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 JEUNESSE IV

 

IV


   Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi.
   Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.




 


  
Antoine, c'est l'impossible résignation au manque et l'inacceptable limitation du désir. En se faisant ermite, il s'est pourtant engagé à l'une et à l'autre, mais il ne peut s'y tenir et s'en accuse devant Dieu. Comme Antoine son inconstance dans le zèle religieux, Rimbaud se reproche sa permanente insatisfaction, source de son comportement velléitaire, de ses atermoiements à l'heure de choisir sa vie. Il constate en lui-même cet « ébat du zèle écourté » qu'il reconnaît dans le personnage de Flaubert.
   Heureusement, il a, pour trouver refuge « aux heures d'amertume » (Enfance V), son monde à lui, fruit de son « travail ». Là, c'est de leur propre mouvement que « toutes les possibilités harmoniques et architecturales » s'émeuvent « autour » de son « siège », que « des êtres parfaits, imprévus, s'offrent à [ses] expériences », que
« d’anciennes foules » et des « luxes oisifs » affluent « rêveusement » (i.e., comme dans un rêve). On a plutôt affaire au « travail » du rêve, ici, assumé comme tel, qu'à celui du « démiurge » célébré par la tradition critique.
   Quand il sortira, « ce labeur comblé » (Jeunesse II), de sa petite chambre de poète, et retournera dans le monde réel, l'auteur le découvrira beaucoup changé. C'est une vérité de La Palice. Sauf qu'en posant cette simple question : « que sera-t-il devenu ? », Rimbaud ouvre le champ des possibles. Il envisage l'hypothèse d'un « double événement d'invention et de succès » (Jeunesse II) ayant changé les « apparences actuelles » dans la même direction que celle illustrée par le poème, grâce à la conjonction imprévue du « travail » du poète et du « travail » de l'histoire.

 

                                 On pourra trouver ci-après un Panorama critique et un Bilan de lecture