On savait depuis longtemps que Rimbaud
avait effectué, sous le pseudonyme de Jean Baudry, plusieurs envois
d'œuvres siennes au Progrès des Ardennes. Mais c'est très
récemment seulement que le document ci-dessous a été déniché chez un
bouquiniste de Charleville par le cinéaste Patrick Taliercio et reproduit par
L'Union (24/04/2008).
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L'attribution ne fait
aucun doute : l'existence du texte était connue par Delahaye, qui
donnait du "Rêve de Bismarck" un résumé assez fidèle dans ses Souvenirs
familiers (cf. la biographie de Lefrère chez Fayard, p.212-213).
Mais on ignorait que le texte eût été réellement publié et on n'en
connaissait pas la lettre jusqu'ici.
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Texte de Rimbaud,
signé du pseudonyme "Jean Baudry", publié dans Le Progrès
des Ardennes, le 25 novembre 1870. Pas de manuscrit connu.
Une déchirure correspondant à
une pliure du seul exemplaire qui ait été retrouvé empêche de lire trois lignes du texte :
Source :
L'Union.
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LE
RÊVE DE BISMARCK
(FANTAISIE)
C'est le soir. Sous sa
tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de
France, médite ; de son immense pipe s'échappe un filet bleu.
Bismarck médite.
Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de
la Moselle à la Seine ; de l'ongle, il a rayé imperceptiblement le
papier autour de Strasbourg : il passe outre.
A
Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit
doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg,
raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, — et
s'arrête…
Triomphant, Bismarck a couvert de son index l'Alsace et
la Lorraine ! — Oh ! sous son crâne jaune, quels délires d'avare !
Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse !…
* *
*
Bismarck médite. Tiens ! un gros point noir semble arrêter
l'index frétillant. C'est Paris.
Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le
papier, de ci, de là, avec rage, — enfin, de s'arrêter… Le doigt
reste là, moitié plié, immobile.
Paris ! Paris ! — Puis, le bonhomme a tant rêvé l'œil
ouvert, que, doucement, la somnolence s'empare de lui : son front se
penche vers le papier ; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée
à ses lèvres, s'abat sur le vilain point noir…
Hi ! povero ! en abandonnant sa pauvre tête, son nez,
le nez de M. Otto de Bismarck, s'est plongé dans le fourneau ardent… Hi
! povero ! va povero ! dans le fourneau incandescent de la pipe…, hi !
povero ! Son index était sur Paris !… Fini, le rêve glorieux !
* *
*
Il était
si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate ! —
Cachez, cachez ce nez !…
Eh bien ! mon cher, quand, pour partager la choucroûte (sic)
royale, vous rentrerez au palais [...........................] avec
des cris de... dame [.......................] dans l'histoire, vous
porterez [...............................................]re vos
yeux stupides.
Voilà ! fallait pas
rêvasser !
Jean Baudry |