Notes
Titre
▪ 1er quatrain ▪
2e quatrain ▪ 1e tercet
▪ 2e tercet
La mention
"op. cit." renvoie à la bibliographie proposée en fin de page
Titre
Le titre du poème est surmonté de celui du recueil parodié :
L'Idole. Dans une lettre à Charles Morice du 25 décembre
1883, Verlaine présente le texte de la façon suivante : "C'est un
complément à L'Idole de Mérat (lui toujours, lui
partout !) fait en collaboration par Rimbaud et moi. Les
quatrains sont de moi, le reste de l'autre" (Michael Pakenham,
Correspondance générale de Verlaine, Fayard, t.I, p.833). Le
mot "complément" rappelle de façon plaisante la mutilation pudibonde
imposée par l'éditeur (et peut-être trop frileusement acceptée par
l'auteur, au jugement de Verlaine). En effet, la pièce ultime de ce
recueil de sonnets parut trop hardie à l'éditeur Lemerre qui
exigea une conclusion moins impudique. Dans le
Dernier Sonnet composé pour remplacer la pièce censurée,
Mérat exprime son regret de n'avoir pu peindre Vénus dans toute sa
nudité :
Donc, mon œuvre
sera par moi-même meurtrie :
Au lieu de nu superbe, un pli de draperie
Dérobera la fuite adorable des flancs. |
Ce serait donc pour
répondre à leur tour à cette odieuse censure que Verlaine et Rimbaud
auraient composé le Sonnet du trou du cul. Mais "compléter"
un recueil à la gloire de l'éternelle idole, la Femme, par un sonnet
célébrant la sodomie de la façon la plus crue constituait une forme
de parodie particulièrement provocatrice.
1er
quatrain
v.1 Obscur et froncé
comme un œillet violet
La précision de la
description et la proximité du titre ne laissent aucun
doute sur ce que désigne exactement le mot "œillet". On se
demande toutefois si ces "fesses blanches" (v.4) sont
vraiment celles d'une
femme comme le v.14 feint de vouloir nous le faire croire ("Chanaan
féminin") et comme le surtitre semblerait l'impliquer (le
recueil parodié, L'Idole, blasonne le corps féminin). Ce
qu'on sait des auteurs incite fortement à une autre
interprétation.
Comme la tradition
critique (cf. Murphy, Pakenham ...) l'a signalé depuis
longtemps, l'usage du mot "œillet" pour désigner l'anus
est attesté par le Dictionnaire érotique moderne de Delvau, à
son article "boutonnière", comme appartenant à l'argot des
homosexuels (des "pédérastes" comme on disait alors) :
"boutonnière : la nature de la femme, en
opposition à l'anus que MM. les pédérastes appellent l'œillet"
(cf. Pakenham, op.cit. 1111).
Steve Murphy a par
ailleurs signalé en 2006 ("Sur quelques sonnets renversants de
Verlaine", Plaisance, 8, Hommage à Louis Forestier,
p.125 n.15) un sonnet érotique de Henri Cantel où le mot figure dans
ce sens précis (v.13). Rimbaud a fort bien pu connaître ce texte
puisqu'il a été publié (à Bruxelles) en 1869 :
Éphèbe
Tes fesses ont l'odeur du lys,
et la pudeur De la rose au matin, blanc jeune homme, et ma verge Qui veut cueillir deux fois les primeurs d'un corps vierge, Rêve de se plonger entre leur profondeur.
Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile Les baignera d'un flot qui monte jusqu'au cœur, Mes mains, jouant autour de ton jardin nubile, De tes sens enflammés attiseront l'ardeur.
Je t'aime, hermaphrodite, et je soupire encore ! Viens ! apaise à ton tour le feu qui me dévore ; C'est un secret nouveau ; viens, et sois mon époux !
Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux S'ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s'ouvre... — Beau marbre, adieu ! retourne à ton coussin du Louvre !
Henri Cantel, Amours et Priapées (1869)
Daniel Grojnowski a
signalé la présence peut-être significative de 5 "o" dans ce premier
vers (Minute d'éveil, Rimbaud maintenant, 1984,
p.103-114) :
Obscur et frOncé
cOmme un Oeillet viOlet
Bernard Teyssèdre
juge probable que ce vers ait été associé, dans l'esprit de Rimbaud,
avec le dernier vers du sonnet des
Voyelles, dédié à la lettre "o", où sont aussi présents la
couleur violette et le motif de l'œil (op.cit. 141).
v.2 la mousse
"Que signifie la
"mousse" ? Pour Fongaro, il s'agit des poils. Pour Chambon, de la
matière fécale." (Teyssèdre, op.cit. 142).
S'il s'agit bien
des poils, le détail tend à confirmer le caractère masculin de
l'objet de la description, comme l'a observé Philippe Rocher (op.cit.
189) : "un anus 'tapi' parmi les poils est plus typiquement masculin
et cette différence sera d'ailleurs un argument du sonnet des Stupra
Nos
fesses ne sont pas les leurs..." :
Nos fesses ne
sont pas les leurs. Souvent j'ai vu
Des gens déboutonnés derrière quelque haie,
Et, dans ces bains sans gêne où l'enfance s'égaie,
J'observais le plan et l'effet de notre cul.
Plus ferme, blême en bien des cas, il est pourvu
De méplats évidents que tapisse la claie
Des poils ; pour elles, c'est seulement dans la raie
Charmante que fleurit le long satin touffu. [...]
v.3 amour
Le mot "amour" est
utilisé par Verlaine comme métonyme de "sperme", ce qui lui permet
d'écrire que la mousse est humide d'amour et que l'amour suit la
fuite des fesses. Rimbaud, dans les tercets, utilisera le même
procédé en utilisant dans un sens phallique deux mots de sens
abstrait appartenant au registre noble ("âme" et "rêve").
v.3-4 la fuite douce / Des Fesses blanches
Comme l'indique
Philippe Rocher (op.cit. 185), le mot "fuite" qui évoque le domaine
du dessin (de la perspective) semble directement imité de
L'Idole de Mérat : "Un pli de draperie / Dérobera la fuite
adorable des flancs" (Dernier Sonnet).
v.4 ourlet
Les commentateurs ont
noté l'appartenance significative du mot "ourlet" au champ lexical
de la couture, déjà représenté dans le texte par les mots "œillet"
et "froncé".
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2e
quatrain
v.5 Des
filaments pareils à des larmes de lait / Ont pleuré
"Les larmes de lait
du sonnet sont, comme dans toute la tradition pornographique,
séminales" (Murphy, op.cit. 260).
Bernard Teyssèdre
commente : "vers d'une harmonie olympienne (quoique ironique)
brusquement rompue par le déhanchement du rejet [...] digne du
Bateau ivre. La descente (la chute) est rude : le sperme est
repoussé par les pets (le "vent cruel") et se mêle aux excréments
("petits caillots de marne rousse")" (op.cit. 142).
v.6 le vent
cruel
Murphy, op.cit.
258 : "Vu la localisation
du paysage, on comprendra d'office que le vent qui souffle est ce
vulgaire gaz intestinal, le pet. Vent assez chaud, d'ailleurs, qui
deviendra l'autan dans une
autre
version du sonnet".
Il s'agit de la
version que l'éditeur Vanier ajoutera en 1903 au recueil de Verlaine
intitulé
Hombres,
accompagné de la mention : "Imprimé sous le manteau et ne se vend
nulle part" :
v.7 marne rousse
"La marne, au sens
premier, est un limon mêlé d'argile et de calcaire. Marner une
terre, en agriculture, c'est améliorer son rendement avec un
engrais, en particulier avec du purin" (Teyssèdre, op.cit. 143).
v.8 Pour s'aller
perdre où la pente les appelait
Les commentateurs
relèvent en général l'allitération des "p" dans ce vers.
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1e
tercet
v.9
Mon Rêve s'aboucha
Le choix du verbe semble indiquer
qu'il vaut mieux comprendre "mon désir me fit porter souvent la
bouche à ..." plutôt que "mon sexe s'accoupla souvent à ...". La
version du sonnet insérée dans
Hombres en 1903 présente la
variante : "Ma bouche s'accoupla..." Les commentateurs se fondent
généralement sur ce verbe, en le reliant à un champ lexical de la
nourriture ("praline", "olive") pour diagnostiquer la présence dans
les tercets de suggestions coprophagiques.
v.11 En fit son larmier
fauve et son nid de sanglots
"Larmier : Angle interne de l'œil où
paraissent se former les larmes" (TLFI). L'image se passe de
commentaire, c'est la reprise pure et simple du tableau décrit par
les vers 3-4 de Verlaine. Mais la qualité des associations de mots
trouvées par Rimbaud est frappante : les termes appartiennent tous
au langage soutenu, voire poétique,
ils associent le sexe et le drame, des idées de sauvagerie (fauve)
et de douceur (nid). L'équilibre de l'alexandrin (2/4+3/3) joue aussi
son rôle dans l'impact du vers auprès du lecteur.
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2e
tercet
v.12 la flûte câline
"Rimbaud s'autorise des images des
quatrains de Verlaine pour concevoir l'anus comme une flûte, puisque
la flûte est justement un instrument à vent" (Murphy, op.cit. 259)
v.13 praline
"Allusions fécales liées à la forme
oblongue et à la couleur brune de la praline" (Teyssèdre, op.cit.
p.539). La praline est un bonbon fait d'une amande
enrobée de caramel ou de chocolat. En Belgique, d'après le
TLFI : "Crotte de chocolat généralement fourrée".
v.14 Chanaan féminin
"cet œillet est féminin, commente
Michael Pakenham, seulement par l'usage qu'on en fait" (op.cit.
1111). "C'est l'adjectif 'féminin' du dernier vers, écrit Philippe
Rocher, qui contribue beaucoup, paradoxalement, à masculiniser cet
anus. Grammaticalement masculin comme le pronom "il" et le syntagme
"trou du cul", sa présence est suspecte, l'explicitation insistante
de la féminité interroge dans la chute du sonnet [...] L'adjectif
qualifie le trou du cul pour ses caractéristiques, équivalents
'féminins' chez l'homme du sexe de la femme, et pour ses usages
sexuels [...]" (op. cit. 190).
Chanaan est la
Terre promise que Dieu
indique à Moïse pour y conduire son peuple : "Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et
le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile,
vers une terre ruisselant de lait et de miel, vers le pays de
Canaan.." (Exode, 3, 8). L'image, commente Bernard
Teyssèdre, "est biblique et scatologique à la fois [...] Le lait,
c'est ici le sperme. Le miel, en argot, c'est la merde. Nous disons
aujourd'hui, si nous ne voulons pas passer pour grossiers, 'il nous
emmielle' pour 'il nous emmerde'" (op.cit. 147).
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Bibliographie
Albert Mérat,
L'Idole, Alphonse Lemerre, 1869 :
http://www.archive.org/stream/lidole00mrgoog#page/n12/mode/2up
Steve Murphy, "Les Dessous de
l'Esthétique : Le Sonnet du trou du cul", Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, Presses
Universitaires de Lyon, 1990,
p.249-267.
Alain Borer et alii,
Œuvre-vie, édition du centenaire, Arléa, 1991. Notes de Michael
Pakenham pour les pièces de l'Album zutique, p.1104 à 1131.
Denis Saint-Amand,
« Une réception chahutée : le Sonnet du trou du cul de Rimbaud et
Verlaine », dans Beauthier
Régine, Méon Jean-Matthieu,
Truffin Barbara (éd.),
Obscénité, pornographie et censure. Les mises en scène de la sexualité
et leur (dis)qualification (XIXe-XXe siècles), Bruxelles, Editions
de l’Université de Bruxelles, 2010, p. 105-116 :
http://digistore.bib.ulb.ac.be/2010/noncat000024_000_f.pdf
Bernard Teyssèdre,
"Le trou noir fleuri de son œillet", Arthur
Rimbaud et le foutoir zutique, Éditions Léo Scheer, 2011, p.135-148,
539-540, 572-575.
Philippe Rocher, "Le
Sonnet du trou du cul et la poétique de l'obscène", in Seth Whidden (dir.),
La Poésie jubilatoire. Rimbaud, Verlaine et l'Album zutique,
Classiques Garnier, Études rimbaldiennes, 2011, p.173-210.
Philippe Rocher, "Les
virtuosités et les jubilations intertextuelles du Sonnet du trou
du cul", Parade sauvage n°23, p.117-134, 2012.
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