LETTRE À JULES ANDRIEU DU 16 AVRIL 1874
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C'est à un
arrière petit-fils de Jules Andrieu (1838-1884) que l'on doit la
révélation de cet inédit. Dans un
texte adressé à la revue
Parade sauvage, Alain Rochereau raconte comment il a découvert
cette lettre, dans "les années 1960", au sein d'"archives familiales
(soigneusement rangées dans une vingtaine de classeurs, façon faux
livres anciens à dos en cuir", par les soins de George Andrieu, fils
du destinataire de la lettre). Mais c'est bien des années plus tard
qu'un chercheur rimbaldien, Frédéric Thomas, prenant connaissance de
la biographie de Jules Andrieu
récemment mise en ligne par Alain Rochereau, eut la surprise d'y découvrir le fac-similé d'un
texte inconnu du poète. La
présentation de ce document sur le site
internet de
Parade
sauvage (le 27/09/2018)
et le commentaire
procuré à cette occasion par Frédéric Thomas semblent avoir immédiatement convaincu les spécialistes de
l'authenticité du texte et de son importance
pour la connaissance de Rimbaud.
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À JULES ANDRIEU
Londres, 16 avril 1874
Localisation inconnue
On trouvera ci-contre une
reproduction du fac-similé fourni par Alain Rochereau
(3 pages), précédée d'une transcription. Sauf de très légères et
rares modifications (essentiellement typographiques), cette
transcription est celle publiée par Frédéric Thomas dans Parade
sauvage n°29. Mais sans ses très précieuses notes : il est
vivement conseillé au lecteur de se reporter à l'original et, de
façon plus générale, au commentaire et aux documents rassemblés par
ce chercheur sur le
site internet de Parade sauvage.
On pourra consulter aussi sur notre
site :
un
répertoire des échos rencontrés sur la toile par la découverte de
cette lettre inédite en 2018
notre
propre
commentaire du
texte.
une contribution d'Yves Reboul, auteur, entre
autres, de
Rimbaud dans son temps.
une
contribution de Frédéric Thomas,
auteur, entre autres, de
Rimbaud révolution, en réponse au
précédent.
sommaire
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London, 16 April 74
Monsieur,
— Avec toutes
excuses
sur la forme de ce qui suit, — Je voudrais entreprendre un ouvrage en
livraisons, avec titre : L’Histoire splendide.
Je réserve : le format ; la
traduction, (anglaise d’abord) le style devant être négatif et
l’étrangeté des détails et la (magnifique) perversion de l’ensemble ne
devant affecter d’autre phraséologie
que celle possible pour la traduction immédiate. — Comme suite de ce boniment sommaire : Je
prise
que l’éditeur ne peut se trouver que sur la présentation de deux ou
trois morceaux hautement choisis. Faut-il des préparations dans le monde
bibliographique, ou
dans le monde, pour cette entreprise, je ne sais pas ? — Enfin
: c’est peut-être une spéculation sur l’ignorance où l’on est maintenant
de l’histoire, (le seul bazar moral qu’on n’exploite pas maintenant) —
et ici principalement (m’a-t-on dit (?)) ils ne savent rien en histoire
— et cette forme à
cette spéculation me semble assez dans leurs goûts littéraires — Pour
terminer : je sais comment on se pose en double-voyant
pour la foule, qui ne s’occupa jamais à voir, qui n’a peut-être pas
besoin de voir. En peu de mots (!)
une série indéfinie de morceaux de bravoure historique, commençant à
n’importe quels annales ou fables ou souvenirs très anciens. Le vrai
principe de ce noble travail est une réclame frappante ; la suite
pédagogique de ces morceaux peut être aussi créée par des
réclames en tête de la livraison, ou détachées. — Comme description, rappelez-vous les procédés de
Salammbô :
comme liaisons et explanations
mystiques, Quinet et Michelet : MIEUX.
Puis une archéologie ultrà-romanesque
suivant le drame de l’histoire ; du mysticisme de chic, roulant
toutes controverses ; du poème en prose à la mode d’ici ; des habiletés
de nouvelliste aux points obscurs. – Soyez prévenu que je n’ai en tête
pas plus de panoramas, ni plus de curiosités historiques qu’aucun bachelier de quelques années — Je veux faire une affaire ici. Monsieur, je sais ce que vous savez et comment vous savez : or
je vous ouvre un
questionnaire, (ceci ressemble à une équation impossible), quel travail,
de qui, peut être pris comme le plus ancien (latest)
des commencements ? à une certaine date (ce doit être dans la suite)
quelle chronologie universelle ? — Je crois que je ne
dois bien prévoir que la partie ancienne ; le
Moyen-âge et les temps modernes
réservés ; hors cela que je n’ose prévoir — Voyez-vous quelles plus
anciennes annales,
scientifiques ou fabuleuses je puis compulser ? Ensuite, quels travaux
généraux ou partiels d’archéologie ou de chronique
? Je finis en demandant quelle date de paix vous me donnez sur
l’ensemble Grec Romain Africain.
Voyons : il y aura illustrés en
prose à la Doré, le décor des religions, les traits du
droit, l’enharmonie
des fatalités populaires exhibées
avec les costumes et les paysages, — le tout pris et divisé à des dates
plus ou moins atroces ; batailles, migrations, scènes révolutionnaires :
souvent un peu exotiques, sans
forme jusqu’ici dans les cours ou chez les fantaisistes. D’ailleurs,
l’affaire posée, je serai libre d’aller mystiquement, ou vulgairement,
ou savamment. Mais un plan est indispensable. Quoique ce soit tout à fait
industriel et que les heures destinées à la confection de cet ouvrage
m’apparaissent méprisables, la composition ne laisse pas que de me
sembler fort ardue. Ainsi je n’écris pas mes demandes de renseignements,
une réponse vous gênerait plus ; je sollicite de vous une demi-heure de
conversation, l’heure et le lieu s’il vous plait, sûr que vous
avez saisi le plan et que nous l’expliquerons promptement — pour une
forme inouïe et anglaise — Réponse s’il vous plait. Mes salutations respectueuses.
Rimbaud
30 Argyle square, Euston Rd.
W.C.
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