Fairy
Pour Hélène se conjurèrent les sèves
ornamentales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le
silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux muets et
l'indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses
d'amours morts et de parfums affaissés.
— Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent
sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals,
et du cri des steppes. —
Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres —
et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux
influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques.
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Pour Hélène « se conjurèrent »
tous les rois de la Grèce. Mais pour cette Hélène-ci, qui est un être
féerique
(au sens de l'adjectif « fairy »),
pour lui donner naissance probablement, c'est toute la nature qui s'est
jointe au complot.
Ce furent d'abord les « ombres vierges » de la terre
printanière, que fécondent les « sèves » et qui s'orne
de leurs fruits ; le ciel avec ses « clartés impassibles » et son
« silence astral ».
La nature, cependant, perdit beaucoup de son charme avec « l'ardeur de l'été » qui
rend les « oiseaux muets » et génère une « indolence » dont le
poète a « confié » l'évocation à « des anses d'amours morts et de parfums
affaissés », c'est-à-dire à la nappe d'eau stagnante où vient s'enliser « une
barque de deuils sans prix » (« sans prix » parce c'est de
l'amour, des « amours
morts », qu'elle porte le « deuil »).
— Après l'automne, « moment de l'air des bûcheronnes », ces femmes qui participent avec leur cognée à
la « ruine des bois » (leur dépouillement automnal peut-être),
parmi les beuglements et les cris, « à la rumeur du torrent » —
« [p]our l'enfance d'Hélène », « les ombres » des bois et « les fourrures » de
leurs habitants frissonnèrent, les « légendes du ciel » firent palpiter « le
sein des pauvres ».
« Et ses yeux et sa danse supérieurs encore » à toutes ces féeries,
féeries du « décor et de l'heure uniques ». Le décor n'est pas sans évoquer l'univers
arctique de certaines Illuminations (« éclats précieux »,
« influences froides »), lieu symbolique d'une épreuve à la faveur de
laquelle le sujet mesure sa force (voir la fin de Métropolitain,
entre autres). L'heure est celle où Hélène a pris la mesure de sa force, où
sa force s'est révélée à elle. C'est ce qui fait de ce décor et de cette
heure un décor et une heure « uniques ».
Selon Michel Murat ce poème n'est qu'un « exercice » de
discours épidictique, « dont l'objet reste
fictif et conventionnel ». On connaît malgré tout l'importance du
thème de
l'enfance fabuleuse dans l'automythographie rimbaldienne et, en se rappelant certaines insistances
de la dernière partie des Illuminations, il est possible de voir en Hélène, avec Pierre
Brunel, « une figure de la force de la vie ». Comme dans
Guerre ou dans Jeunesse
II. Sonnet, Rimbaud se remémorerait à travers elle ses débuts
pleins de promesses sur les « versants fertiles » de la terre, ses lointaines « journées enfantes », tout en célébrant par contraste l'accession à une force
« supérieure »
symbolisée par la danse.
Panorama critique
Sur la deuxième phrase
de Fairy : la
« barque de deuils » ou
le symbole ipséiste
Une
hypothèse pour la structure de Fairy
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