Rimbaud, le poète / Accueil > Tous les textes > Trois baisers

 
 

TROIS BAISERS


   Comment l'idée est-elle venue à Rimbaud d'envoyer un de ses poèmes à La Charge ? Cette revue satirique anti-bonapartiste, dirigée par le caricaturiste, ami de Verlaine, Alfred Le Petit, était née seulement quelques mois plus tôt, le 13 janvier 1870. Il faut croire qu'Arthur était fort au courant  de  ce genre de nouveautés  et, en effet, certains

de ses dessins de cette époque (qui se vendent aujourd'huià prix d'or dans les ventes aux enchères) ne sont que des décalques de cette revue et de quelques autres de même nature. L'un de ces décalques représente deux têtes de votants "oui" et une tête de votant "non" au plébiscite du 8 mai 1870.


 

Texte publié dans le journal satirique La charge le 13 août 1870.

Il s'agit d'un état antérieur de la pièce du dossier Demeny intitulée Première soirée. Voir ce texte : Dossier P.Demeny (1870)
 

 

     Trois baisers

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

— Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
À son sein blanc, — mouche au rosier !

— Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : "Veux-tu finir !"
— La première audace permise,
Elle feignait de me punir !

— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : "Ah ! c'est encor mieux !

Monsieur, j'ai deux mots à te dire..."
— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser. — Elle eut un rire,
Un bon rire qui voulait bien...

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

 

               Sommaire