Rimbaud, le Poète / Accueil > Tous les textes > Archives Georges Izambard des lettres de 1870

 

ARCHIVES IZAMBARD / LETTRES DE 1870


   La première lettre ci-dessous montre que les exercices scolaires proposés par Izambard pouvaient occasionner chez un élève comme Rimbaud des recherches approfondies, au bénéfice desquelles il n'hésitait pas à solliciter la bibliothèque de son professeur.
   Le 18 juillet, Izambard quitte Charleville pour prendre ses vacances dans sa ville de Douai où il accueillera Rimbaud au cours de ses fugues ou pérégrinations de l'automne (29 août-1er novembre 1870).
Voir ci-après notre page sur le Dossier Demeny. Plusieurs lettres adressées par l'ancien élève à son ex-professeur, documents de premier ordre pour suivre Rimbaud dans ces mois décisifs, datent de cette période. Ces lettres représentent un témoignage privilégié concernant la situation affective de Rimbaud (par rapport à sa mère, par rapport à Izambard), ses préoccupations littéraires (cf. notamment son jugement admiratif sur les audaces de la versification de Verlaine), ses idées politiques (son défaitisme face au bellicisme de l'Empire, son mépris du "patrouillotisme" bourgeois en août 1870, suivi d'une revendication patriotique de la "guerre à outrance" dans la "lettre de protestation", quand l'Empire est battu et que la République est en péril (au mois de septembre).
   Excellents fac-similés en couleur dans : Arthur Rimbaud, Correspondance, présentation et notes de Jean-Jacques Lefrère, 2007, Fayard.  






 

Lettre à Izambard (sans date)
Lettre à Izambard du 25 août 1870
Lettre à Izambard du 5 septembre 1870
Lettre dite "de protestation"  
Lettre à Izambard du 2 novembre 1870


 

Manuscrit autographe.
Collection particulière.

Ce billet laconique a probablement été adressé à Izambard en vue de la "lettre imaginaire de Charles d'Orléans à Louis XI", sujet de composition française  donné par le professeur à ses élèves de Rhétorique. Date précise inconnue : premier semestre de 1870.

 

 
                       

                     Si vous avez, et si vous pouvez me prêter :
(ceci surtout)  1° Curiosités historiques, 1 vol. de Ludovic Lalanne, je crois.
                     2° Curiosités bibliographiques, 1 vol. du même ;
                     3° Curiosités de l'histoire de France, par P. Jacob, première série,
                     contenant la Fête des fous, le Roi des Ribauds, les Francs-Taupins,
                     Les fous des rois de France,
(et ceci surtout)... et la deuxième série du même ouvrage,
                     Je viendrai chercher cela demain, vers 10 heures ou 10 heures un
                     quart. — Je vous serai très obligé. Cela me sera fort utile.
                                                                                      Arthur Rimbaud.

Sommaire
 


Lettre à Georges Izambard
25 août 1870

La lettre est adressée à l'adresse douaisienne du professeur (29, rue de l'Abbaye-des-Prés, Douai, Nord), avec la mention "Très pressé".
 

Charleville, 25 août 1870.

   Monsieur,

   Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! — Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté de Mézières, — une ville qu'on ne trouve pas, — parce qu'elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève !... Moi j'aime mieux la voir assise : ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe.
   Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j'espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries enfin ; j'espérais surtout des journaux, des livres... Rien ! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable Courrier des Ardennes, — propriétaire, gérant, directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les vœux et les opinions de la population : ainsi jugez ! c'est du propre !... On est exilé dans sa patrie !!!
   Heureusement, j'ai votre chambre : — Vous vous rappelez la permission que vous m'avez donnée. — J'ai emporté la moitié de vos livres ! J'ai pris Le Diable à Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de
Grandville ? — J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus, deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves, puis aux Glaneuses, — oui ! j'ai relu ce volume ! — puis ce fut tout !... Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !... Le Don Quichotte m'apparut ; hier, j'ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n'ai plus rien !
   Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
   Vous aviez l'air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poésies, les Rayons perdus, 4e édition. J'ai là une pièce très émue et bort belle, Marguerite ;

..................................................................
"Moi, j'étais à l'écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux bleus si doux :
C'est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent...
....................................................................
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère...
..................................................................
Jamais on ne dira de moi : c'est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : maman !
C'en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine...
..................................................................
Ma vie, à dix-huit ans, compte tout un passé. "
 

C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone,[ici, Rimbaud écrit le nom d'Antigone en alphabet grec], dans Sophocle.
   J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable. Parfois de fortes licences : ainsi,

Et la tigresse épou - vantable d'Hyrcanie

est un vers de ce volume. Achetez, je vous le conseille, La Bonne Chanson, un petit volume de vers du même poète : ça vient de paraître chez Lemerre ; je ne l'ai pas lu : rien n'arrive ici ; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien.
   Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages — poste restante — et bien vite !

A. RIMBAUD.

P. S. — À bientôt, des révélations sur la vie que je vais mener après... les vacances...

 

    

  Sommaire


 

À GEORGES IZAMBARD
5 septembre 1870

Ce manuscrit était détenu par le Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville, où il a été volé.

 

     

Paris, 5 septembre 1870.

 
 

   Cher Monsieur,

   Ce que vous me conseilliez de ne pas faire, je l'ai fait : je suis allé à Paris, quittant la maison maternelle ! J'ai fait ce tour le 29 août.

   Arrêté en descendant de wagon pour n'avoir pas un sou et devoir treize francs de chemin de fer, je fus conduit à la préfecture, et aujourd'hui, j'attends mon jugement à Mazas ! oh ! — J'espère en vous comme en ma mère ; vous m'avez toujours été comme un frère : je vous demande instamment cette aide que vous m'offrîtes. J'ai écrit à ma mère, au procureur impérial, au commissaire de police de Charleville ; si vous ne recevez de moi aucune nouvelle mercredi, avant le train qui conduit de Douai à Paris, prenez ce train, venez ici me réclamer par lettre, ou en vous présentant au procureur, en priant, en répondant de moi, en payant ma dette ! Faites tout ce que vous pourrez, et, quand vous recevrez cette lettre, écrivez, vous aussi, je vous l'ordonne, oui, écrivez à ma pauvre mère (Quai de la Madeleine, 5, Charleville) pour la consoler. Écrivez-moi aussi ; faites tout ! Je vous aime comme un frère, je vous aimerai comme un père.

   Je vous serre la main

 Votre pauvre

 ARTHUR RIMBAUD
 à Mazas.
 

   (et si vous parvenez à me libérer, vous m'emmènerez à Douai avec [vous].)

 

 

Sommaire


Lettre de protestation,
20 septembre 1870

Autographe.

Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville.

Ce projet de pétition qui, si l'on en croit Jean-Jacques Lefrère (Arthur Rimbaud, Fayard, p.167-168), n'a pas été diffusé, a été rédigé par Rimbaud à l'issue d'une réunion de la Garde nationale de Douai. Il aurait été ensuite soumis à Izambard qui aurait décidé de ne pas l'exploiter pour une raison que l'on ignore, mais l'aurait conservé dans ses archives rimbaldiennes. Selon Lefrère, le signataire virtuel "F.Petit" serait sans doute un garde national ; selon Louis Forestier, un pseudonyme habituellement employé par Izambard lui-même dans son journal Le Libéral du Nord (LF, 523).

Publiée dans Le Libéral du Nord le 25 septembre 1870 selon d'autres sources !!

 

                   

LETTRE DE PROTESTATION

Douai, 20 septembre 1870.

     Nous soussignés, membres de la Légion de la Garde nationale sédentaire de Douai, protestons contre la lettre de monsieur Maurice, maire de Douai, portée à l'ordre du jour du 18 septembre 1870.
     Pour répondre aux nombreuses réclamations des gardes nationaux non armés, Monsieur le Maire nous renvoie aux consignes données par le ministre de la Guerre ; dans cette lettre insinuante, il semble accuser de mauvaise volonté ou d'imprévoyance le ministre de la Guerre et celui de l'Intérieur. Sans nous ériger en défenseurs d'une cause gagnée, nous avons le droit de remarquer que l'insuffisance des armes en ce moment doit être imputée seulement à l'imprévoyance et à la mauvaise volonté du gouvernement déchu, dont nous subissons encore les conséquences.
     Nous devons tous comprendre les motifs qui déterminent le Gouvernement de la Défense nationale à réserver les armes qui lui restent encore aux soldats de l'armée active, ainsi qu'aux gardes mobiles : ceux-là, évidemment, doivent être armés avant nous par le Gouvernement. Est-ce à dire que l'on ne pourra pas donner des armes aux trois-quarts des gardes nationaux, pourtant bien décidés à se défendre en cas d'attaque ? Non pas : ils ne veulent pas rester inutiles : il faut à tout prix qu'on leur trouve des armes. C'est aux Conseils municipaux, élus par eux, qu'il appartient de leur en procurer. Le maire, en pareil cas, doit prendre l'initiative et, comme on l'a fait déjà dans mainte commune de France, il doit spontanément mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose, pour l'achat et la distribution les armes dans sa commune.
     Nous aurons à voter dimanche prochain pour les élections municipales, et nous ne voulons accorder nos voix qu'à ceux qui, dans leurs paroles et dans leurs actes, se seront montrés dévoués à nos intérêts. Or, selon nous, la lettre du maire de Douai, lue publiquement, dimanche dernier, après la revue, tendait, volontairement ou non, à jeter le discrédit sur le Gouvernement de la Défense nationale, à semer le découragement dans nos rangs, comme s'il ne restait plus rien à faire à l'initiative municipale : c'est pourquoi nous avons cru devoir protester contre les intentions apparentes de cette lettre.

F. Petit.


Sommaire


 

Lettre à Georges Izambard
2 novembre 1870

Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville
 


 

                  

Charleville, le 2 novembre 1870.



   Monsieur,

— A vous seul ceci.—

   Je suis rentré à Charleville un jour après vous avoir quitté. Ma Mère m'a reçu, et je suis là... tout à fait oisif. Ma mère ne me mettrait en pension qu'en janvier 71.
   Eh bien ! j'ai tenu ma promesse.
   Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. Que voulez-vous, je m'entête affreusement à adorer la liberté libre, et... un tas de choses que "ça fait pitié", n'est-ce pas ? Je devais repartir aujourd'hui même ; je le pouvais : j'étais vêtu de neuf, j'aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! — Donc je suis resté ! je suis resté ! — et je voudrai repartir encore bien des fois. — Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons. — Mais je resterai, je resterai. Je n'ai pas promis cela ! Mais je le ferai pour mériter votre affection : vous me l'avez dit. Je la mériterai.
   Le reconnaissance que je vous ai, je ne saurais pas vous l'exprimer aujourd'hui plus que l'autre jour. Je vous la prouverai. Il s'agirait de faire quelque chose pour vous, que je mourrais pour le faire, — je vous en donne ma parole.— J'ai encore un tas de choses à dire...
                                                           Ce "sans-cœur" de
                                                                                         A. RIMBAUD.

   Guerre : — pas de siège de Mézières. Pour quand ? On n'en parle pas. J'ai fait votre commission à M. Deverrière, et, s'il faut faire plus, je le ferai. — Par-ci, par là, des francs-tirades. — Abominable prurigo d'idiotisme, tel est l'esprit de la population. On en entend de belles, allez. C'est dissolvant.


Sommaire