Un beau cadavre

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Le thème de la belle morte célébrant ses noces mystiques avec la nature a évidemment suscité la parodie. Comme Rimbaud lui-même s'y essaie en dégradant l'image traditionnelle de la "Naissance de Vénus" dans Vénus Anadyomène, plusieurs auteurs se sont employés à réduire Ophélie et ses soeurs à de beaux cadavres. Sous leur plume, l'épousée cosmique devient la promise des vers de terre et des rats.

En voici quelques exemples :

 

THÉOPHILE GAUTIER

 

La Comédie de la mort (Extrait)

La Trépassée.

Quel est donc ce baiser humide et sans haleine ?
Cette bouche sans lèvre, est-ce une bouche humaine ?
          Est-ce un baiser vivant ?
Ô prodige ! à ma droite, à ma gauche, personne.
Mes os craquent d' horreur, toute ma chair frissonne
          Comme un tremble au grand vent.

Le Ver.

Ce baiser, c' est le mien : je suis le ver de terre ;
Je viens pour accomplir le solennel mystère.
          J' entre en possession.
Me voilà ton époux, je te serai fidèle.
Le hibou tout joyeux fouettant l' air de son aile
          Chante notre union.

 

GEORG HEYM - 1910 - Trad. Lionel Richard



Ophelia

Dans les cheveux un repaire de jeunes rats
Et ses mains baguées sur l’onde
Comme des nageoires, la voici donc dérivant par les ombres
De la vaste forêt vierge qui repose dans l’eau.

Le dernier soleil qui erre dans l’obscurité
Plonge au fond du coffret de son cerveau.
Pourquoi est-elle morte ? Pourquoi si solitaire
Dérive-t-elle dans l’eau qu’herbe et fougère emmêlent

Dans les roseaux touffus le vent se tient. Il effarouche
Comme une main les chauves-souris,
Avec leurs ailes sombres, mouillées par l’eau,
Elles sont comme une fumée dans le sombre courant,

Comme des nuages de nuit. Une longue anguille blanche
Glisse sur sa poitrine. Un ver luisant brille
Sur son front. Et un saule pleure son feuillage
Sur elle et sa torture muette.

 


BERTOLT BRECHT, 1926.


Poème sur une jeune noyée

Lorsqu’elle fut noyée et dériva
De ruisseaux en plus grandes rivières
L’opale du ciel prit un ton étrange
Comme s’il devait apaiser le cadavre.

Varech et algues s’enroulèrent à elle
Et peu à peu elle s’alourdit
Les poissons glacés glissaient près de sa jambe
Plantes et animaux alourdirent encore son dernier voyage.

Et le soir, le ciel s’assombrit comme de la fumée
Et la nuit, il tint avec les étoiles, la lumière en échec.
La clarté toutefois se fit tôt, afin
Que pour elle aussi il y ait un matin et un soir.

Lorsque son corps pâle fut pourri dans l’eau
Il arriva (cela se fit lentement) que Dieu l’oublia peu à peu
Tout d’abord son visage, puis les mains et enfin sa chevelure.
Alors elle devint charogne parmi les charognes des rivières.