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Fairy (Les Illuminations 1873-1875)

 

 

Fairy


  Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornamentales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums affaissés.
   — Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals, et du cri des steppes. —
  Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres — et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.
   Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 


 

 
    Pour Hélène « se conjurèrent » tous les rois de la Grèce. Mais pour cette Hélène-ci, qui est un être féerique (au sens de l'adjectif « fairy »), pour lui donner naissance probablement, c'est toute la nature qui s'est jointe au complot.
  Ce furent d'abord les « ombres vierges » de la terre printanière, que fécondent les « sèves » et qui s'orne de leurs fruits ; le ciel avec ses « clartés impassibles » et son « silence astral ».
  La nature, cependant, perdit beaucoup de son charme avec « l'ardeur de l'été » qui rend les « oiseaux muets » et génère une « indolence » dont le poète a « confié » l'évocation à « des anses d'amours morts et de parfums affaissés », c'est-à-dire à la nappe d'eau stagnante où vient s'enliser « une barque de deuils sans prix » (« sans prix » parce c'est de l'amour, des « amours morts », qu'elle porte le « deuil »).
  — Après l'automne, « moment de l'air des bûcheronnes », ces femmes qui participent avec leur cognée à la « ruine des bois » (leur dépouillement automnal peut-être), parmi les beuglements et les cris, « à la rumeur du torrent » —
   « [p]our l'enfance d'Hélène », « les ombres » des bois et « les fourrures » de leurs habitants frissonnèrent, les « légendes du ciel » firent palpiter « le sein des pauvres ».
   « Et ses yeux et sa danse supérieurs encore » à toutes ces féeries, féeries du « décor et de l'heure uniques ». Le décor n'est pas sans évoquer l'univers arctique de certaines Illuminations (« éclats précieux », « influences froides »), lieu symbolique d'une épreuve à la faveur de laquelle le sujet mesure sa force (voir la fin de Métropolitain, entre autres). L'heure est celle où Hélène a pris la mesure de sa force, où sa force s'est révélée à elle. C'est ce qui fait de ce décor et de cette heure un décor et une heure « uniques ». 
   Selon Michel Murat ce poème n'est qu'un « exercice » de discours épidictique, « dont l'objet reste fictif et conventionnel ». On connaît malgré tout l'importance du thème de l'enfance fabuleuse dans l'automythographie rimbaldienne et, en se rappelant certaines insistances de la dernière partie des Illuminations, il est possible de voir en Hélène, avec Pierre Brunel, « une figure de la force de la vie ». Comme dans Guerre ou dans Jeunesse II. Sonnet, Rimbaud se remémorerait à travers elle ses débuts pleins de promesses sur les « versants fertiles » de la terre, ses lointaines « journées enfantes », tout en célébrant par contraste l'accession à une force « supérieure » symbolisée par la danse.

 

Panorama critique

Sur la deuxième phrase de Fairy : la
« barque de deuils » ou le symbole ipséiste

Une hypothèse pour la structure de Fairy

 

 

 

 

  Sur les manuscrits des cinq poèmes absents des éditions de 1886 qui ne furent publiés qu'en 1895 chez Vanier


Autographe BnF de Fairy