigoterie ambiante l'aurait empêché de
s'abandonner à sa pente spontanément mystique. J'appliquerais
volontiers l'adjectif, pour mon compte, à sa pente mélancolique, si
manifeste dans les quatre poèmes de la série Jeunesse. Dans
Jeunesse I, Rimbaud se décrit enlisé dans l'ennui
d'un dimanche probablement anglais, asphyxié par le smog qui descend
du ciel (« percé par la peste carbonique » comme le cheval qu'il
voit détaler sur « le turf »), et non moins assailli par les
souvenirs de sa « famille maudite » : « Une misérable femme de
drame, quelque part dans le monde, soupire après des abandons
improbables [...]. De petits enfants étouffent des malédictions le
long des rivières. » Jeunesse III (« Vingt ans ») évoque un
présent morose : une impression d'extrême lenteur (« adagio »), la
crainte de la stérilité en tant que poète (« formes » et « airs »
confondus), l'imminence d'un effondrement nerveux (« les nerfs vont
vite chasser »). Le souvenir des années écoulées lui arrache (une
fois n'est pas coutume) un très romantique soupir de nostalgie :
« que le monde était plein de fleurs cet été ! » Le poème
Guerre, qui présente d'importantes convergences de sens
(la lutte pour une issue harmonique au problème de l'existence), de
structure (passé/présent/futur) et de vocabulaire (le « droit » et la
« force ») avec les différentes sections de la série Jeunesse,
offre aussi du moment présent un sombre tableau assez voisin. Enfin, dans Jeunesse IV,
Rimbaud constate en lui-même cet « ébat du zèle écourté » qu'il reconnaît
dans le saint Antoine du roman de Flaubert (La Tentation de saint
Antoine) : « Tu en es encore à la tentation d'Antoine ». C'est
avouer que la maturité revendiquée est encore loin.
Mais Rimbaud est un mélancolique réticent. Il résume la chose en
deux mots dans Une saison en enfer : « Le spleen n’est
plus mon amour ». Au plus profond du tombeau virtuel où le relègue
son dégoût dans Enfance V, il reste encore, pour le Rimbaud
de 1873-1875 (ce sont les dates indiquées par Verlaine pour la
composition des Illuminations), une voie de salut,
l’imagination : « Aux heures d'amertume, je m'imagine des boules de
saphir, de métal. Je suis maître du silence. » Ces « boules
de saphir, de métal » sont les inventions qui, au sein
du monde recréé par le sujet dans son « salon souterrain »,
suppléent poétiquement à l'occultation des « lunes » et des
« comètes ». Cet espoir placé par Rimbaud dans son
« labeur » (Jeunesse II), son travail
d'écrivain, comme ultime planche de salut revient comme un leitmotiv
dans les diverses sections de Jeunesse : « Mais tu te mettras
à ce travail » (Jeunesse IV), « Reprenons l'étude au bruit de
l'œuvre dévorante qui se rassemble et remonte dans les masses » (Jeunesse
I).
Le mot « masses » n’apparaît que deux fois ailleurs dans
l’œuvre de Rimbaud, les deux fois employé pareillement au pluriel,
dans le poème voisin de Solde : « la probité infernale des
masses » ; « À vendre l’anarchie pour les masses ». Difficile de
donner ici à ce mot un autre sens que politique et social. Serait-il
donc possible que Rimbaud, en 1874, ait encore l’espoir, comme dans
la lettre du voyant, que sa pensée, « énormité devenant
norme, absorbée par tous », « se rassemble et remonte dans les
masses » ? C'est ce qui ressort, d'une manière ou d'une autre de
chacun des poèmes de la série Jeunesse. Dans Jeunesse
II, le poète semble placer tous ses espoirs dans l'avènement d'un
sujet collectif, au terme duquel « tes calculs » et « tes
impatiences » « ne sont plus que votre danse et votre voix »,
« double événement d'invention et de succès » grâce à quoi,
désormais, « la force et le droit » (attributs par définition du
Souverain) « réfléchissent » (reflètent) « la danse et la
voix » : la poésie, mais la poésie comme pratique d'invention
collective et chorale « en l'humanité fraternelle et discrète par
l'univers sans images » (« discrète » au sens mathématique :
quantité constituée d'unités séparées, indépendantes, premier sens
donné par Littré). Jeunesse III, pareillement, en appelle à
« un chœur, pour calmer l'impuissance et l'absence ». Enfin, dans
Jeunesse IV, le poète s'exhorte à un « travail » exploitant «
toutes les possibilités harmoniques et architecturales », suscitant
l'apparition d'« êtres parfaits, imprévus ».
Tout démontre donc que cette auto-exhortation à la construction de l’œuvre se double
chez Rimbaud d'une aspiration pathétique, profondément ressentie sans aucun
doute, à l'accomplissement des espérances utopiques formulées dans
les lettres de mai 1871 et qui n'ont finalement jamais été
renoncées. Par « utopie », j'entends le versant « matérialiste » et
prométhéen du poète voyant :
Le
poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps
dans l'âme universelle [...] le poète est vraiment voleur de
feu. Il est chargé de l'humanité.
en le
distinguant dans la mesure du possible du versant irrationaliste et
faustien :
[...]
il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les
quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi,
de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand
malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême
savant ! — [...]
Un
démiurge ?
Faut-il reconnaître, dans cette thématique récurrente de
l'invention et de la construction de l'œuvre une
« ambition démiurgique » ? Plutôt qu'à un
démiurge, on a affaire, dans ces textes de la fin des
Illuminations, à un utopiste, ce qui ne revient
pas tout à fait au même. L'auteur de Jeunesse IV est un rêveur : c'est de leur propre mouvement
que les « possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de
[son] siège », c'est de leur propre initiative que « des êtres
parfaits, imprévus, s'offriront à [ses] expériences », que
« d’anciennes foules » et des « luxes oisifs » afflueront
« rêveusement », c'est-à-dire comme dans un rêve. Aucune ingénierie
poétique là-dedans. Rimbaud n'y dit plus, comme dans Enfance V : « Je
m'imagine ». Il ne donne pas le produit de
son imagination comme réalisé, il en prophétise la réalisation
future, indépendamment de sa propre volonté. Rimbaud est un rêveur, assumé
comme tel et lucide.
Sur le manuscrit (reproduit ci-dessous) quelqu'un a écrit au
crayon le mot « Veillées », à droite du « IV » de « Tu en es encore
à la tentation d'Antoine...». L'écriture, selon les experts, ne
serait pas celle de Berrichon, qui a effectivement déplacé
Jeunesse IV, dans son édition de 1912, pour en faire la
quatrième section de Veillées, et lui a substitué le poème
Guerre. L'opération n'était certes pas justifiée, au vu des
manuscrits, mais elle n'était pas absurde, au su du texte.
On sait qu'à la fin de ce même poème, qui est le dernier de la
série, Rimbaud conclut :
Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En
tout cas, rien des apparences actuelles.
La
critique, toujours en quête du « démiurge », croit généralement que
Rimbaud annonce ici sa sortie du monde connu et la substitution à ce
dernier d'un monde de son invention. Le « monde extérieur », nous dit
André Guyaux, est « réduit
dans le quatrième texte à émaner de l'impulsion créatrice
personnelle » (1985, p. 115). « Assuré
d'éveiller par sa seule voix un monde extraordinaire, écrit Jean-Luc
Steinmetz, il veut se retirer du nôtre » (1989, p.173). « Nulle
part, peut-être, renchérit Pierre Brunel, Rimbaud ne s'est tant
avancé dans l'annonce d'une sortie qui n'est nullement une sortie de
théâtre, mais le fait de sortir du monde [...] du monde connu pour
accéder [...] à un monde voulu » (2004, p.600).
On peut entendre le texte tout autrement. Loin d'annoncer qu'il
sort de notre monde, Rimbaud se demande dans quel état il le
retrouvera « quand [il] sortira »
... du lieu du poème (de son « salon souterrain », de sa petite
chambre de poète, éventuellement du monde idéal qu'il y aura rêvé,
mais aucunement du « monde connu »). Et il se prend à songer que, l'horloge ayant continué à tourner pendant qu'il
travaillait, la réalité extérieure aura nécessairement perdu, alors, ses « apparences actuelles ».
Le monde aura changé, voilà tout ! C'est une vérité de La Palice.
Sauf, il est vrai, que par cette simple question : « Quant au monde
[...] que sera-t-il devenu ? », Rimbaud ouvre le champ des
possibles. Il se rend disponible à « l'imprévu », dans une posture
qui rappelle celle du poète sentinelle, de l'« être sérieux » de
Soir historique, sur-veilleur « des mers enlevées, des
embrasements souterrains [...] et des exterminations conséquentes ».
Il suggère la possibilité d'un scénario
analogue à celui de Jeunesse II. L'hypothèse d'un « double
événement d'invention et de succès » ayant changé les « apparences
actuelles » dans la même direction que celle illustrée par le poème
(la mise en œuvre de « toutes les possibilités harmoniques et
architecturales », la génération d'« êtres parfaits », etc.). Cela,
grâce à la conjonction du désir individuel, de « l'impulsion
créatrice » de l'auteur et d'un
mouvement « imprévu » des « foules ». Grâce à la conjonction du
« travail » du poète et du « travail » de l'histoire.
De
« l'inventeur » à l'utopiste
Une antique tradition veut que le recueil des
Illuminations reflète une « volonté démiurgique de créer, par la magie de la poésie, un
univers neuf » (Suzanne Bernard,
p.526). « L'expression d'impulsion créatrice,
argumente Suzanne Bernard dans ses notes sur Jeunesse, est
significative. Rimbaud passe, ici, du plan passif de la Voyance au
plan actif de la Poésie ; et
ποιεῖν, c'est
"faire" » (ibid.). Voire ! Je ne
prétendrais certes pas que ce qu'on appelle ambition démiurgique,
entreprise de reconstruction du monde, etc. soit totalement
absent des Illuminations (encore qu'on ait trop tendance à
classer sous cette rubrique tout et n'importe quoi). Mais au fur et
à mesure qu'on s'avance vers la fin de l'œuvre (vers ce que l'on a
appelé le « cycle de la force » et le triptyque conclusif Génie,
Jeunesse, Solde), le démiurge cède progressivement la place à
l'utopiste. Je
rappelle d'ailleurs que, dans l'Adieu d'Une saison en enfer, la
création poétique entendue au sens du
ποιεῖν
est explicitement disqualifiée par Rimbaud, comme ayant été de sa
part une vaine prétention à des pouvoirs surnaturels :
J'ai créé toutes les fêtes, tous
les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de
nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de
nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels.
Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs !
Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute
morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la
réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Il n'en est
pas du tout de même pour l'utopie, aux connotations plus politiques
que visionnaires ou mystiques, dont relève manifestement une formule comme : « Et à
l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux
splendides villes. » Or, il existe une différence non
négligeable
entre le « démiurge » et l'utopiste. Contrairement au premier
qui cherche refuge dans un monde imaginaire personnel édifié à son
usage, le
second vise une « révolution du monde » (Henry, p. 155) dont il sait
qu'elle ne se fera pas sans « l'éveil fraternel de toutes les énergies
chorales et orchestrales » (Solde), sans que « toi, tes
calculs, — toi tes impatiences — » ne deviennent « votre danse et
votre voix » (Jeunesse II), sans un « double événement
d'invention et de succès » (Jeunesse IV). Le démiurge
dit : « Je » ; l'utopiste dit : « Nous ». Et Michael Bishop touche
juste quand il écrit : « le projet harmonique et architectural me
paraît plutôt post-poétique, extra-poétique que simplement
esthétique » (p.30).
C'est certes à juste titre
qu'Yves Bonnefoy a placé au centre des Illuminations ce qu'il
appelle « l'entreprise harmonique » (Rimbaud par lui-même,
1961, p.165). Il est certain que, de À une raison
(« Un coup de ton doigt sur le
tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie ») à
Solde (« les sauts d'harmonie inouïs ») en passant, entre
autres, par Jeunesse I-II-III-IV, inspiré moins par le Timée de
Platon (ibid. p.161) que par l'Harmonie universelle, version
Charles Fourier, sans cesse relayé par une isotopie auditive (sons,
bruit, musique, voix, chant et chœur), le thème est récurrent. Mais Rimbaud qui, d'après Delahaye,
considérait Jules Andrieu comme « un frère d'esprit » avait
probablement lu et médité ce que ce dernier écrit dans
Philosophie et morale :
Il ne s’agit plus
d’imaginer, nous ne créons rien ; il s’agit de transformer, par
la science du passé ou théorie, la brute primitive en homme
moderne, et par la science du présent ou pratique, de
transformer l’homme moderne, ce demi-barbare, en homme
véritablement harmonique. Fourier a signalé le but, sinon les
moyens. (op. cit. p.98-99).
D'où, sans
doute, la moquerie de Solde à l'égard des camelots de
« l'anarchie pour les masses » qui prétendent à des « applications
instantanées ». D'où, peut-être aussi, ce projet d'un recueil
de poèmes en prose, « de titre L'Histoire splendide », que
Rimbaud annonce à Jules Andrieu dans sa lettre du 16 avril 1874. Et
qui sait si ce n'est pas à ce livre futur qu'il pense, quand il
écrit : « Tu te mettras à ce travail [...].
Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes
foules et de luxes oisifs [...] Quant au monde, quand tu sortiras,
que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles » ?
Si l'on veut trouver une évolution de Rimbaud dans sa vision du
monde après les « Vers nouveaux » et Une saison en enfer,
c'est surtout, à mon sens, dans l'intérêt renouvelé pour la pensée
utopique, qu'il faut la chercher. Jeunesse, et de façon
générale, la plupart des poèmes de la dernière partie des
Illuminations, en sont la preuve. Et n'oublions pas que même
Solde, le plus auto-dépréciatif de ses poèmes, se termine par les phrases : « Les vendeurs ne sont pas à
bout de solde ! Les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de
si tôt ! » |