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 JEUNESSE IV

Panorama critique

 

     Les citations sont classées dans l'ordre chronologique. Une note bibliographique en recense les sources. Les éditions courantes (Suzanne Bernard, Jean-Luc Steinmetz, par exemple) n'y sont pas mentionnées. On trouvera leur référence ici. Quand un auteur est cité pour plusieurs ouvrages (un article et une édition, par exemple), je précise la date : « Brunel (1999) » renvoie au Rimbaud de La Pochothèque. Quelques citations d'ouvrages extérieurs à ces deux bibliographies font l'objet d'une référence complète entre parenthèses.

Structure et sens du texte

 

 

BERNARD : « [...] il s'agit d'utiliser toutes les possibilités harmoniques et architecturales pour faire œuvre de création à partir des données offertes par la mémoire et par les sens. Non pas tant, donc, recherche de visions, d'hallucinations, que volonté démiurgique de créer, par la magie de la poésie, un univers neuf : et l'expression d'impulsion créatrice est significative. Rimbaud passe, ici, du plan passif de la Voyance au plan actif de la Poésie ; et ποιεῖν, c'est "faire" » (p.526).

STEINMETZ : « La "tentation d'Antoine" apparaît alors pour ce qu'elle est : un ensemble de fausses magies. Rimbaud, décidé à tenter une nouvelle étude, se place sous l'enseigne d'un orgueil souverain (et non plus puéril). Assuré d'éveiller par sa seule voix un monde extraordinaire, il veut se retirer du nôtre, comme dans Vies III et surtout Enfance V où il se mettait au tombeau pour affiner son rêve. » (p.173).

HENRY : « Jeunesse IV ne soulève aucune discussion : la critique semble reconnaître unanimement la portée proprement littéraire de cette pièce. On pourrait dire que Jeunesse IV, c'est, tout entier, le rêve de création poétique nouvelle se faisant révolution du monde. De même, on acceptera facilement de voir dans Vies des pré-visions de création maîtrisée. » (p.155).

BISHOP : « J'ajouterai, pour conclure, que ce "travail" dont parle Jeunesse — il ne s'agit plus d'"œuvre", de poème — ce travail auquel Rimbaud réfléchit (travail, action à partir d'une fatigue, d'une souffrance, travail de "rédemption" de la part d'un homme qui ne peut s'empêcher de croire qu'il y a mal, rachat, salut : toute une théorie apprise de ce qui pèse sur l'innocence de l'existence), ce travail, mental, psychique surtout, repossibilise, possiblement — tout est projet, "future Vigueur" — la structure et le rythme de tout ce qui est. Il s'agit, il s'agirait d'un travail mettant en mouvement transformations et transfigurations de toutes sortes, motions et émotions d'"êtres parfaits, imprévus" que, d'ailleurs, on n'est pas obligé de chercher : tout s'offre, "s'ém[eut] autour de ton siège" ; tout — perfection, harmonie, faisabilité inimaginable — tout est déjà là, prêt à se révéler. Il ne s'agit pas d'une psychologie/ontologie de la passivité, mais plutôt de l'ouverture, de la disponibilité ontique, du consentement et de la confiance » (p.31-32).

Notes

Tu en es encore à la tentation d'Antoine

GUYAUX (1985) : « Les quatre groupes nominaux, qui suivent le prénom dans un ordre de volumes décroissants, illustrent la comparaison exprimée dans la première phrase, la situation existentielle indiquée par référence. Le zèle écourté trouvera un écho compensatoire dans le travail, au paragraphe suivant. » (p.114).

BRUNEL (2004) : « [R. se] reproche de n'avoir ni évolué, ni progressé : il en est encore à la tentation d'Antoine, de saint Antoine si l'on veut. Il aspire à être envahi de visions. De là le pas en arrière est facile à franchir vers l'état de voyant tel que l'avait défini Rimbaud en mai 1871. Cette expérience ancienne, à laquelle il semblait avoir mis fin en 1873, revient parfois comme une tentation, et cela suffirait à expliquer qu'elle ait encore laissé des traces dans les Illuminations. Rimbaud en est conscient et ce n'est pas sans une certaine sévérité que, sur le mode du tu, il commence par faire son autocritique » (p. 599).


L'ébat du zèle écourté

BRUNEL (2004) : « semble un renoncement trop rapide à une recherche de type actif » (p. 599).


l'effroi

BRUNEL (2004) : « la terreur devant les visions » (p. 599).


Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs.

GUYAUX (1985) : « Des mots comme autour et environs détachent le travail du sujet créateur. La vision de l'avenir appartient à quelqu'un qui la voit hors de lui, spectateur de sa propre impulsion créatrice et de ses effets [...]. La dernière des quatre phrases exprime le mécanisme d'extériorisation et et d'appropriation de l'expérience : l'impulsion créatrice relève de l'actif ; la mémoire et les sens, qui en constituent la nourriture, du passif » (p.114).

BRUNEL (2004) : « des foules éloignées dans l'espace et dans le temps, des cours anciennes et somptueuses (les "luxes oisifs"). C'est toujours à l'horizon du rêve, l'univers des Mille et une nuits, et d'ailleurs Rimbaud n'exclut pas ici ce passage, plus ou moins vague, par le rêve. » (p.600).

FONGARO : « Autour de lui ("tes environs") le rêve ("rêveusement") fera affluer, dans ses visions, des foules d'autrefois (voir, par exemple, la fin de Villes II) ou des milieux luxueux (voir, par exemple, Villes I, avec ses nababs, les divans de velours rouge, les boissons polaires)» (« Un brelan de "veillées" », Rivista di Letterature moderne e comparate, ott.-dic. 2013, p.320).


Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.

GUYAUX (1985) : « On devinait auparavant, grâce à des mots tels que siège, un espace limité. La question finale élargit cet espace et prévoit même d'en sortir. L'espace prévu s'opposera implicitement au premier, dont les êtres parfaits et les luxes oisifs illustraient les apparences actuelles, lesquelles n'auront plus lieu d'être. [...] le monde extérieur [est] réduit [...] à émaner de l'impulsion créatrice personnelle [...] » (p.115).

BRUNEL (2004) : « La fin d'un monde. [...] Nulle part peut-être Rimbaud ne s'est autant avancé dans l'annonce d'une sortie [...] du monde connu pour accéder, non comme Baudelaire, à l'Inconnu, mais à un monde voulu. Certes, des éléments irrationnels seront intervenus, et une autre raison est à l'œuvre. Mais le résultat, "en tout cas" et dans tous les cas, sera la disparition du monde réel, qui n'est que l'amas des "apparences actuelles", au profit d'un monde nouveau que Rimbaud, du moins pour l'instant, nous laisse à imaginer. » (p.600).

 

  On pourra trouver ci-après un Bilan de lecture